RussEurope-en-Exil
Guignol ou la
décomposition de la « macronie »
Jacques Sapir
Vendredi 5 octobre 2018
Les pitreries qui
ont entouré la démission de Gérard
Collomb, pitreries somme toutes normales
car nous avions oublié l’origine
lyonnaise de Guignol, sont cependant
politiquement significatives. La
déclaration faites sur le parvis du
ministère par le démissionnaire refusé
puis accepté aussi.
Cette démission
s’inscrit dans une séquence désastreuse
mais logique pour Emmanuel Macron dont
le pouvoir est aujourd’hui à nu et dont
la méthode, mélange d’autoritarisme et
de népotisme (ou de clientélisme), ne
fonctionne plus. Ils se sont bien
envolés les espoirs que certains
plaçaient dans son élection. Emmanuel
Macron ne doit sa survie politique
qu’aux division et aux faiblesses de
l’opposition.
Des démissions
significatives
La démission de
Gérard Collomb, survenant après celle de
Nicolas Hulot signe une crise politique
grave. Qu’elle soit niée par Emmanuel
Macron et les siens n’y change rien.
C’est une crise politique car ces deux
ministres, ministres d’Etat par
ailleurs, occupaient chacun dans leur
registre une place clef dans le
dispositif de la « macronie ». C’est une
crise politique aussi en raison des
déclarations faites par ces personnes.
Nicolas Hulot
représentait le ralliement d’une
certaine « gauche », enamourée de
symboles écologiques, qui venait
contrebalancer le tournant de plus en
plus réactionnaire de la politique
sociale et économique du gouvernement.
Cependant, les couleuvres avalées à
répétition par Nicolas Hulot ont eu
raison de son estomac. Si sa démission,
annoncée avec fracas, a pu prendre le
Président de la République par surprise,
la déclaration qu’il fit en quittant le
Ministère est encore plus importante.
Dans cette déclaration, il s’en prend
nommément aux « lobbys » qui
empêcheraient toute action réellement
écologique de ce gouvernement . On ne
peut mieux dire que ce gouvernement,
loin d’agir pour l’intérêt général n’est
en réalité qu’à la solde d’une coalition
d’intérêts particuliers. Cette démission
a incontestablement porté un dur coup à
Emmanuel Macron, et le remplacement de
Nicolas Hulot par un personnage falot et
opportuniste, François de Rugy, n’y a
nullement remédié.
La démission de
Gérard Collomb, Ministre de l’intérieur
est un coup aussi grave, et même plus.
Il fut, en son temps, le premier soutien
politique de poids de l’ascension
politique d’Emmanuel Macron. Il
représentait son garant sur les
questions d’autorité. Mais, le Ministre
de l’intérieur ne taisait plus ses
critiques depuis quelques semaines et il
dénonçait l’isolement croissant du
Président . Il avait annoncé sa
démission pour après les élections
européennes. La fait qu’il ait avancé sa
décision, provoquant cet épisode digne
du théâtre de vaudeville qui a entouré
sa démission, montre aussi le désarroi
profond d’Emmanuel Macron. Mais,
retenons aussi la déclaration faite par
Gérard Collomb sur le parvis de son
ministère . Dans la mise en garde qu’il
prononce pour son futur successeur, il
décrit une situation tr ès dégradée, des
quartiers vivant de fait hors de la
République. Cette situation était connue
depuis des années, mais elle était niée,
par ignorance ou par projet, par une
partie de l’élite politique et en
particulier par cette partie qui a
soutenu Emmanuel Macron. Elle est
désormais dévoilée par le Ministre
lui-même. Ici encore, c’est une mise à
nu du projet théoriquement porté par le
Président.
L’image dégradée
d’Emmanuel Macron
L’impact de ces
démissions sur le pouvoir « macronien »
est dévastateur. Elles renvoient l’image
d’un pouvoir incohérent mais surtout à
bout de souffle, peinant à trouver des
remplaçants à la hauteur. Cet effet
provient, bien entendu, de la
dégradation profonde de l’image
d’Emmanuel Macron dans l’opinion ces
derniers mois. Et, cette dégradation de
l’image doit beaucoup au comportement,
et à ce qu’il révèle de la personnalité,
du Président de la République.
