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L’inquiétant M. Macron…
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Samedi 11 février 2017
La candidature de M. Emmanuel Macron
prend aujourd’hui une certaine ampleur,
voire une ampleur certaine. Il est donné
actuellement en seconde position pour le
premier tour de l’élection
présidentielle d’avril prochain, étant
crédité d’environ 20% des suffrages.
Mais, cette candidature, portée à grand
bruits, à sons de trompes et de
cymbales, par une partie de la presse
interroge, et suscite de nombreuses
questions. Il est frappant que pour M.
Emmanuel Macron et ses partisans ces
questions ne soient vues que comme des
attaques possibles, et si possible –
cela fait tellement mieux aujourd’hui –
téléguidées par une « puissance
étrangère ». Pourtant, ces questions
sont parfaitement légitimes, et le
candidat devra y répondre.
Monsieur Macron et ses mystérieux
soutiens financiers
Ces
questions sont tout autant de forme que
de fond. Pour ce qui est de la forme, il
est légitime de s’interroger sur qui
soutient le candidat. Monsieur Macron
refuse de révéler la liste de ses
contributeurs. Etrange pudeur pour un
homme qui n’hésite pas à s’afficher avec
sa compagne en première page des
magazines. Aurait-il donc quelque chose
à cacher ? Il s’offusque, et avec juste
raison, des attaques sur sa vie privée.
Mais, les sources de financement d’une
campagne politique ne relèvent nullement
de la « vie privée ». Elles sont un
élément important d’information des
citoyens. Imaginons un instant que la
campagne de M. Macron soit financée par
de grands banquiers américains ou par
des émirs d’Arabie. Ne serait-il pas
intéressant que le citoyen français,
auquel M. Macron demandera son suffrage,
le sache ? Et, s’il n’y a rien de
politiquement répréhensible, de
scandaleux, dans les sources de son
financement, pourquoi M. Macron
s’obstine-t-il à ne pas les révéler ?
C’est une question certes de forme, mais
où l’on touche au fond. La transparence
sur le financement de la campagne est un
impératif dans toute démocratie qui se
respecte. Même si l’on convient que rien
n’est moins sûr que nous soyons
toujours, dans la France de 2017, dans
une démocratie. Car, nous en sommes là,
et M. Macron est justement un symptôme
de cet état des choses. Bref, on
aimerait savoir qui finance cette équipe
que l’on devine derrière le candidat,
qui paye ces « nombreux » experts dont
se réclame M. Macron. Est-ce donc M.
Drahi, ou l’un des quelconques
oligarques français ?
De
même, M. Macron a-t-il utilisé les
moyens du gouvernement, l’argent du
ministère, pour organiser les premiers
pas de son « mouvement » politique, qui
s’avère n’être qu’un très banal parti ?
On dira que c’est là péché véniel. Et,
encore une fois on veut bien en
convenir. Comparé aux scandales qui
frappent la campagne de François Fillon,
ce que la presse appelle le « Pénélope
Gate », il n’y a rien de comparable. Il
n’est nullement question
d’enrichissement personnel en la
matière. Mais, M. Macron aimant à se
présenter comme un candidat « anti-système »,
il serait bon que l’on sache s’il a
bénéficié des moyens financiers du dit
système pour lancer sa campagne et pour
soutenir ses premiers pas en politique.
Il y aurait là une plaisante
contradiction. Une contradiction qui
mettrait au grand jour la nature en fait
profondément démagogique de la campagne
de M. Macron.
Le
candidat « anti-système » ?
Car,
ce n’est pas rien que de se présenter
comme un candidat « anti-système » quand
on a le pédigrée d’Emmanuel Macron.
Brillant étudiant, jeune banquier
d’affaires, conseiller d’un Président de
la République : M. Macron fait
indubitablement partie du système
politique, de ce que Jean-Pierre
Chevènement appelait l’établissement. Il
ne peut impunément se prétendre dans un
rapport d’extériorité avec ce dernier.
Quand je fus invité à l’Elysée à l’été
2012, et quand M. Macron me reçut, il
avait un bureau mitoyen à celui de
François Hollande. D’ailleurs, ce
dernier passa une tête et se joignit à
la discussion que nous avions avec celui
qui était, très officiellement, le
conseiller économique du Président.
Ce
n’est donc pas rien que de se présenter
comme « anti-système » quand on a eu ce
genre de fonctions officielles, et quand
on a été Ministre, comme le fut Emmanuel
Macron. Il est possible qu’il ait trouvé
son chemin de Damas, entre la cantine de
l’Elysée et le salon où l’on sert le
café et les cigares. Il n’y a rien
d’impossible. Mais, avouons que l’on
aimerait en savoir un peu plus sur ce
qui aurait motivé la rupture de M.
Emmanuel Macron avec un « système » dont
il a largement profité et qui l’a bien
aidé, voire qui l’aide encore. Si l’on
ne veut pas croire que ce soit la seule
ambition, le gout du pouvoir pour le
pouvoir et non pour en faire quelque
chose, il doit nous en dire plus sur ce
point. Or, on remarquera à quel point il
est, sur cette question, d’un étrange
silence. Ce n’est plus un ancien
Ministre, mais c’est un poisson rouge
tournant dans son bocal.
