RussEurope
L’Euro contre l’Europe
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Mardi 16 février 2016
Les méfaits de l’Euro ne se limitent
pas à notre pays. Ils se font sentir au
sein de l’Union européenne. Pourtant,
cette dernière est loin d’être convertie
dans son ensemble à l’Euro. Plusieurs
pays, et non des moindres, tels la
Grande-Bretagne, la Hongrie, la Pologne
ou la Suède, ont refusé – et refusent
toujours – de rejoindre la zone Euro.
Force est de constater qu’ils ne s’en
portent pas plus mal, loin de là. Et
pourtant, l’Euro mine l’Union. La crise
de l’Euro a paralysée l’UE depuis 2010,
et l’a entraînée dans toujours plus
d’austérité, suscitant alors une
vigoureuse remise en cause de la part
des électeurs. Les succès électoraux des
partis eurosceptiques, que l’on qualifie
de « populistes », en témoignent.
Il convient ici de rappeler que
l’Union européenne se prévaut des plus
hautes valeurs. De par la voix de ses
dirigeants comme de ceux de ses pays
membres elle affirme représenter la
démocratie, la liberté et la paix.
Pourtant, elle en donne concrètement une
image bien différente. La démonstration
en a été faite au premier semestre 2015
dans le conflit qui a opposé le
gouvernement grec aux instances
européennes. Non seulement, à cette
occasion, a-t-elle violé ses propres
valeurs à de multiples reprises, mais
elle a développé une idéologie et un
discours qui se trouvent à l’opposé des
valeurs qu’elle prétend incarner.
L’Union européenne prétend instaurer des
règles communes et des solidarités entre
les pays membres, et même au-delà ; les
faits démentent tragiquement, et ceci de
plus en plus, les idées de solidarité
même en son sein. Le budget
communautaire, pourtant réduit à moins
de 1,25% du PIB, est appelé à se réduire
encore. Dans ces conditions, comment
s’étonner qu’elle soit entraînée dans la
chute par un Euro dont l’influence
récessive et destructrice se fait sentir
depuis maintenant plus de quinze ans.
L’Euro et
l’économie européenne
L’Euro existe depuis 1999 pour ce qui
concerne l’Euro bancaire (ou Euro
scriptural) et depuis 2002 pour la
monnaie courante, ce que l’on appelle
l’Euro fiduciaire. De fait, il a
provoqué un fort ralentissement de la
croissance sur les pays qui l’ont
utilisé. On peut comparer les taux de
croissance annuel entre une sélection
des 9 pays les plus importants de la
zone Euro et le reste des pays
développés. On n’a pas fait figurer dans
cette comparaison les pays d’Asie
(Chine, Japon, Corée) pour ne pas
accentuer le déséquilibre de la
comparaison.
L’écart du taux de croissance moyen
du PIB est, par an, d’environ 1% entre
les pays de la zone Euro et les autres
pays. Pourtant, ces pays ont connue eux
aussi leur lot de problèmes, qu’il
s’agisse des Etats-Unis ou du
Royaume-Uni. L’écart est encore plus
spectaculaire comparé aux résultats de
la Suède, pays européen qui a justement
refusé d’adhérer à ‘Euro, ou au Canada.
C’est donc un montant en fait
considérable sur une période aussi
longue. On mesure ainsi le freinage de
la croissance exercé par l’Euro.
Graphique 1
Cette situation s’est en réalité
aggravée avec la crise de la zone Euro,
et l’on voit que dans la période
2007-2015, le taux de croissance annuel
de la zone Euro est bien plus faible que
celui des Etats-Unis, de la Suède et de
la Norvège. L’effet de freinage sur la
croissance dû à l’existence de l’Euro
est ici encore indéniable. Encore
faut-il savoir que la zone Euro est
elle-même très hétérogène. On constate
que l’Euro a freiné de manière
considérable la sortie de crise voire a
aggravé cette dernière dans de nombreux
pays. En fait, la crise de 2007-2010 a
été plus facilement surmontée dans les
pays qui n’avaient pas l’Euro que dans
ceux qui l’avaient. L’Euro n’a donc
nullement « protégé » les pays de la
zone. Il a, au contraire, retardé leur
sortie de crise.