Ce n’est pas peu
dire que le Président de la République
paye sa gestion calamiteuse de «
l’affaire Benalla ». Au-delà du problème
politique de fond, comment laisser à un
homme sans références et sans
expériences la gestion de la sécurité du
Président par le seul « fait du Prince
», au-delà des diverses instructions
judiciaires (port d’armes, usurpation de
fonction, violence en réunion), Emmanuel
Macron n’a jamais su trouver le ton
juste pour parler de cette affaire. Sa
désastreuse sortie devant les députés «
En Marche » avec ces mots « qu’ils
viennent me chercher », a construit
l’image d’un Président chef de clan,
voire chef de groupe mafieux. On aurait
pu mettre cela sur le compte de
l’inexpérience, ou de l’exaspération,
voire des deux, si ce genre de
comportements ne se répétaient pas avec
régularité.
Ainsi, lors de sa
visite à Saint Martin, île qui fut
dévastée par un ouragan il y a un an,
une photo a fait scandale, où l’on voit
un Emmanuel Macron paradant
complaisamment avec deux hommes torses
nus, dont l’un est un repris de justice
notoire. Une partie de l’indignation,
comme le dit très justement André
Gunthert vient de ce que ce cliché
réactive des réactions racistes . Mais,
en fait, le racisme n’est sans doute pas
où l’on croit. Très clairement, la
diffusion de ce cliché fait partie de la
campagne de « communication » d’Emmanuel
Macron. Mais, pour cette communication,
il n’hésite pas à manipuler et
instrumentaliser des anciens
délinquants, sans se soucier de ce
qu’ils deviendront après son passage.
Car la fameuse photo est bien évidemment
« posée », et diffusée avec des arrières
pensées politiques évidentes ? En fait,
il y a là un immense mépris de classe,
mais aussi, un immense fond raciste, le
même qui s’exprimait dans la
plaisanterie grasse de Macron sur les
Comores .
Dernier point, la
sortie faite par Emmanuel Macron en
visite à Colombey-les-Deux-Eglises ou il
a déclaré que la France se porterait
“autrement” si les Français se
plaignaient moins et réalisaient leur
chance de vivre dans ce pays, et que :
«On ne se rend pas compte de la chance
immense qu’on a» . Ici encore, le propos
transpire l’arrogance, dégouline de
mépris. Car, les sacrifices demandés aux
retraités sont importants, et viennent
s’ajouter aux cadeaux fiscaux, directs
et indirects fait aux entreprises et au
1% les plus riches de la population.
Reprocher aux français de se plaindre,
quand on a soi-même toujours vécu une
existence protégée, est d’une indécence
rare.
Ces trois
incidents, et il en a d’autres,
décrivent un Emmanuel Macron qui
s’affranchit des codes de dignité dont
on attend qu’ils soient respectés par le
Président de la République, qui laisse
parler son inconscient ou s’exprime tant
un racisme basique qu’un racisme de
classe (et les deux sont de faits très
souvent liés) et dont le vocabulaire ne
cesse d’être insultant pour les gens qui
ne « sont rien ».
De la perte de
la « dignité » comme enjeu politique
Ces déclarations
ont largement abimées tant l’image d’un
Président que l’image politique
d’Emmanuel Macron. Et la question de la
« dignité », et celle-ci a été
sérieusement écornée tant lors de la
visite dans l’île de Saint-Martin que
lors de la « fête de la musique » de
juin 2018, nous ramène justement au
délitement rapide de l’appareil
politique d’Emmanuel Macron. Pour
comprendre cela, il faut faire un petit
détour par l’histoire romaine.
Dans la loi
d’investiture de Vespasien (69-79 de
notre ère), la fameuse Lex de imperio
Vespasiani, la ratification des actes de
l’empereur avant son investiture
formelle est dite « comme si tout avait
été accompli au nom du peuple » . On
perçoit que l’origine de la souveraineté
réside dans le peuple, même si ce
dernier en a délégué l’exercice à
l’empereur. Ainsi, le principe de
souveraineté populaire était déjà connu
il y a 2000 ans. On peut, assurément,
opposer la présence dans cette loi
d’investiture d’une clause
discrétionnaire, qui autorise l’empereur
à agir « hors des lois » dans l’intérêt
et pour la majesté de l’État. Paolo
Frezza parle de la « potestas nouvelle
et extraordinaire » de l’empereur .
