Opinion
Leçons de Turquie : c'est le peuple qui
décide
Israël Adam Shamir
Reccep
Tayyeb Erdogan, le président turc.
©Sputniknews
Mercredi 20 juillet 20116
Le coup d’Etat en
Turquie
Le plus frappant, dans le coup d’Etat
raté en Turquie, c’est la réponse du
peuple. Les comploteurs avaient suivi la
procédure classique : s’emparer de la
station émettrice, envoyer un commando
tuer le président, stationner des
troupes en divers points cruciaux,
sortir les tanks. Ils avaient tout
calculé, sauf la réponse populaire. Dès
que le président a survécu à l’attentat
il a lancé un message de son téléphone
portable à la nation, invitant la
population à sortir dans les rues et à
décider de son avenir par elle-même.
D’abord, des milliers, puis des
dizaines de milliers, et même des
centaines de milliers de gens
ordinaires, hommes et femmes, ont défié
l’armée, se sont emparés des rues et des
places, en écho à l’appel de leur
président rescapé. Ils l’avaient élu il
y a juste quelques mois, et ils
n’allaient pas laisser l’armée leur
voler leur vote. Ce soulèvement massif
pour soutenir le gouvernement a brisé la
volonté des conjurés. L’histoire vient
de se faire, en Turquie, par l’action
directe du peuple.
Stupéfaits par le ratage épique du
putsch, les ennemis d’Erdogan ont alors
concocté une histoire en termes « d’hoax »,
de supercherie, du pur conspirationnisme.
Dans le pro-sioniste Al Monitor,
un expert turc posait la question, sous
forme d’accusation : « Pourquoi est-ce
que les putschistes, sachant qu’Erdogan
ne se trouvait ni à Ankara ni à Istanbul
mais passait des vacances sur la
Méditerranée, à Marmaris, ne se sont pas
déplacés pour l’arrêter ? » Mais nous
avons justement une vidéo des soldats
armés glissant sur des cordes depuis
leurs hélicoptères et prenant d’assaut
l’hôtel où résidait le président,
quelques trente minutes après qu’il
l’ait quitté. Les conjurés s’étaient
bien déplacés, mais pas assez vite. De
toutes façons, le peuple n’avait pas de
raison de penser que le coup était bidon
sur le moment. Ils étaient devant un
choix ardu : sortir dans les rues pour
soutenir le président, ou se terrer chez
eux. Et ils sont sortis soutenir Erdogan.
Voilà la meilleure façon de voter, la
démocratie immédiate, et c’est Erdogan
qui a remporté cette élection.
Malgré les dénégations de Kerry, tout
le monde pointe Washington et Tel Aviv,
et peut-être bien Bruxelles aussi.
L’Etat-major turc est connu depuis
longtemps pour ses sympathies pro Otan,
pro US et pro Israël. Le général
commandant le putsch, commandant de
l’armée de l’air, Akin Ozturk, a été
attaché militaire à Tel Aviv. Bekir
Ercan Van, le commandant de la base
aérienne de Incirlik a été arrêté après
s’être vu refuser l’asile politique aux
US. S’ils avaient réussi, ils auraient
été applaudis et fêtés en Occident. Et
oui, c’était bien un coup d’Etat, et
c’est un ratage.
L’homme derrière le putsch est réputé
être Fethullah Güllen, jadis allié d’Erdogan,
mais maintenant son ennemi acharné. On
prétend que son organisation Hizmet (le
Service) constitue un « Etat profond »,
ou un « Etat parallèle » en Turquie et
au-delà, avec des millions de partisans
à tous les niveaux, quelque chose de
semblable aux francs-maçons de jadis.
L’ancien officier du FBI Sibel Edmonds,
lanceur d’alerte, a décrit le réseau de
Gülen comme une création de la CIA.