Tableau 1
Comparaison
entre la croissance des pays de la zone
Euro et 5 autres pays de l’OCDE
|
PIB en
2015, indice 100=1999 |
Taux de
croissance moyen sur 1999-2015 |
Taux
moyen sur 1999-2007 |
Taux
moyen sur 2008-2015 |
Impact
de la crise |
Belgique |
125,6% |
1,43% |
2,23% |
0,6% |
-1,6% |
Finlande |
128,2% |
1,56% |
3,73% |
-0,6% |
-4,3% |
France |
122,2% |
1,26% |
2,11% |
0,4% |
-1,7% |
Allemagne |
121,5% |
1,23% |
1,64% |
0,8% |
-0,8% |
Grèce |
104,7% |
0,29% |
4,07% |
-3,4% |
-7,4% |
Italie |
102,9% |
0,18% |
1,48% |
-1,1% |
-2,6% |
Pays-Bas |
121,6% |
1,23% |
2,28% |
0,2% |
-2,1% |
Portugal |
106,2% |
0,38% |
1,52% |
-0,8% |
-2,3% |
Espagne |
130,6% |
1,68% |
3,74% |
-0,3% |
-4,1% |
Total 9
pays de la zone Euro |
119,1% |
1,10% |
2,18% |
0,0% |
-2,1% |
Total
sans Allemagne |
118,1% |
1,05% |
2,40% |
-0,3% |
-2,7% |
Canada |
142,3% |
2,23% |
2,80% |
1,7% |
-1,1% |
Norvège |
130,0% |
1,65% |
2,44% |
0,9% |
-1,6% |
Suède |
140,2% |
2,14% |
3,24% |
1,0% |
-2,2% |
Royaume-Uni |
134,9% |
1,89% |
3,00% |
0,8% |
-2,2% |
Etats-Unis |
137,5% |
2,01% |
2,65% |
1,4% |
-1,3% |
Source : base de donnée du FMI
Tableau 2
Taux de
croissance annuel moyen du PIB par
habitant de 1999 à 2015
|
Taux moyen
sur1999-2015 |
Taux moyen sur
1999-2007 |
Taux moyen sur
2008-2015 |
Impact de la
crise |
Belgique |
0,8% |
1,8% |
-0,1% |
-1,9% |
Finlande |
1,0% |
3,2% |
-1,0% |
-4,2% |
France |
0,7% |
1,4% |
-0,1% |
-1,5% |
Allemagne |
1,3% |
1,6% |
0,9% |
-0,7% |
Grèce |
0,2% |
3,7% |
-3,2% |
-6,9% |
Italie |
-0,2% |
1,2% |
-1,5% |
-2,7% |
Pays-Bas |
0,8% |
1,8% |
-0,2% |
-2,1% |
Portugal |
0,3% |
1,1% |
-0,6% |
-1,7% |
Espagne |
0,7% |
2,1% |
-0,6% |
-2,8% |
Canada |
1,2% |
1,8% |
0,5% |
-1,3% |
Suède |
1,5% |
2,8% |
0,2% |
-2,6% |
Royaume-Uni |
1,2% |
2,5% |
0,0% |
-2,5% |
Etats-Unis |
1,1% |
1,7% |
0,6% |
-1,1% |
Source : FMI
Mais, au-delà du PIB, il faut prendre
en compte le PIB par habitant, qui est
un bien meilleur indicateur de la
richesse réelle d’une population. Ici
encore, les chiffres sont sans appel. On
constate immédiatement qu’un seul pays a
vu son PIB par habitant s’accroître de
manière conséquente par rapport à 1999,
c’est l’Allemagne. C’est d’ailleurs le
seul pays de la zone où le PIB par
habitant se soit accru de 2008 à 2016.
De fait, l’Allemagne est le seul pays de
la zone Euro à avoir des chiffres de
croissance comparables à ceux des pays
ne faisant pas partie de l’Euro,
comme le Canada, le Royaume-Uni, la
Suède, ou les Etats-Unis. La chute est
importante pour les autres pays. Elle
est impressionnante dans le cas de la
Grèce (-3,2% par an depuis 2008) mais
elle est aussi significative pour la
Finlande, l’Espagne, l’Italie et le
Portugal. Si l’on retirait l’Allemagne
de la zone Euro, on verrait que le bilan
global de la zone Euro est encore plus
négatif.
L’Euro a donc contribué à
l’appauvrissement relatif ou absolu
d’une bonne partie de l’Europe depuis la
crise financière. Mais, les problèmes ne
s’arrêtent pas là. La chute des
investissements est encore plus
spectaculaire que celle de la
croissance, et cette fois elle est
générale. Or, cette chute compromet le
développement de l’économie pour les
prochaines années, et annonce
l’équivalent d’une décennie perdue pour
les pays de la zone Euro.
