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Le cadavre de l’UE
Jacques Sapir
© Jacques
Sapir
Mardi 5 juillet 2016
Le Brexit oblige les divers
dirigeants des pays de l’Union
européenne à une prise de conscience de
la crise que connaît cette dernière. On
constate que ce sont les dirigeants
français qui ont le plus de mal à
intégrer cette nouvelle réalité et à y
faire face. La sortie du monde des
illusions semble particulièrement
pénible, que ce soit pour François
Hollande ou pour Manuel Valls. Pourtant,
ce retour aux réalités s’impose car la
question aujourd’hui posée n’est plus
celle d’une « réforme » de l’UE mais de
sa transformation radicale, actant par
là la fin du projet fédéraliste. Tel
était le sens de l’appel signé par vingt
intellectuels, dont votre serviteur[1].
La nécessité de maintenir entre les pays
européens, et TOUS les pays européens,
des structures permettant des formes
adaptées de coopération est évidente.
Mais, les institutions de l’UE ne sont
plus en mesure d’assurer cette fonction.
En ce sens l’UE est morte.
Cette mort de l’UE implique que l’on
prenne conscience des réalités. Or,
certaines d’entre elles sont
particulièrement déplaisantes pour un
cerveau qui fut abreuvé par la
propagande européiste, comme c’est le
cas pour une large partie de notre
classe politique.
- Le « couple » franco-allemand
est mort. Cette mort est ancienne,
et il convient ici de dire que ce
« couple » ne fonctionna jamais
comme l’aurait voulu l’image
complaisamment diffusée en France.
Ce couple est entré en agonie dès de
l’Allemagne à procédé à sa
réunification. Les tentatives pour
le maintenir se sont heurtées à
cette réalité qu’une Allemagne
ayant, quant à elle, recouvré sa
souveraineté n’avait plus besoin
d’une alliance particulière avec la
France. Il est vrai que les
hésitations, les palinodies, des
dirigeants français, de Nicolas
Sarkozy à François Hollande ont fini
par l’achever. Faute d’avoir eut le
courage de parler fermement avec
l’Allemagne et de la mettre devant
ses responsabilités, nous devons
aujourd’hui affronter une crise bien
pire que si, en 2010 ou en 2011,
nous avions mis les dirigeants
allemands au pied du mur dissous la
zone Euro.
- Les divergences entre Allemands
et Français quant au futur de l’UE
sont irréconciliables. L’Allemagne
ne voit pas d’autres intérêts dans
une UE renforcée que le contrôle
qu’elle pourra indirectement exercer
sur les choix budgétaires des pays
voisins. Elle ne veut sous aucun
prétexte s’engager dans la voie de
plus de solidarité. La France, ou
plus exactement les dirigeants
français, qu’il s’agisse de François
Hollande ou d’Alain Juppé,
continuent de faire croire qu’une UE
renforcée est possible alors que
nous n’avons aucun moyen
d’imposer à l’Allemagne les
transferts budgétaires que cela
impliquerait. Sauf, bien entendu, à
envoyer une brigade blindée occuper
Berlin…La seule forme d’UE renforcée
admissible pour les dirigeants
allemands est celle de l’extension
de la politique austéritaire. Sinon,
ils se replieront sur une Europe des
États qui leur convient désormais
fort bien[2].
Le revirement de Wolfgang Schäuble,
le Ministre des finances allemand,
n’a pas été réellement compris, ni
même perçu[3].
Son ralliement à l’Europe des
Nations indique un changement
important dans la position
officielle de l’Allemagne.
- Ces divergences ont été révélées
crûment par le Brexit et la question
de l’attitude à adopter vis-à-vis de
la Grande-Bretagne. Si le
gouvernement français plaide pour un
« divorce » rapide, il se heurte là
au gouvernement allemand qui, tant
par pragmatisme économique que par
sympathie politique avec les
conservateurs britanniques entend,
selon la formule, « donner du temps
au temps ».
- L’inachèvement structurel de la
zone Euro et de l’Union Économique
et Monétaire a atteint désormais son
point critique. La montée des
mauvaises dettes dans le bilan des
banques italiennes et portugaises,
la crise fiscale qui s’annonce en
Grèce pour la fin de l’été sont des
symptômes d’une crise profonde.
Poids des
mauvaises dettes dans les bilans
Dans cette situation, il est évident
que plus longtemps on restera dans
l’incertitude et plus lourd sera le prix
à payer.
Cette crise de l’UE aboutit à une
situation où il n’y a que de mauvaises
solutions pour l’ensemble des pays. Dans
le bras de fer subtilement engagé par le
gouvernement conservateur britannique
avec l’UE, soit une position ferme est
adoptée et la Grande-Bretagne pourra
recourir aux diverses mesures de dumping
fiscal pour faire en sorte que cette
« fermeté » soit chèrement payée par
l’UE, soit un compromis raisonnable est
trouvé, et l’on se rendra compte que
l’on peut sortir de l’UE sans connaître
de catastrophes. D’ores et déjà, que ce
soit aux Pays-Bas, en République tchèque
et même en Italie, on peut voir monter
les oppositions à l’UE. Dès lors,
l’Union européenne est prise entre deux
feux : soit elle cherche à minimiser le
coût du Brexit, et elle joue dans la
main de ses opposants. Soit elle cherche
à « faire payer » la Grande-Bretagne,
comme l’ont dit très imprudemment et
très stupidement certains journalistes,
mais alors elle entre dans une situation
où les mesures de rétorsions
britanniques lui coûteront cher, ce qui
donnera d’autres arguments aux
adversaires de l’UE.
La seule solution intelligente
consiste à acter du décès de l’UE et,
comme nous l’avons écrit, à organiser
une conférence entre les pays qui
voudront bien y participer pour élaborer
un nouveau traité, remplaçant
complètement les traités précédents, et
même, en un sens le traité de
Maastricht, et mettant en place une
communauté des Nations. Tel était
le sens de cette initiative. Bien
entendu, on peut ne pas se faire
d’illusions sur cet appel. Mais, il faut
savoir qu’un nouveau système de
relations sera de toute manière
indispensable pour les pays européens.
L’union européenne est morte. Nous
avons le choix de vivre avec son
cadavre, et ses pestilences, avec tous
les risques qu’une telle politique
comporte, ou nous avons le choix de
l’enterrer. Mais, pour cela, il faut un
nouveau traité, non pas un traité de
replâtrage mais un traité refondant une
communauté à la place de l’Union. Tel
était, et est toujours, le sens de
l’appel signé. Nous ne serons réellement
débarrassé de l’UE que quand son
successeur sera en place. Mais, pour se
mettre réellement au travail, il est
clair qu’il nous faudra une autre classe
politique que celle qui, dans la
majorité ou dans l’opposition, existe
aujourd’hui en France.
[1]
http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2016/06/30/31002-20160630ARTFIG00290-brexit-vingt-intellectuels-eurocritiques-lancent-un-appel-pour-un-nouveau-traite.php
[2]
http://www.spiegel.de/international/europe/brexit-triggers-eu-power-struggle-between-merkel-and-juncker-a-1100852.html
[3]
http://www.irishtimes.com/opinion/derek-scally-germany-signals-rethink-on-europe-post-brexit-1.2710212
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