Les Russes se sont débarrassés de
Gülen en interdisant les activités de
Hizmet en Russie depuis 2008. Le pilote
du F-16 turc qui a failli changer
l’histoire du Proche Orient en abattant
le bombardier russe SU-24 au-dessus de
la Syrie le 24 novembre 2015 (et qui
s’appelait Mustapha Hajruoglu, ont
affirmé ses concitoyens bosniaques)
s’est avéré être un homme de main de
Gülen et un putschsite, a dit le
maire d’Ankara Melih Gökcek. Son
hélicoptère a été abattu à Ankara. Ce
n’est pas un exemple d’improvisation :
en mars 2016, le journal
pro-gouvernemental Sabah a suggéré que
le pilote du F-16 était un partisan de
Gülen et avait agi selon ses
instructions. Que Gülen ait été hostile
à la Russie pour des raisons
personnelles ou qu’il ait obéi à des
ordres de la CIA, il a réussi à créer
l’inimitié entre Poutine et Erdogan.
Apparemment l la courageuse décision
d’Erdogan de présenter ses excuses à la
Russie et de revenir vers elle avait
précipité le putsch. Il y avait des
rumeurs à Moscou, selon lesquelles les
services secrets russes avaient prévenu
Erdogan quelques minutes avant
l’attentat, ce qui lui a permis de
s’enfuir vers İstanbul. Mais il s’agit
peut-être d’un souhait rétroactif.
Les Russes n’ont pas été très
consistants dans l’affaire turque. Après
l’attaque du SU-24, Poutine a parlé de
« coup de poignard dans le dos », et les
médias d’Etat avec leurs nombreux
Arméniens et juifs aux manettes se sont
déchaînés, en pleine hystérie, pour
lâcher des gigabytes de haine contre la
Russie, jour après jour, jusqu’à ce que
les Russes ordinaires finissent par
considérer Erdogan comme leur vicieux
ennemi personnel. Les russes
nationalistes se sont pris à rêver comme
les Russes de jadis à la prise
d’Istanbul ou Constantinople, comme elle
s’appelait il y a cinq siècles, pour y
restaurer la chrétienté : un vieux rêve
aussi futile que celui de restaurer
l’islam à Cordoue.
J’ai écrit quelques articles en russe
pour appeler à une prompte
réconciliation avec la Turquie et avec
Erdogan : mais mes relais habituels ont
refusé de les publier. J’ai donc dû les
publier dans des médias plutôt
marginaux. Pour ce qui est de la liberté
d’expression, j’ai bien peur que la
Russie ne vaille guère mieux que les US.
Quand Poutine a accepté la
réconciliation, les médias officiels
russes ont prestement changé leur fusil
d’épaule, et les Russes ordinaires, tout
contents, se sont empressés de réserver
leurs vols pour la Turquie. Ils ont
oublié leur haine en un clin d’œil.
Seuls les vieux grincheux aux abois
réclamaient du sang turc sur les réseaux
sociaux.
Israël a été parmi les derniers des
Etats qui ont appelé au triomphe de
l’ordre constitutionnel, et même alors,
le très bref message de Netanyahu
concernait principalement la
normalisation des relations en cours.
Son ami le général Sissi, le dictateur
militaire de l’Egypte, est allé jusqu’à
bloquer une résolution du Conseil de
sécurité condamnant le putsch. Ce qui
était assez naturel, puisque lui-même
est arrivé au pouvoir en déposant le
président élu.
Mais ce qui a marché en Egypte n’a
pas marché en Turquie. Les Turcs n’ont
pas cédé leur liberté et leur droit à
décider. Maintenant, après le putsch,
ils ont libres d’aller plus loin. J’ai
été particulièrement impressionné par
leur façon de chasser les juges, par
centaines (755, pour être exact). Il
apparaît que l’Etat profond, les
structures sociétales souterraines
ourdies par les services de sécurité et
par le Hizmet de Gülen, ont investi
énormément dans les juges et les médias
mainstream, c’est-à-dire dans les deux
pouvoirs les moins démocratiques aux
manettes ces temps-ci, et pas seulement
en Turquie.
La leçon de
la Turquie
Cela m’amène aux élections US.