Tableau 3
Chute de
l’investissement productif
|
Investissement global |
Investissement par
habitant |
|
Niveau de 2015
en pourcentage de 1999 |
Taux de
croissance annuel moyen |
Niveau de 2015
en pourcentage de 1999 |
Taux de
croissance annuel moyen |
Belgique |
120,8% |
1,2% |
109,8% |
0,6% |
Finlande |
114,9% |
0,9% |
107,9% |
0,5% |
France |
122,9% |
1,3% |
111,9% |
0,7% |
Allemagne |
96,2% |
-0,2% |
97,1% |
-0,2% |
Grèce |
47,2% |
-4,6% |
46,7% |
-4,7% |
Italie |
77,2% |
-1,6% |
73,0% |
-2,0% |
Pays-Bas |
97,0% |
-0,2% |
90,6% |
-0,6% |
Portugal |
53,6% |
-3,8% |
52,6% |
-3,9% |
Espagne |
100,5% |
0,0% |
86,5% |
-0,9% |
Total des
9 pays de la ZE |
98,3% |
-0,1% |
92,5% |
-0,5% |
Canada |
163,2% |
3,1% |
138,2% |
2,0% |
Norvège |
152,0% |
2,7% |
130,5% |
1,7% |
Suède |
157,8% |
2,9% |
142,2% |
2,2% |
Royaume-Uni |
123,8% |
1,3% |
111,9% |
0,7% |
Etats-Unis |
120,2% |
1,2% |
104,4% |
0,3% |
Source : base de donnée du FMI
L’investissement, autrement dit la
source même du progrès économique et
social pour toute économie, s’est donc
contracté dans la plupart des pays
considérés. La chute, faible en ce qui
concerne l’investissement global, est
significative dans l’investissement par
habitant. Le contraste est alors
saisissant avec les pays ne faisant pas
partie de la zone Euro. Les seuls pays
qui y échappent sont la Belgique, la
Finlande et la France.
Graphique 2
Investissement
par habitant
Cette contraction est importante en
Italie et en Espagne, et catastrophique
au Portugal et en Grèce. Ces derniers
pays sont ramenés au niveau
d’investissement qui était le leur au
milieu des années 1980. Il ne faut donc
pas nourrir d’illusions quant à l’effet
positif des politiques d’austérité. La
baisse de ce flux que représente
l’investissement se traduit par le
non-renouvellement du stock de capital
par personne. La partie du continent
européen qui vit sous le joug de l’Euro
a donc vu le capital fixe par habitant
stagner depuis 1999. Ce capital fixe est
constitué de choses bien concrètes,
comme des logements, des infrastructures
comme des routes, des ponts, des voies
de chemin de fer ou des aéroports, des
systèmes d’adduction d’eau, des systèmes
de communication, mais aussi un capital
plus directement productif, composé de
machines, de bâtiment pour loger ces
machines, et ainsi de suite. C’est bien
pourquoi la stagnation de cet
investissement par habitant, voire sa
diminution, présente une telle menace
pour le niveau de vie futur des
populations européennes. A contrario,
les pays qui ne sont pas dans l’Euro, la
Suède, le Royaume-Uni et la Norvège pour
les pays européens, le Canada et les
Etats-Unis pour l’Amérique du Nord, ont
continué à accroître le capital par
habitant.
On mesure ici l’impossibilité de
faire fonctionner la monnaie unique sans
provoquer une catastrophe en Europe, et
au-delà dans l’économie mondiale. Car,
l’impact des politiques d’austérité qui
n’ont été mises en œuvre que
pour « sauver » l’Euro dépasse de loin
les frontières de l’Europe[1].
En fait, la zone Euro exerce un effet
dépressif sur l’ensemble de l’économie
mondiale. L’impact social de l’Euro est
aussi catastrophique, en particulier
dans le domaine du chômage. Ce dernier
se concentre sur les pays de l’Europe du
Sud. Il frappe de manière très
importante les jeunes de ces pays. Ici,
l’impact de l’Euro se fait sentir dans
la démotivation, voire le désespoir, des
jeunes générations, en Grèce, en Espagne
et en Italie. C’est un capital cette
fois immatériel que l’Euro
détruit, dans ses effets destructeurs
sur la confiance en soi de millions de
jeunes et dans les ravages sociaux que
cette perte de confiance engendre.
