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Hollande, entre narcissisme et mépris
Jacques Sapir

© Jacques
Sapir
Vendredi 14 octobre 2016
La publication du livre Un
président ça ne devrait pas dire ça…
écrit par deux journalistes du Monde,
Gérard Davet et Fabrice Lhomme, et
rendant compte des soixante heures
d’entretien qu’il ont eu avec le
Président François Hollande[1],
révèle bien des choses sur la
personnalité, mais aussi la forme
d’intelligence, de ce dernier. Ce livre
est en train de provoquer un scandale
sans précédent, non seulement car il
fait exploser l’image consensuel d’un
Président qui se voulait « normal », non
seulement parce qu’il décrit en termes
crus le mépris de classe que François
Hollande éprouve pour de nombreux
français, confirmant ainsi sa
déclaration sur les « sans dents », mais
enfin parce qu’il porte une atteinte
grave à la fonction même de Président de
la République. Les attaques contre la
magistrature de la part du premier
d’entre eux ont suscitées une réaction
indignée des plus hauts magistrats de
France.
Un
narcissisme obsessionnel
Ce livre est donc révélateur du
rapport plus que trouble que François
Hollande entretient avec les
journalistes. On imagine mal un
Président conscient de ses devoirs, un
Président faisant face à une crise
économique structurelle, à des problèmes
internationaux urgents, à la vague
d’attentats que la France a connue,
trouver 60 heures pour parler devant le
magnétophone tendu par ces deux
journalistes. Pour qu’il en soit ainsi,
il faut que François Hollande soit
véritablement fasciné par le monde
journalistique, ce que Aude Lancelin, la
journaliste de l’Obs renvoyée
sans ménagements ce printemps à cause de
ses articles jugés trop favorables par
l’Elysée au mouvement Nuits Debout
confirme dans un livre qui sort ces
jours-ci. Cette trouble fascination
révèle le côté profondément narcissique
de ce Président, qui passe donc une
grande partie de son temps à se regarder
dans le miroir métaphorique que sont les
journalistes. Ce côté narcissique nous
indique que François Hollande est bien
le Président de cette époque où la
marchandisation généralisée fait
exploser les égo des uns et des autres.
A cet égard, il n’est guère différent de
ces jeunes perdus qui se vautrent dans
le narcissisme religieux, comme je
l’indiquais dans Souveraineté,
Démocratie, Laïcité[2].
Mais, comme narcisse, à trop s’admirer
dans la rivière médiatique, il finit par
s’y noyer.
Il est aussi hautement révélateur
qu’un Président qui a, sur le fond,
renoncé à la souveraineté nationale et
donc à gouverner, et ceci dès son
arrivée au pouvoir puisqu’il fit voter
le TSCG en octobre 2012, se préoccupe
avant tout de ce que l’on va dire,
ayant donc abdiqué en réalité le pouvoir
de faire. Il y a un lien
profond qui unit l’abandon de la
Souveraineté à ces comportements qu’il
faut bien ici qualifier de
pathologiques. Vincent Tremolet de
Villers, sur FigaroVox, fait
alors l’analyse suivante : « Tout se
passe comme si la fonction politique
imposait un devoir de réserve devant la
réalité. Ça fait partie du job. Alors on
biaise, on contourne, on ment »[3].
En réalité, c’est la fonction politique
quand elle s’exerce hors de toute
souveraineté, et dans un Etat
déliquescent, qui impose ce déni de
réalité systématique.
Un mépris de
classe affiché
Mais, si le déni est théorisé, et de
multiples exemples l’attestent, le
mépris de classe s’impose. Il faut voir
comment, à propos des joueurs de
football, François Hollande, qui prétend
aimer ce sport (ce qui n’est pas mon
cas) parle, quand il en appelle à une
« musculation intellectuelle ». Ce
faisant, il confond – et c’est justement
là la marque certaine du mépris de
classe – la culture, que clairement
certains joueurs n’ont pas, et
l’intelligence. Car, penser que
n’importe quel sport collectif, que ce
soit la football ou le rugby, le
handball ou le basketball, on puisse
être un très bon joueur simplement parce
que l’on a des capacités physiques, et
une technique, hors du commun, est une
immense erreur. Tous les sports
demandent une intelligence particulière,
qu’ils soient individuels ou collectifs.
Mais, les sports collectifs, et
justement parce qu’ils sont collectifs,
et de manière proportionnelle à la
taille du terrain sur lequel ils sont
pratiqués, impliquent des combinaisons
tactiques multiples qui peuvent changer
d’un moment à l’autre, et qu’il faut
choisir en quelques fractions de
seconde. Il a été montré à de nombreuses
reprises que ces combinaisons tactiques
s’apparentaient à celles des petites
unités (groupe de combat ou section)
militaires. Il faut donc avoir ce que
l’on appelle « l’intelligence du jeu »,
et cette « intelligence » mobilise les
mêmes mécanismes que l’intelligence. Dit
autrement, on ne peut pas être Henry,
Zidane, Pogba ou Griesman, et être con !
Bien sûr, il ne serait que trop
facile de pointer les erreurs de
comportement, les cafouillages
d’expressions, le langage même, de
certains joueurs. Mais, cela relève
justement de la culture et non de
l’intelligence, de la culture que l’on
apprend à la fois dans sa famille (d’où
la notion de capital culturel) et en
fréquentant l’école, le lycée, Science-pô,
HEC et l’ENA, bref ce qui a été le
parcours de François Hollande, même si
sur ce point on peut considérer qu’il en
a moins acquis que ce qu’il aurait dû et
que ses lacunes sont parfois flagrantes.
L’intelligence, elle, renvoie à la
capacité d’innover, de s’adapter,
d’analyser une situation et de ne pas
répéter les erreurs passées. On peut
donc être intelligent et manquer de
culture, tout comme l’on peut être
éduqué et cultivé et ne pas être
intelligent.
On voit donc où se situe le profond
mépris de classe de François Hollande,
ce mépris qui l’avait conduit à parler
des « sans dents » et qui s’exprime
encore à propos des footballeurs. Ce
mépris pour les gens qui n’ont pu suivre
le même parcours que lui, qui sont dans
une autre culture, une culture
qui peut d’ailleurs dans certains cas
être aux limites de la marginalité et du
banditisme, est l’irrémédiable preuve
que François Hollande est très
profondément un homme de droite, voire
d’extrême-droite.
Notes
[1] Davet G. et Lhomme F., Un
président ça ne devrait pas dire ça,
Paris, Stock, 2016.
[2] Sapir J., Souveraineté,
Démocratie, Laïcité, Paris,
Editions Michalon, 2016.
[3]
http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2016/10/12/31001-20161012ARTFIG00292-immigration-l-incroyable-aveu-de-francois-hollande.php#
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