RussEurope-en-Exil
L’affaire Benalla : nouvelles
pitreries
et nouveau déshonneur
Jacques Sapir
Vendredi 14 septembre 2018
Alexandre Benalla,
mis en cause dans diverses affaires dont
une usurpation de fonction et des
violences sur personnes à l’occasion de
la manifestation du 1er mai,
bref M. Benalla, ce sicaire employé par
l’Elysée, va donc finalement se rendre
devant la commission d’enquête du Sénat.
La déclaration qu’il a fait ce 12
septembre au matin à France-Inter n’en
est pas moins étonnante : “Aujourd’hui,
on me contraint, envers et contre tous
les principes de la démocratie
française. (…) Parce qu’on m’explique
qu’on va m’envoyer des gendarmes et des
policiers. (…) Je vais venir, à la
convocation. Parce qu’on me menace. On
me menace vraiment d’une manière directe.”[1] Cette déclaration
met fin à ce mouvement de tango auquel
se livrait M. Benalla depuis ces
derniers jours, une fois se disant «
prêt » à se rendre devant le Sénat, une
autre fois disant que, puisqu’il était
partie prenante à une procédure
judiciaire, il ne « pouvait pas » s’y
rendre, pour enfin reconnaître qu’il
n’avait d’autre choix que de s’y rendre.
Quand Benalla
fait le pitre mais ne fait rire personne
La question est en
effet assez simple. Une personne partie
prenante d’une procédure judiciaire doit
réserver ses déclarations sur les faits
couverts par cette procédure, au juge
d’instruction. Mais, cela n’empêche
nullement le Sénat, comme l’Assemblée
Nationale, d’entendre cette personne sur
d’autres points qui ne sont pas couverts
par la dite procédure. La déclaration du
11 septembre de son avocat, disant qu’il
ne se rendrait pas devant la Commission
d’enquête, avait provoqué une légitime
émotions tant de la part des sénateurs[2]
que de constitutionnalistes réputés.
Car, le pouvoir des commissions
d’enquêtes parlementaires est bien
défini dans un texte (une ordonnance)
datant de 1958[3].
Si M. Benalla n’avait pas décidé de se
rendre devant la commission sénatoriale,
il aurait été punissable de deux ans
d’emprisonnement et 7.500 euros d’amende[4].
Rappelons que M. Cahuzac, pourtant
lui-aussi visé par une procédure
judiciaire, s’était rendu devant la
commission d’enquête de l’Assemblée
nationale en son temps.
Bref, M. Benalla se
comporte en pitre. Il amuse la galerie
et « fait le buzz ». Mais, il faut se
rappeler que les charges qui pèsent sur
lui sont politiquement
extrêmement lourdes. Ce qui met en
danger la démocratie en France n’est
donc pas le fait qu’il ait été convoqué
et qu’on lui ait rappelé qu’il ne
pouvait se soustraire à cette
convocation. Ce sont les faits qui lui
sont reprochés et les comportements qui
ont entouré ces faits, comme la
constitution d’une cellule de sécurité
en dehors de toutes les règles et hors
de tout contrôle, qui constituent une
réelle menace pour la démocratie. Et
c’est là que la responsabilité du
Président se trouve, directement ou
indirectement, mise en cause.
Le déshonneur de
Nicole Belloubet, Ministre de la justice
Mais M. Benalla
n’est pas le seul à faire le pitre, et
cela pose aussi un problème de
démocratie. Madame Belloubet a pris fait
et cause pour Alexandre Benalla. Elle a
déclarée le 11 septembre : “Il ne
doit pas y avoir d’interférence entre
une commission d’enquête parlementaire
et une information judiciaire (…) au nom
de la séparation des pouvoirs“[5].
Cette déclaration est grave pour la
démocratie en France, comme le montre
Paul Cassia, dans un interview donné à
l’hebdomadaire Marianne.[6]
Nicole Belloubet
explique ainsi que le Parlement, s’il
contrôle le gouvernement en particulier,
ne devrait pas contrôler l’exécutif en
général et donc l’Elysée. Le
constitutionnaliste Paul Cassia[7]
remarque néanmoins qu’il s’agit d’une
lecture partielle de l’article 24 de
l’ordonnance de 1958 à laquelle la
ministre fait référence[8].
On peut le constater en lisant la
troisième phrase : “Le Parlement
évalue les politiques publiques“.
Or, l’Elysée est un service public comme
un autre, et non une zone de non-droit,
ou une bulle constitutionnelle.
Le problème,
évident pour tous, est que Madame
Belloubet est ministre de la justice. Si
elle souhaite se constituer conseiller
juridique de M. Benalla, qu’elle le
fasse, mais qu’elle démissionne d’abord
de sa fonction ministérielle. Cela
devrait être une évidence. Le rôle de la
Ministre n’est pas de prendre parti en
cette affaire. S’il y avait nécessité de
rappeler la loi, non seulement les
textes mais aussi la pratique, un
communiqué de la chancellerie aurait
amplement suffi.
Que cette évidence
n’ait pas empêché Mme Belloubet de faire
ces déclarations, et qu’elle n’hésite
pas à prendre parti dans un conflit,
montre qu’elle totalement perdu de vue
les impératifs comme les contraintes de
sa fonction. De ce point de vue, on a du
mal à concevoir qu’en bonne logique elle
puisse se maintenir à son poste.