On s’interroge doctement sur le
« pourquoi » de la frilosité des
populations européennes face aux
réfugiés du Moyen-Orient. Il faut être
aveugle pour ne pas comprendre
qu’au-delà des réactions face à des
comportements minoritaires de certains
de ces « migrants » ce qui s’exprime à
travers cette frilosité c’est l’angoisse
du lendemain pour des millions et des
millions de gens. C’est la destruction
de la confiance, la perte de l’idée de
l’avenir. De 1945 à 1950 les pays
européens eurent à gérer un problème de
réfugiés bien plus important que celui
que nous connaissons aujourd’hui. Mais,
il est vrai que nous avions alors
confiance en l’avenir, que dans les
difficultés, pourtant immenses, de la
reconstruction de l’après-guerre, les
populations sentaient confusément que la
situation s’améliorait mois après mois.
C’est pourquoi on a su trouver de la
place à ces réfugiés. Il est vrai que
nous n’avions pas l’Euro. Et l’on mesure
alors ce que coûte l’Euro aux
populations européennes, que ce soit
directement – pour les pays membres de
la zone Euro – ou que ce soit
indirectement pour les autres pays.
Parce que l’Euro a été mis en place sur
le cœur historique de l’Europe, se crise
affecte naturellement l’Europe toute
entière.
Une prise de
conscience ?
La prise de conscience de la
catastrophe induite par l’Euro sur
l’économie européenne commence à être
perçue, que ce soit par les
gouvernements ou par les agents privés.
Pourtant, cette prise de conscience
n’arrive pas à percer l’écran
idéologique d’un attachement fanatique à
l’Euro. Cette prise de conscience se
traduit surtout par les comportements
des agents privés. De fait, aujourd’hui,
le marché des dettes tant publiques que
privées, tend à se fractionner, c’est à
dire que les banques de chaque pays
n’achètent plus, de préférence, que des
dettes de leur pays. On est ainsi revenu
à la situation de 2000. Il faut ici
rappeler que le marché des dettes était
le seul sur lequel on avait pu noter une
réelle convergence depuis 1999. Cette
dernière est désormais effacée. On voit
alors se développer les tendances à
l’éclatement de la zone Euro, tendances
que la Banque Centrale Européenne
contient désormais tant bien que mal ;
et désormais plutôt mal que bien.
La crise de la Grèce, un pays qui
pourtant représente moins de 3% du PIB
de la Zone Euro est devenue désormais
une crise de l’Union européenne. Quelle
que soit son issue, et la capitulation
de Tsipras le 13 juillet n’a rien changé
sur le fond, les fondements mêmes de
l’UE ont été durablement ébranlés. La
crise des banques italiennes, venant
après celle des banques espagnoles et
avant celle des banques allemandes, est
une cause constante d’inquiétude sur les
marchés financiers. Ici encore, les
institutions de règlement de ces crises,
ce que l’on appelle l’Union bancaire,
qui avaient été mises en place en 2012,
n’ont pas fonctionné. Ces crises devront
être réglées dans un cadre national. On
dira que ces crises sont, chacune,
certainement gérables. Voire…Bien
entendu, les moyens existent. Mais, à
chaque fois, c’est la zone Euro qui en
réalité se défait.
Car, la cause réelle, la cause
évidente, de ces diverses crises ce
n’est pas le problème de l’endettement
de la Grèce, des mauvaises dettes
accumulées dans les banques italiennes,
ou des opérations douteuses réalisées
sur les marchés financiers par les
banques allemandes, mais c’est le
fonctionnement de la zone Euro. C’est ce
fonctionnement qui dresse les peuples
les uns contre les autres et qui ranime
les pires des souvenirs de l’histoire
européenne. Si l’Union européenne et
l’Europe sont deux choses différentes,
aujourd’hui, ce qui se joue à Bruxelles
n’est plus seulement la Grèce ou l’Euro,
c’est l’avenir de l’Europe et
l’existence même de l’Union européenne.
Il est désormais évident pour
l’ensemble des observateurs que la cause
profonde de cette crise est à chercher
dans le fonctionnement de la zone Euro.
On l’a déjà écrit à de multiples
reprises. Le projet de création d’une
monnaie unique, sans assurer dans le
même temps les conditions tant
économiques qu’institutionnelles de la
viabilité de cette monnaie, ne pouvait
qu’entraîner un désastre. Il fallait se
résoudre à une « union de transfert ».
