RussEurope
Guerre civile en Ukraine
Jacques Sapir
Mardi 3 juin 2014
Les évènements en Ukraine orientale
depuis le 25 mai ont donné tristement
raison à ceux qui prédisaient le
déclenchement d’une guerre civile. Il
n’est pas un jour sans que l’on ait des
nouvelles très inquiétantes de ce qui se
passe dans ces régions, sans que l’on
annonce des morts, que ce soit au sein
des insurgés, de la population civile –
qui paye un lourd tribut – ou parmi les
forces du gouvernement de Kiev. L’emploi
par le gouvernement de Kiev de moyens
militaires importants, hélicoptères de
combat,
avions à réaction qui ont bombardé
la ville de Slaviansk le 2 juin (ce qui
a été confirmé par l‘OSCE),
voire de lance-roquettes d’artillerie,
est tout particulièrement à noter. Il y
a de cela près de trois ans, les
gouvernements occidentaux – dont le
gouvernement français – s’étaient émus
de l’emploi de ce type d’arme dans la
guerre civile en Syrie. Plus avant, lors
de la guerre civile en Libye, l’argument
du massacre des populations civiles
avait été employé pour justifier ce
qu’il faut bien appeler une intervention
militaire. Il est frappant de constater
le silence assourdissant de ces mêmes
gouvernements alors que le gouvernement
de Kiev utilise exactement les mêmes
forces contre les insurgés. On ne peut
s’empêcher de penser qu’il y a
véritablement deux poids et deux mesures
avec lesquels sont pesées les vies et
les destinés des uns et des autres. La
haine de tout ce qui est russe et vient
de Russie aveugle suffisamment une
partie de la presse et des intellectuels
en France, à l’exception d’Emmanuel
Todd, pour que nul ne s’étonne de ce
silence assourdissant des « bonnes
âmes ».
L’élection présidentielle du 25 mai,
qui a vu l’élection dès le premier tour
de M. Porochenko comme président, n’a
pas conduit, là aussi comme on le
pressentait, à une amélioration de la
situation. M. Porochenko n’a été élu que
dans l’Ouest et la partie centrale du
pays. Sa légitimité reste contestable.
Il pourrait la construire, s’il se
décidait à ouvrir un dialogue immédiat
avec les insurgés et surtout à
interrompre immédiatement les opérations
militaires. Car il faut ici rappeler que
ces insurgés se sont levés contre
le gouvernement de Kiev mais pas
nécessairement contre l’Ukraine.
Des discussions avec des personnes
représentants la « République du
Donbass », de Donetsk et de Slaviansk,
montraient jusqu’à ces deux dernières
semaines la présence d’un fort
ressentiment contre le gouvernement
provisoire mais aussi l’acceptation de
principe de la participation à
l’Ukraine. Les revendications des
populations de l’Est de l’Ukraine,
qu’elles soient linguistiques ou
culturelles, n’apparaissent pas comme
déraisonnables1.
La demande pour une « fédéralisation »
de l’Ukraine aurait dû, et devrait
encore, être entendue. Mais la violence
des combats qui déchirent les régions de
Donetsk et Slaviansk, la peur qui
s’installe désormais à Odessa, en proie
à l’action des milices d’extrême-droite,
est en train de faire basculer une
partie des habitants vers un véritable
séparatisme, et vers l’idée que le seule
solution pour eux réside dans une union
avec la Russie.
Les lecteurs de ce carnet le savent,
j’ai défendu depuis le début de cette
crise la thèse d’une unité de l’Ukraine,
parce que c’était la solution qui me
semblait politiquement la plus adéquate.
Une scission du pays provoquerait des
répercussions en chaîne à la fois dans
la région et au sein de l’Union
européenne qui se retrouverait avec la
responsabilité de la gestion d’une
Ukraine croupion, réduite aux régions de
l’Ouest et du centre. Il est à craindre
que, dans cette situation, les habitants
de Lviv (L’vov) demandent leur
rattachement à la Pologne. Seule la
fédéralisation de l’Ukraine pourrait
enrayer ce processus. Mais elle exige
que les armes se taisent et que le
gouvernement de Kiev accepte de négocier
avec les insurgés. C’est une réalité de
l’Histoire : on négocie rarement avec
ses amis ! Sinon, c’est l’existence même
de l’Ukraine qui risque d’être mise en
question.
1-Recknagel C.,
« What
Are Eastern Ukraine’s (Legitimate)
Grievances With Kyiv? »,
RFE/RL []
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