Le président de la
commission d’enquête sénatoriale, M.
Philippe Bas un homme qui fut en son
temps secrétaire général de l’Elysée,
lui a, de fait répondu : « Les faits
judiciaires, c’est la justice qui s’y
intéresse, moi je m’intéresse au
fonctionnement de l’Etat (…) Nous
voulons savoir clairement les choses et
s’il y avait des interférences avec les
services officiels chargés de la
sécurité du président de la République.
Ce n’est pas un problème secondaire (…)
, c’est la continuité de l’Etat dans un
monde où le terrorisme rôde.
[9]»
S’il y avait un
conflit de compétence, ou un conflit de
juridiction, ce qui n’avait visiblement
pas soulevé de problèmes lors d’autres
affaires, c’était à une cour de dire le
droit. Car, la Ministre de la justice
est elle-même tenue par le droit ; elle
n’en est pas le gardien. Ce sont les
cours de justice ET le législateur
(l’Assemblée nationale et le Sénat) qui
peuvent jouer ce rôle et non une
Ministre.
La décomposition
de l’Etat sous l’action d’Emmanuel
Macron
Ces divers
scandales, qu’il s’agisse du
comportement de M. Benalla ou de celui
de Mme Belloubet, renvoient en réalité à
une situation de décomposition de
l’Etat. Cette situation découle
directement de la pratique et de la
politique du Président de la République,
M. Emmanuel Macron. C’est lui qui, par
son action ou par son inaction donne
l’exemple du non-respect de la forme
comme du fond de la loi. On en a un
récent exemple dans le coup de fil passé
par Emmanuel Macron à Gérard Larcher le
mardi soir 11 septembre à la veille de
la reprise des auditions par la
commission d’enquête du Sénat sur
l’affaire Benalla. Le président de la
République a exprimé son souhait que les
esprits se calment. Mais il s’est aussi
montré critique vis-à-vis de la tournure
des travaux de la commission d’enquête[10].
Or, ce n’est pas au Président de la
République de juger ou d’intervenir dans
les travaux d’une commission d’enquête
parlementaire. C’est une violation nette
et incontestable du principe de
séparation des pouvoirs.
Ce non-respect de
la Constitution s’accompagne, il faut le
souligner, d’un respect sourcilleux des
règles issues de l’Union européenne.
Tout se passe comme si Emmanuel Macron
ne se sentait pas tenu par les règles de
la République parce qu’il aligne son
comportement sur d’autres règles, dites
ou non dites, qui proviennent de la
Commission européenne. A cela s’ajoute,
mais c’est péché mineur par comparaison,
le fait que la gestion de ces scandales
par l’équipe présidentiel a été
déplorable. Mais, cette gestion
elle-même déplorable, les contradictions
dans lesquelles la « communication » de
l’Elysée s’est empêtrée, renvoie elle
aussi à ce mépris que montre Emmanuel
Macron pour les règles les plus
élémentaires de la République. La
déclaration qu’il fit à la fin de
juillet devant les députés de son parti,
rompant ainsi avec la tradition qui veut
que le Président de la République ne
soit pas un « chef de parti », en est un
exemple.
Les pitreries des
uns et des autres ne font rire personne.
La pratique politique d’Emmanuel Macron,
quant à elle, inquiète de plus en plus
de français à juste titre. Oui, la
démocratie est aujourd’hui mise à mal en
France. Mais, ce n’est pas en raison de
la convocation devant la commission
d’enquête de M. Benalla comme ce dernier
le prétend. La démocratie est mise à mal
par l’action et par le comportement du
Président de la République, et par les
effets que cela induit sur ses amis
politiques. Nous en sommes donc la en
France en ce mois de septembre de 2018.
Notes
[1]
http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2018/09/12/25001-20180912ARTFIG00065-benalla-etrille-les-petits-marquis-du-senat-pour-qui-il-n-a-aucun-respect.php
[2]
https://www.youtube.com/watch?v=mMXdzbLiTvc
[3] Ordonnance 58-1100,
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000705067
[4] Article 5 bis de
l’ordonnance 58-1100. Voir aussi :
https://www.lexpress.fr/actualites/1/societe/affaire-benalla-le-debat-s-enflamme-pour-la-reprise-des-travaux-du-senat_2034812.html
[5]
https://fr.news.yahoo.com/belloubet-juge-laffaire-benalla-instrumentalisée-065909126.html
[6]
https://www.marianne.net/politique/affaire-benalla-nicole-belloubet-instrumentalise-la-separation-des-pouvoirs?utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1536753242
[7]
https://www.marianne.net/politique/affaire-benalla-nicole-belloubet-instrumentalise-la-separation-des-pouvoirs?utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1536753242
[8] C’est aussi le cas
de l’article 5-ter :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=78CA6530DA999C80680201540A
17178C.tplgfr38s_2idArticle=LEGIARTI000023519111&cidTexte=LEGITEXT000006069203&
dateTexte=20180912
[9]
https://fr.news.yahoo.com/belloubet-juge-laffaire-benalla-instrumentalisée-065909126.html
[10]
https://www.nouvelobs.com/politique/20180912.OBS2270/commission-d-enquete-sur-l-affaire-benalla-macron-proteste-aupres-de-larcher.html
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