On ne l’a jamais fait. Si, dans des pays
fédéraux comme l’Inde, l’Allemagne ou
les Etats-Unis une même monnaie
fonctionne en dépit des divergences
parfois extrêmes qui existent entre les
territoires composant ces pays c’est
avant tout parce qu’existent des flux de
transfert importants. Ceci n’a pu être
mis en place au sein de la zone Euro, en
raison de l’opposition de nombreux pays
mais, par dessus tout, en raison de
l’opposition totale de l’Allemagne.
Beaucoup de ceux qui écrivent en
faveur de l’Euro se lamentent alors sur
ce qu’ils appellent « l’égoïsme
allemand »[2].
Ils ne prennent jamais la peine de
chercher à mesurer ce que coûterait à
l’Allemagne le financement de ces flux
de transfert. Le calcul a été présenté
dans ce carnet[3].
Il se montait alors autour de 260
milliards d’euros par an, sur une
période de dix ans, et ce uniquement
pour aider les 4 pays du « Sud » de la
zone que sont l’Espagne, l’Italie, le
Portugal et la Grèce. Sur cette somme,
on peut penser qu’environ 85% à 90%
serait fourni par l’Allemagne. On
aboutit alors à un prélèvement sur la
richesse produite en Allemagne compris
entre 8% et 9% du PIB. Une autre source
estimait même ce prélèvement à 12%[4].
Il est clair qu’imposer un tel
prélèvement à l’Allemagne détruirait son
économie. La question donc n’est pas que
l’Allemagne ne veuille pas (ce qui est
un autre problème) mais avant tout
qu’elle ne peut pas supporter
de tels prélèvements.
Confrontés à l’impossibilité de
mettre en place une union de transfert,
les gouvernement de la zone Euro ont cru
trouver leur salut dans une combinaison
de cures d’austérité dont les effets
récessifs ont fragilisé les économies
européennes, et de politique monétaire
relativement expansionniste, telle
qu’elle a été menée par la Banque
Centrale Européenne. Mais, cette
politique monétaire, si elle a permis de
faire baisser les taux d’intérêts n’a
pas résolu le problème. C’est comme de
vouloir soigner une pneumonie avec de
l’aspirine. L’aspirine fait un effet
bénéfique en permettant à la fièvre de
baisser, ce que fit la politique de la
BCE à partir de septembre 2012, mais
elle ne soigne pas.
La crise que nous connaissons depuis
2008 a provoqué un durcissement de ces
positions. L’Allemagne est, plus que
jamais opposée à une Union de
Transferts, mais elle a réussi à imposer
sa propre logique de gestion par les
divers « pactes » de solidarité qui ont
été signés depuis 2011[5].
C’est ce que l’on appelle le « six
pack ». Ceci a été consolidé dans le
TSCG signé en 2012[6],
et qui est entré en vigueur le 1er
janvier 2013. Ces traités ne font que
renforcer les mécanismes d’austérité que
enserrent les économies européennes. Dès
lors, l’Euro a entraîné les économies
des pays membres de la zone dans une
logique de divergence de plus en plus
forte. Cette logique a conduit à des
plans d’austérité de plus en plus
violent, qui exaspèrent les populations
et qui dressent celles des pays ayant
moins de problèmes contre celles des
pays souffrant le plus. Loin d’être un
facteur d’unité et de solidarité, l’Euro
entraîne le déchaînement des égoïsmes
des uns et des autres et la montée des
tensions politiques au sein de l’Union
européenne. L’Euro, de par son existence
même est bien la source de la crise dont
les péripéties bruxelloises de cette
fin-de-semaine sont l’illustration.
La
responsabilité des politiques
Si la responsabilité première de
cette crise incombe à l’Euro, et au
système institutionnel que l’on a
construit pour le faire perdurer, cela
ne vaut pas non-lieu pour le personnel
politique. Au contraire ; leur
comportement a tendu à exacerber cette
crise en provoquant une perte massive de
confiance des peuples de l’Union
européenne dans cette dite union.
Il est de bon ton de se déchaîner à
présent contre Mme Merkel et M. Schäuble.
Leur responsabilité est certes
directement engagée. Le plan qui fut
présenté par M. Schäuble le samedi 11
juin 2015, et qui prévoyait soit
l’expulsion de la Grèce soit la mise en
gage d’une partie du patrimoine
industriel de ce pays, était
parfaitement scandaleux. Ces deux
dirigeants se sont comporter comme des
voyous de banlieue, comme des petites
frappes cherchant à terroriser le
quartier. Mais, il faut ici dire qu’ils
ne sont sans doute pas les pires. De
plus, il faut reconnaître à M. Schäuble
une certaine cohérence dans sa position.