Bretone, avec d’autres, lui oppose
cependant le sens profond de cette
clause discrétionnaire, qui peut être
l’origine d’un pouvoir autocratique , et
conclut : « la subordination du
souverain à l’ordre légal est
volontaire, seule sa ‘majesté’ pouvant
lui faire ressentir comme une obligation
un tel choix, qui demeure libre » . De
fait, l’empereur réunit dans ses mains
tant la potestas que l’auctoritas. S’y
ajoute l’imperium, que détenaient avant
lui les magistrats républicains. On
pourrait croire que cela clôt le débat,
car une subordination volontaire n’est
pas une subordination. Mais, la phrase
de Bretone ouvre une piste que cet
auteur n’explore pas. Quand il écrit, «
seule sa ‘majesté’ pouvant lui faire
ressentir comme une obligation », et
l’on rappelle ici que la conception
romaine de la « majesté » il y a aussi
la notion de « dignité », cela peut
signifier qu’un empereur qui violerait
les lois existantes pour son seul « bon
plaisir » et non dans l’intérêt de
l’État, perdrait alors la « majesté »
qui accompagne l’imperium. Dans ce cas
son assassinat deviendrait licite car le
« dictateur » se serait mué en « tyran
». Et l’on sait que nombre d’empereurs
sont morts assassinés, ou ont été
contraints de se suicider. On pense
entre autres à Néron ou à Caligula.
Il n’est pas dans
notre intention de souhaiter à Emmanuel
Macron le sort de ces empereurs. Mais,
la concentration des pouvoirs sur le
Président qui découle non, comme on le
dit souvent, de la Constitution de la
Vème République mais bien de la pratique
politique des présidents successifs
depuis George Pompidou, une pratique qui
nous a fait entrer de pleins-pieds dans
une sorte de VIème République, impose à
qui exerce cette fonction, une certaines
réserve dans son expression et une
certaine dignité dans son comportement.
Or, tant l’expression que le
comportement d’Emmanuel Macron renvoient
bien plus au « bon plaisir » et non à
l’intérêt de l’État. Et c’est ici que le
comportement individuel et la politique
se rejoignent. Le Président de la
République est le premier des
magistrats. Il doit avoir à l’esprit
l’intérêt de TOUS les français. En
s’écartant de cette règle, en
établissant son pouvoir sur de la
préférence personnelle (Benalla), du
clientélisme comme on peut le constater
avec le changement dans les règles de
nominations des recteurs afin de
privilégier une des ses proches ,
Emmanuel Macron perd ce qui lui reste de
légitimité. Il risque d’apprendre
bientôt, et à ses dépens, que la
légalité sans la légitimité n’est qu’un
fétu de paille.
Une crise
politique, une crise de régime ?
En dépit donc des
dénégations répétées d’Emmanuel Macron,
nous vivons bien aujourd’hui une crise
politique. La méthode Coué a rarement du
succès en politique. Mais, l’incohérence
de la politique du gouvernement,
gouvernement qui s’avère tous les jours
de plus en plus piloté par l’Elysée,
conduit aujourd’hui à se demander si
nous ne sommes pas au bord de la crise
de régime. La perte et le découragement
de ses alliés de la première heure est
un signe qui ne trompe pas. Le seul
espoir que peut conserver Emmanuel
Macron tient à ce que l’opposition est
toujours divisée. C’est ce qui fait son
ultime force.
Mais, qu’Emmanuel
Macron le sache, le mépris engendre
toujours la haine, et celle-ci conduit
bien souvent à la violence. Il doit se
convaincre rapidement que seul une
dignité de comportement et de parole
peut éviter que cette haine ne se
concentre sur sa personne, avec les
conséquences tragiques que l’on peut en
attendre…
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