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Loi El Khomri et 49.3
Jacques Sapir

© Jacques
Sapir
Vendredi 6 mai 2016
Il devient de plus en plus probable
que le gouvernement sera obligé, pour
faire passer la loi travail, dite « El
Khomri », d’avoir recours à l’article
49-3. On sait qu’en ce cas le texte
présenté est réputé adopté sauf vote
d’une motion de censure. L’usage de cet
article est un aveu de faiblesse. Que le
gouvernement en soit réduit là, après
l’abandon du projet de réforme
constitutionnelle, en dit long sur
l’état du pouvoir.
L’article 49-3 est souvent présenté
comme un acte d‘autoritarisme, un
dispositif anti-démocratique par la
gauche. Notons, cependant que jamais,
depuis 1981, la gauche n’a envisagé de
le retirer de la Constitution. Cet
article a été conçu comme un instrument
censé éviter au gouvernement de devenir
l’otage de « petits » partis dans le cas
de coalition gouvernementales. Rappelons
que les « pères » de la Constitution de
la Vème République écrivaient sous
l’influence des exemples de la vie
parlementaire sous la VIème et la IIIème
République.
De plus, cet article avec d’autres,
vise à protéger une majorité contre la
« flibuste » parlementaire à laquelle
peut être tentée de se livrer
l’opposition. Ce sont donc ces raisons
qui expliquent que l’article 49-3 ait
été maintenu dans la Constitution, et ce
quels que soient les commentaires des
uns et des autres. Parler de « viol de
la Démocratie » à son propos est tout à
fait excessif. Cet article a sa place
dans les procédures d’un parlementarisme
« rationalisé ».
Mais, son emploi devrait être limité
aux cas évoqués. Or, ce qui apparaît
aujourd’hui est bien un détournement de
la procédure par un gouvernement dont la
politique elle même a détruit sa
majorité parlementaire. C’est le trouble
engendré par le changement de politique
de la part du gouvernement qui rend
l’adoption de la loi « El Khomri » aussi
périlleux. Ici, il faut rappeler une
évidence : on est élu sur un programme.
Si l’on veut changer de programme, il
convient d‘appeler à de nouvelles
élections afin de prendre les français à
témoin.
User du 49-3 parce que l’on n’a pas
eu ce courage correspond alors, en
effet, à un viol de la démocratie. Les
articles de la Constitution qui
encadrent le travail du Parlement ont
été pensé pour le rationaliser et non
point pour assurer la survie d’un
gouvernement parjure à ses engagements
de campagne. Se servir de la
Constitution pour maintenir en l’état un
gouvernement désormais minoritaire comme
l’on se servait d’un corset de fer pour
maintenir debout un paralytique est un
détournement de l’esprit de cette
Constitution. Il ne pourra que renforcer
la méfiance des français envers leurs
institutions, chose grave dans la
situation actuelle. IL ne devra plus
s’étonner de l’opprobre dont il est
couvert et que les sondages
catastrophiques, que ce soit pour le
Président ou pour le Premier-ministre,
révèlent.
Le gouvernement, s’il se résout à
user de l’article 49-3 dans le contexte
actuel, sacrifiera sur l’autel d’un gain
de court terme des principes bien plus
généraux, et d’une portée bien plus
grande, que cette loi. Il montrera qu’il
n’a une compréhension qu’instrumentale
des institutions. Il fera la preuve de
son mépris de la démocratie et des
français.
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