Parmi ceux dont les responsabilités
sont certainement plus importantes il
faut citer le président de l’Eurogroupe,
une institution qui n’a aucune base
légale, M. Dijsselbloem. Ce triste
personnage a ainsi exercé des menaces et
un véritable chantage sur le ministre
grec des finances, M. Yanis Varoufakis.
Ce dernier l’a décrit de manière très
explicite[7].
Il montre que ces détestables pratiques
ne sont pas le produit de la crise (ce
qui sans les justifier le moins du moins
du monde pourrait les expliquer) mais
ont commencé dès les premières
réunions datant du mois de février 2015.
Ces pratiques, ainsi que celles de M.
Jean-Claude Juncker, le Président de la
Commission européenne, témoignent d’un
esprit profondément anti-démocratique
qui règne dans les instances de l’Union
européenne. Les pratiques de ces
dirigeants, et avant eux de personnes
comme M. Barroso, ont largement
contribué à la perte de crédibilité des
peuples dans ces institutions. En
novembre 2012, un sondage réalisé sur
l’ensemble des pays européens montrait
que le pourcentage de personnes disant
ne pas faire confiance dans l’Union
européenne était de 42% en Pologne, de
53% en Italie, de 56% en France, de 59%
en Allemagne et de 72% en Espagne[8].
Mais, les bons apôtres de la
construction européenne, comme M.
François Hollande en France ou M. Renzi
en Italie, ne peuvent – eux non plus –
espérer sortir indemne de cette crise.
Leur responsabilité est en réalité tout
autant engagée que celle des autres
politiciens. Si M. Hollande avait été
fidèle à ses engagements de la campane
présidentielle du printemps 2012, il
aurait affronté immédiatement et
directement la chancelière allemande. Au
lieu de cela, il a accepté d’entrer dans
la logique austéritaire qu’elle
proposait et il a cédé, en tout ou
partie, à ce qu’elle exigeait. Il est
alors logique que Mme Merkel se soit
sentie confortée dans ses choix et les
ait poussés jusqu’au bout de leur
absurde et funeste logique concernant la
Grèce. M. Hollande a cherché à
l’occasion de la crise grecque à faire
entendre une musique différente. Mais,
il n’est que trop visible que l’homme
est déjà en campagne pour sa réélection.
Sur le fond, il est un bon représentant
de ces fanatiques de la construction
européenne, de ces « eurobéats », dont
l’attitude va aboutir à faire éclater
l’Union européenne.
La fin de
l’Euro signifierait-elle la fin de
l’Union européenne ?
L’un des arguments les plus utilisés
pour critiquer tout ce qui touche de
près ou de loin à une dissolution de
l’Euro (qu’il s’agisse du GREXIT ou
d’autres hypothèses) est que ceci
affaiblirait considérablement l’Union
Européenne, voire provoquerait sa
dissolution. En disant cela, les
personnes qui défendent cet argument
glissent d’un constat analytique (une
crise de l’Euro ou plus précisément de
l’UEM/Union Economique et
Monétaire/parfois désignée sous ses
initiales en anglais ou EMU)
provoquerait un crise de l’UE) à un
argument prescriptif : l’UE étant un
« bonne chose », il faut défendre l’Euro
car ce dernier est l’ultime défense de
l’UE. En fait, cet argument ne tient
pas. Mais il est révélateur d’un débat
où l’on est passé des arguments de
raisons à des arguments de nature
religieuse, voire d’un comportement de
secte.
L’Union Economie et Monétaire (la
« zone Euro ») n’est pas l’UE. C’est une
évidence, mais il convient de le
rappeler. Un certain nombre de pays
n’ont pas voulu. Certains sont des
« membres historiques » de l’Union
Européenne. Ainsi, le Danemark, qui a
voté non au traité de Maastricht, a
obtenu quatre dérogations dont l’une sur
la monnaie unique. Ce pays a refusé
l’Euro par référendum en septembre 2000.
La Suède a, quant à elle, aussi refusé
l’adoption de l’Euro par référendum en
septembre 2003. Enfin, le Royaume-Uni
possède une dérogation permanente qui
lui permet de ne pas adhérer à la zone
euro. Par ailleurs, parmi les nouveaux
membres de l’UE, la Bulgarie, la
Croatie, la République tchèque et la
Pologne n’ont pas communiqué de date
butoir ou éventuelle quant à leur
adhésion à la zone euro. La Hongrie
quant à elle espère officiellement
rejoindre la zone euro au plus tôt en
2020 et la Roumanie en 2018, mais dans
les faits sont fort peu enthousiaste à
cette perspective.