Peut-être que les Américains peuvent
retenir une leçon ou deux des Turcs, et
plus. Donald Trump devrait bien aussi
apprendre quelques leçons du président
turc. Voilà ce que les Turcs devraient
vous apprendre, mes chers lecteurs
américains : ne capitulez pas devant les
comploteurs. Le pouvoir vous appartient
de plein droit, ne les laissez pas
usurper le pouvoir.
Les candidats usurpateurs étaient des
généraux qui ont sorti leurs tanks, mais
les usurpateurs US sont plus
sophistiqués : ils embrigadent les
banques, les politiciens, les partis,
les médias, la justice ; mais cela ne
les empêche pas d’être des usurpateurs,
qui rejettent et piétinent la
démocratie.
La démocratie, cela veut dire laisser
les gens décider ; mais il y a une
nouvelle classe qui vous confisque ce
droit à décider. Ils se placent
eux-mêmes au-dessus de la démocratie.
Ils sont paternalistes et condescendants
envers les citoyens de base. Ils parlent
au peuple et du peuple comme les
officiers turcs à ceux qui ont voté pour
Erdogan. Ils pensent qu’ils en savent
plus long. Ils dénient toute légitimité
aux autres points de vue, ou plutôt, ils
ne considèrent pas le point de vue
majoritaire comme légitime du tout. Ils
se croient supérieurs.
Et cette nouvelle classe ne se trouve
pas seulement aux US, elle est partout,
mais à cause de leur sotte arrogance,
ils peuvent être battus.
Au Royaume-Uni, les gens qui se
croient supérieurs ricanaient devant
l’idée de quitter l’UE. Ils disaient que
seuls des ploucs illettrés et homophobes
et racistes pouvaient voter pour rejeter
la tutelle bénie de Bruxelles et le
droit de recevoir des millions de
migrants de Pologne et de Turquie.
Chaque sondage annonçait leur victoire
parce que sondés hésitaient à admettre
qu’ils en avaient plus qu’assez des
plombiers polonais et de l’UE. Mais les
Anglais n’ont pas reculé au moment de
voter comme ils le voulaient. Et les
candidats à l’usurpation totale ont été
battus.
Ils ont été battus une seconde fois
quand ils ont essayé de chasser Jeremy
Corbyn de sa position à la tête du parti
travailliste. Leur tentative de putsch a
raté aussi lamentablement que celle des
Turcs. Un mélange de néocons lourdement
judaïsants, de blairistes, de migrants
mobiles en quête d’ascension sociale
s’est mis à attaquer Corbyn, tous à
l’unisson : mais les votants ont
répondu : bas les pattes.
En Russie aussi il y a des gens qui
se sentent supérieurs. Ils voulaient se
débarrasser de Poutine ; ils détestaient
l’église qu’il fréquentait ; ils
voulaient ouvrir les ressources aux
intérêts étrangers. La classe supérieure
russe est plus candide ; ils ne savent
pas tenir leur langue. Ils disaient
ouvertement que la majorité n’avait
aucune légitimité, parce qu’ils ne sont
pas suffisamment éduqués, qu’ils ne sont
pas assez riches, et qu’ils sont trop
provinciaux. Mais les électeurs russes
ont soutenu Poutine dans les urnes, et
dans les rues.
Et c’est au tour de l’Amérique. Votre
classe supérieure a décidé que c’est
Hillary qui devrait gouverner, parce
qu’ils ne font pas confiance à un homme
blanc. Les hommes sont trop
indépendants. Et ils se sont mis à
comploter, au lieu de briguer
honnêtement votre soutien.
Nous avons vu récemment comment ils
sont débarrassés de Bernie Sanders. Les
votes de la Californie n’étaient pas
encore comptés qu’on nous annonçait déjà
que Hillary l’escroqueuse était
gagnante. Dans chaque Etat, les listes
ont été trafiquées afin que Bernie ne
puisse pas gagner. Les vieilles machines
à voter ont permis aux hackeurs de
modifier juste un peu les résultats.
Peut-être que le bon vieux Bernie
lui-même a été le joker berné entre les
mains des comploteurs, ou le boxeur payé
pour perdre. Ou bien c’était un faible
et il n’a pas supporté la pression.