Résumons nous : le point ici litigieux
n’est pas que M. Macron se donne pour un
candidat anti-système, mais qu’il ne
fournisse aucun élément
qui nous permette de juger de son
éloignement avec le dit système. S’il
est rupture avec ce qu’il appelle le
« système » il doit impérativement nous
dire pourquoi. M. Jean-Luc Mélenchon fut
sénateur et ministre socialiste, dans le
gouvernement de Lionel Jospin. Il s’est
clairement exprimé à ce sujet et il a
fourni d’amples informations sur ce qui
l’a conduit à rompre avec ce parti. Il
est donc parfaitement crédible en
représentant de cette gauche en révolte,
« insoumise » comme il aime à le dire,
face aux dérives dont le P « s » s’est
rendu coupable de puis vingt ans. Il
n’en va nullement de même avec M.
Emmanuel Macron. Ses mots sentent trop
la posture, et celle-ci révèle
l’imposture.
C’est
le fond qui manque le plus…
Tout
ceci met au grand jour ce qu’est la
candidature d’Emmanuel Macron. Une pièce
montée, avec ce gout un peu douceâtre et
écoeurant des pâtisseries de supermarché
qui ont le sucre et les lipides en
excès. C’est une candidature qui précède
le programme, alors que la logique
imposerait l’inverse. Car, se présenter
à l’élection présidentielle, ce n’est
pas rien, même si ce n’est que pour
briguer le poste de gouverneur d’une
France soumise à l’Allemagne. On attend
d’un candidat un programme et une
vision, qui ne se limite pas à des
effets de manche dans des salles de
réunions et devant des auditoires
conquis d’avance. On attend du fond ; et
le fond ici, contrairement à la fable du
laboureur et de ses enfants, c’est bien
ce qui manque le plus.
On ne
doute pas que les dizaines et les
dizaines de petites mains qui
travaillent inlassablement sous la
houlette de M. Jean Pisani-Ferri, ancien
conseiller de Jacques Delors, ancien
directeur du Conseil de Politique
Economique, n’arrivent à produire un
« programme », qui soit à la fois
détaillé, chiffré, et absolument
inopérant. Ce n’est pas cela faire de la
politique. C’est dire quelle doit être
la position de la France dans les temps
troublés qui nous attendent, que
propose-t-on face à la menace
terroriste, comment entend-on séparer
l’islam de l’islamisme pour garantir
l’exercice des droits des femmes et des
minorités, et garantir la laïcité. Mais,
de cela, ni Emmanuel Macron, ni les gens
qui le conseillent n’en sont capables.
Car ces gens, cet entourage issu des
divers couloirs et officines du pouvoir
depuis plus de vingt-cinq ans, cet
entourage donc si représentatif du
« système » contre lequel tonne Emmanuel
Macron, ne fait plus de politique depuis
longtemps. Il n’en fait plus car il a
renoncé à la souveraineté. Il se
contente de vivoter dans la technique.
Il est
possible que M. Macron en soit
conscient. L’homme ne manque pas ni de
finesse ni d’intelligence. Mais, pour
retrouver le sens de la politique, il
devrait rompre avec justement ave cet
entourage, et avec les soutiens que
celui-ci lui apporte. Or, que serait-il
sans ces soutiens, sans cet argent, sans
ces moyens ? Il n’aurait certes pas la
majorité de la presse française en train
de l’encenser.
Qui est
M. Emmanuel Macron?
Qui
donc est Emmanuel Macron ? Qui donc se
cache derrière cette image de gendre
idéal, que nous vend la presse à grand
spectacle ? Quelle est donc la réalité
de sa candidature ? Il se présente comme
un homme venu de nul part, ce qui à tout
prendre est mieux qu’un homme de je suis
partout. Mais ce nul part, cette
« société civile » dont il aime tant à
parler, n’existe pas. On vient toujours
en réalité de quelque part, que l’on
s’en réclame ou que l’on soit en rupture
par rapport avec son milieu. A vouloir
cacher l’origine de sa candidature,
Emmanuel Macron ne se rend pas compte
qu’il en révèle le sens de la manière la
plus éclatante qui soit. Il est le
candidat des oligarques, du MEDEF, de
ces affairistes qui confondent
l’industrie avec un immense jeu de
Monopoly, mais tout en évitant
soigneusement la case « prison ».
Mais
il sent bien que cette vérité ne peut
être dite. Elle serait une insulte pour
l’immense majorité des français, pour
ceux qui ont un emploi comme pour les
4,5 millions qui en sont privés, pour
tous ces gens qui ne rêvent pas de
devenir milliardaire mais tout
simplement d’avoir une vie digne et
normale, d’élever leurs enfants dans un
pays qui a un système éducatif qui
fonctionne, un système de santé qui
soigne également riches et pauvre, un
pays dans lequel on ne regarde pas à la
couleur ni la religion de l’autre, mais
on lui demande d’être français et
d’aimer la France.
Alors,
Monsieur Macron se cache tout en se
mettant en scène. D’où le malaise qui
aujourd’hui grandit à son égard. Même
ceux qui le soutiennent, ceux qui
assistent à ses réunions publiques, à
ces messes à grand spectacle, en sont
gênés. La fluidité de son électorat
potentiel indique bien que les français
ne sont pas dupes. Il nous vend un
personnage de théâtre, l’arriviste qui
crache dans la soupe qui l’a longtemps
nourrie. Il se veut en Rastignac du
XXIème siècle, mais ceux qui ont imaginé
le scénario qu’il nous interprète n’ont
pas le quart de la moitié du talent
d’Honoré de Balzac. Il prétend aux
premiers rôles mais, comme un autre
« gendre idéal » avant lui, il ne sait
pas que l’histoire est tragique. Il
finira tel un comparse de Splendeur
et Misère des Courtisanes. Il espère
que l’on gobera les mensonges qu’il nous
sert. Mais il ne saurait être question
d’acheter cette marchandise avariée.
On ne
votera pas pour Monsieur Macron, ni au
premier tour, ni au second.
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