On peut donc parfaitement être membre
de l’UE sans l’être de la zone Euro.
Dans ces conditions, on ne voit pas
pourquoi une sortie individuelle de
l’Euro ou une dissolution de la zone
Euro, remettraient en cause l’Union
Européenne. Elle imposerait certainement
un nouveau traité, et une redéfinition
des compétences de l’Union. L’UE serait
mis au pied du mur et devrait
nécessairement se réformer. Mais, cette
réforme est nécessaire. Les craquements
que l’on entend dans la structure de
l’Union depuis ces derniers mois
montrent d’ailleurs que le plus tôt sera
le mieux. De ce point de vue, il faut
considérer que seule une sortie de
l’UEM, parce qu’elle invaliderait les
différents traités, est susceptible de
sortir un pays de l’ensemble des traités
signés depuis l’origine. Mais, une
sortie généralisée (ou une dissolution
de l’UEM) mettrait fin aux règles
décidant de la politique économique dans
les principaux pays de l’UE. On peut
donc considérer que si l’Euro n’est pas
l’UE, ce que l’on appelle actuellement
« l’euro-austérité », soit l’ensemble
des politiques mises en place dans les
différents pays, est directement lié à
l’Euro. La remise en cause de ce dernier
entraînera nécessairement une remise à
plat de ces politiques.
Il n’en reste pas moins qu’une
interrogation hante les esprits des
anciens européistes : si l’on dissout
l’Euro ne risque-t-on pas de dissoudre
l’Union européenne ? On peut comprendre
d’où vient l’idée. Ces ex-européistes,
ou « euro-réalistes » comme ils se
nomment parfois, reconnaissent les
erreurs qui ont été commises, que ce
soit dans la conception de l’Euro que
dans sa mise en œuvre. Mais ils ajoutent
que le remède évident risquerait d’être
pire que le mal, en ceci qu’une
dissolution de l’Euro risquerait
d’entrainer celle de l’UE. En fait, on
peut leur retourner la question. De
nombreuses voix, qu’il s’agisse
d’économistes ou de sociologues, disent
aujourd’hui que c’est l’existence même
de l’Euro qui met en péril l’Union
européenne. De nombreuses voix, qu’il
s’agisse d’économistes ou de
sociologues, disent aujourd’hui que
c’est l’existence même de l’Euro qui met
en péril l’Union européenne. Il y a eu
des textes techniques, comme celui de
Stefan Kawalec and Ernest Pytlarczyk[9],
ou encore celui de Brigitte Granville et
H-O Henkel[10],
ou encore celui de Flassbeck et
Lapavitsas[11].
Il est frappant de constater que ces
textes sont issus d’économistes aux
idées parfois opposées. C’est bien la
preuve que la question de l’Euro, et de
sa dissolution, transcende les
divergences habituelles. Plus récemment
c’est Stefano Fassina, un économiste du
Parti Démocrate Italien (dont Renzi est
issu), et ancien vice-ministre à
l’Économie et aux Finances dans le
gouvernement Letta, qui a franchi
Rubicon[12].
De même Wolfgang Streeck, un sociologue
et économiste a publié dans Le Monde
une longue tribune pour indiquer que
l’Europe doit abandonner la monnaie
unique[13].
Ce dernier montre bien que quand Mme
Merkel dit « Si l’Euro échoue, l’Europe
échoue », elle ne fait pas que défendre
la position de l’Allemagne. Elle exprime
aussi la crainte des élites allemandes
d’être à nouveau accusées de « casser
l’Europe » comme ce fut le cas en 1914
et en 1939.
On lit souvent des formules
intellectuellement affligeantes telles
que « l’Euro c’est paix sur le continent
européen » ou encore « l’Euro, c’est
l’Europe ». Ce sont des injures à
l’intelligence qui montrent un mépris de
l’histoire et de ses réalités. La paix
sur le continent européen tout d’abord
n’est, hélas, que partielle et
constamment remise en cause. On l’a vu
dans les Balkans dans les années 1990.