Toujours est-il que les comploteurs vous
ont volé votre vote, aussi sûrement que
les généraux turcs ont essayé de le
faire chez eux.
Maintenant ils sont en piste pour
vous priver de votre choix en
démolissant Trump. Les journaux sont
après lui comme des chiens rabattant
l’ours dans une chasse à courre. Tous
les jeux sont truqués avec eux, ils
veulent sa mort. Dans le New York
Times, chaque article sur Trump est
une flèche empoisonnée qui vous vise
vous personnellement. En bafouant ainsi
les lois élémentaires de la démocratie,
est-ce que les propriétaires et chefs de
rédaction de Forbes, du
Wall Street Journal, du New
York Times et autres ne donnent pas
la preuve que ce sont des putschistes
latents ?
S’ils échouent à battre Trump dans
les urnes, ils ont encore les juges dans
leur manche. Ils sont tout sauf
impartiaux ; ils sont la base de l’Etat
profond aux US, tout comme en Turquie.
A la Cour suprême, la vieille harpie
Ruth Bader Ginsburg, non élue, mais
nommée par . Clinton, a osé dire : « Je
ne peux pas imaginer ce que ce serait,
ce que serait ce pays, avec Donald Trump
comme président ». C’est une fatwa, un
herem, un ostracisme. C’est un appel au
putsch au cas où Trump gagnerait.
Croyez-vous qu’elle reculerait devant
une saloperie quelconque pour empêcher
Trump de gagner la maison Blanche ? Elle
et ses semblables estiment qu’ils sont
au-dessus de la démocratie de la plèbe,
dans tous les cas de figure.
Et ce n’est pas le seul juge qui
mérite le traitement d’Erdogan. Trump a
fait objection au juge Gonzalo Curiel
parce qu’il est membre de « La Raza »
[La Race hispanique, concept revendiqué
par Franco, ndt], une entité aussi
exclusive que le KKK, ou que le
Bnai’Brith ; malgré cela, le Wall
Street Journal a prétendu qu’il le
faisait pour des raisons ethniques.
Forbes a inventé une explication
tirée par les cheveux : « La Raza »
appartient à notre héritage commun, il
s’agit de « latinos qui maintiennent la
culture de Rome, basée sur la beauté et
l’harmonie, à l’opposé de la culture
barbare des Saxons, basée sur la
domination et la violence », ce qui à
mon avis, est parfaitement raciste.
Pour moi, d’ailleurs le racisme n’est
pas un critère décisif ou une faute
impardonnable ; après tout, le racisme
est comme le deuxième prénom d’un juif
sur deux, d’après mon expérience. Mais
c’est la duplicité qui me révulse :
pourquoi donc l’idée de Forbes
que « les latinos sont beaux et
harmonieux, tandis que la culture
anglo-saxonne est basée sur la violence
et la domination » serait-elle moins
raciste que le contraire?
Si vous insistez, d’accord, le
critère ethnique peut influencer la
décision d’un juge. Dans le conflit
israélo-palestinien, des milliers de
Palestiniens ont été tués, et ceci
inclut des citoyens américains, sans
qu’aucun Palestinien ait jamais reçu
réparation. Mais ce sont les proches de
juifs américains qui ont extorqué 600
millions de dollars comme dommages et
intérêts à l’autorité palestinienne ! Le
juge était juif, et ce serait une
coïncidence ?
Maintenant, tout dépend de vous. Vous
pouvez voter pour Trump, mais soyez
prêts à descendre dans les rues en
défense de votre légitimité. Ne laissez
pas faire les usurpateurs. Les Anglais
l’ont fait, il y a quelques semaines, en
votant pour le Brexit. Les Turcs l’ont
fait. Vous aussi, vous pouvez le faire !
Original publié dans
The Unz Review.
Pour joindre l’auteur adam@israelshamir.net
Traduction : Maria Poumier
Le sommaire d'Israël Shamir
Le
dossier Turquie
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