Mais, si la paix est par contre bien
établie en Europe occidentale, on le
doit à la combinaison de deux faits, la
dissuasion nucléaire et la
réconciliation franco-allemande,
elle-même fruit du travail que les
Allemands ont réalisé sur leur propre
histoire. Rien de tout cela n’est lié,
de près ou de loin, à l’Euro. Une fois
litière faite de ces contrevérités, on
peut tenter une analyse dépassionnée de
la question de la coopération et du
conflit.
L’union monétaire a été présentée
comme une avancée dans la voie de la
coopération entre États européens, ce
qu’elle est indiscutablement. Mais on
doit reconnaître qu’elle n’est pas
viable dans sa forme actuelle et qu’elle
produit en réalité des effets contraires
à ce qui était recherché. Les pays de la
zone Euro sont très loin de constituer
une « zone monétaire optimale » et ce
quelque soit le sens que l’on donne à
cette notion. Les divergences
structurelles entre les économies qui la
composent, qui étaient déjà importantes
au départ, se sont en fait accrues
depuis 2002-2003. Il faudrait un effort
budgétaire considérable de la part des
plus riches pour harmoniser cette zone,
effort qu’ils ne peuvent, ni
socialement, ni politiquement consentir.
Le maintien dans l’Euro est
aujourd’hui une politique qui porte en
elle les ingrédients pour un renouveau
du conflit franco-allemand mais aussi
des divers conflits intra-européens. Au
contraire, une sortie de l’Euro, qu’il
s’agisse de la France ou de l’Allemagne
ou des relations entre l’Allemagne et
les autres pays (Grèce, Italie),
permettrait de dédramatiser ces
relations. Pour la paix en Europe et
pour le maintien d’un cadre de
coopération entre les pays européens, il
convient de mettre fin le plus vite
possible à l’Euro.
Notes
[1] Bibow J. et A. Terzi, edits.
Euroland and the World Economy,
Palgrave MacMillan, New York, 2007.
[2] Voir Michel Aglietta, Zone
Euro : éclatement ou fédération,
Michalon, Paris, 2012.
[3] Voir Sapir J., « Le coût du
fédéralisme dans la zone Euro », note
publiée sur le carnet RussEurope,
10 novembre 2012,
http://russeurope.hypotheses.org/453
[4] Patrick Artus, « La solidarité
avec les autres pays de la zone euro
est-elle incompatible avec la stratégie
fondamentale de l’Allemagne : rester
compétitive au niveau mondial ? La
réponse est oui », NATIXIS,
Flash-Économie, n°508, 17 juillet
2012.
[5] Déclaration des chefs d’État et
de gouvernement de la zone euro du 25
mars 2010 (http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/fr/ec/113564.pdf
); Traité instituant le mécanisme
européen de stabilité, 11 juillet 2011,
http://www.eurozone.europa.eu/media/582863/06-tesm2.fr12.pdf
[6] Voir « Traité sur la
stabilité, la coordination et la
gouvernance au sein de l’Union
économique et monétaire »,
http://www.senat.fr/cra/s20121011/s20121011_mono.html
[7] VAROUFAKIS: POURQUOI L’Allemagne
REFUSE D’ALLÉGER LA DETTE DE LA GRÈCE,
http://blogs.mediapart.fr/blog/monica-m/120715/varoufakis-pourquoi-lallemagne-refuse-dalleger-la-dette-de-la-grece
[8] Sondage EUROBAROMETER
[9] Kawalec S., et Pytlarczyk E.,
« How to Contain Risks Throughout the
Process of the Eurozone Dismantlementand
Rebuild Confidence in the Future of the
European Union », mai 2013, texte pour
la 10th EUROFRAME Conference on Economic
Policy Issues in the European Union.
[10] Granville, B., H.‐O. Henkel and
S. Kawalec, ‘Save Europe: Split the
Euro’, Bloomberg View, 15 mai 2013.
http://www.bloomberg.com/news/2013‐05‐14/save‐europe‐split‐the‐euro.html
[11] Flassbec H, Lapavitsas C.,
« THE SYSTEMIC CRISIS OF THE EURO –TRUE
CAUSES AND EFFECTIVE THERAPIES », Rosa
Luxemburg Stiftung, mai 2013.
[12]
http://www.lastampa.it/2015/02/24/multimedia/italia/fassina-pdla-grecia-esca-dalleuro-q93wq2qG2AlhCuZLRC5FkM/pagi
et
http://ideecontroluce.it/liceberg-e-sempre-piu-vicino/
[13] Streeck W., « L’Europe doit
abandonner la monnaie unique », Le
Monde, mardi 3 mars 2015, p. 16.
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