Opinion
Ça baigne, en Palestine comme en
Israël
Israël Adam Shamir
Israël
Adam Shamir
Mercredi 15 novembre 2017
Cent ans après la
Déclaration Balfour, où en est-on, en
Palestine? J’aimerais pouvoir
dire que la Palestine est en flammes et
qu’Israël souffre intensément, mais il
faut dire la vérité. Sous Netanyahou,
l’Israël et la Palestine prospèrent.
Jamais ça n’a mieux
marché. Le salaire minimum du côté
israélien est à plus de 1500 dollars; en
deux ans, il est passé de 4000 shekels à
5300 shekels. L’inflation n’a pas suivi,
en dépit des prédictions les plus
lugubres. Les pauvres ne sont plus si
pauvres, même si certains ne connaissent
pas vraiment la prospérité. Les prix en
monnaie locale sont stables. Sur la
scène internationale, le shekel est
haut, très haut (sans atteindre les
records fulgurants de 2014), et le
Trésor se bat pour l’empêcher de monter
encore. C’est pourquoi les prix
paraissent plutôt chers aux étrangers.
Un sandwich, le modeste falafel,
aussi israélien que palestinien, avec
une boisson, vous coûteront au moins 10
dollars, et à Tel Aviv cela vous sera
probablement préparé et servi par un
réfugié africain. Un menu à midi coûte
environ 20 dollars, un bon dîner
beaucoup plus, et il faut s’y prendre
bien à l’avance pour trouver une table.
Voilà pour le côté israélien. Du côté
palestinien, le même déjeuner vous
coûtera un peu moins, environ 15
dollars. Les restaurants sont bondés,
les Israéliens adorent la bouffe et ils
bouffent tout le temps, s’empiffrant à
tout bout de champ.
Les touristes se
ruent sur la Terre sainte, comme jamais.
En octobre dernier, tous les hôtels à
Jérusalem et à Tel Aviv étaient pleins ;
pas moyen de trouver une chambre à moins
de 200 dollars la nuit même franchement
loin de tout. A Bethléem et même à
Hébron, c’est pareil, les gens qui
remplissent les hôtels sont des
touristes en route pour Jérusalem. Il y
a la queue pour entrer dans les
sanctuaires les plus importants qui
drainent le tourisme, l’église de la
Nativité à Bethléem et le Saint Sépulcre
à Jérusalem ; ils font la queue pendant
des heures pour vénérer les lieux de
naissance et de mise au tombeau du
Sauveur. Les Palestiniens s’y retrouvent
en travaillant dans le bâtiment. La
construction connaît un vrai grand boum
partout en Cisjordanie. Des logements
neufs poussent sur la moindre friche.
Des villages encore pauvres hier comme
Imwas près de Bethléem et Taffuh près de
Hébron sont devenus de vraies villes
d’immeubles de trois ou quatre étages,
très semblables à ceux que convoitent
les Israéliens. Des bâtisses pas aussi
charmantes et splendides que celles que
construisaient leurs parents et
grands-parents, mais c’est la tendance
générale. Israël a réduit les
checkpoints internes qui séparaient
pratiquement chaque village palestinien
de ses voisins. Aujourd’hui, un
Palestinien peut se déplacer à peu près
sans encombre dans sa zone de résidence.
C’est toujours un cauchemar d’aller de
Bethléem (juste au sud de Jérusalem)
jusqu’à Ramallah (juste au nord de
Jérusalem) et il est presque impossible
d’aller à Jérusalem, mais c’est quand
même un progrès.
Ramallah est une
ville moderne, avec beaucoup de bons
logements de construction récente, des
hôtels cinq étoiles, des restaurants de
rêve, et l’université de Bir Zeit tout
près. Ce n’est plus la ville qui avait
vaillamment combattu l’armée israélienne
pendant la seconde Intifada de 2001.
Elle est devenue plus avenante. L’armée
israélienne continue à rentrer dans la
ville chaque fois que l’envie lui en
prend, et elle s’empare des citoyens,
parfois pour un simple post
irrévérencieux sur facebook. Ils
avaient arrêté ces jours-ci un jeune
homme parce que Google avait mal
traduit son « Good Morning » en termes
de « Go and Kill them » ou quelque chose
dans le genre, autrement dit :
« descends-les tous ».
Les citoyens
israéliens ne sont pas autorisés par le
gouvernement israélien à pénétrer dans
les territoires palestiniens. C’est
probablement judicieux ; si les
Israéliens pouvaient voir à quel point
leurs voisins vivent dans le même
environnement de style occidental, ils
comprendraient d’emblée que le Mur n’est
plus nécessaire, parce qu’il n’y a plus
guère de différence entre les deux
côtés, et ce serait la fin du
séparatisme que les juifs s’imposent à
eux-mêmes. Pour ma part, je ne peux pas
applaudir à cette convergence. J’adorais
la bonne vieille Palestine aux demeures
en pierre de taille au milieu des
vignobles, et les paysans palestiniens
toujours en train de prendre soin de
leurs oliviers et de leurs sources.
C’est bien fini. A Dura al-karia, un
charmant village aux fontaines
merveilleuses, les champs ont été
désertés. Les enfants des paysans qui
trimaient dur bossent dans les bureaux
du gouvernement de Ramallah, et ne
rêvent pas de revenir aux travaux des
champs. Les puits ne sont plus chéris
comme la seule source de la vie, on ne
les conserve qu’au titre de souvenir
d’un passé révolu. Le néocapitalisme a
démoli ce que le sionisme n’avait pas pu
tuer.
Mais c’est la
réalité du XXI° siècle. La même
évolution s’est produite en Provence et
en Toscane de l’autre côté de la mer ;
tandis que des choses bien pires
se produisaient tout près, en Syrie et
en Irak. Les gens se sont habitués à
cette nouvelle réalité, il n’y a que
nous, les vieux romantiques, pour nous
en plaindre.
Cet Israël prospère
peut facilement absorber la Palestine
prospère en abolissant ses lois
d’apartheid. Des années auparavant cela
aurait été un saut dans l’inconnu,
aujourd’hui ce serait une étape normale
et facile, comme de rendre pratiquement
invisible la frontière entre le Maryland
et la Virginie (rappelons qu’il y avait
une dispute frontalière entre les deux
autour du Potomac). Malheureusement,
personne en Israël n’appelle à franchir
le pas. Les partis de droite juifs qui
veulent intégrer la Palestine veulent
s’en emparer, mais sans les habitants.
Ils produisent des plans pour garder la
terre et se débarrasser des gens. La
gauche israélienne a pratiquement
disparu. Son parti travailliste a élu un
nouveau dirigeant ce mois-ci, et il a
déjà promis de ne jamais transiger sur
les colonies (qui devraient donc rester
juives pour toujours) et de ne jamais
permettre aux Arabes de rejoindre son
gouvernement. Il a également appelé à
montrer une attitude plus combative et
vigoureuse envers les voisins de l’Etat
juif : s’ils s’avisent de tirer un
missile, nous devrions en larguer
cinquante. Les Arabes ne comprennent que
le langage de la force, dit-il. Avec une
telle gauche, pas besoin de droite…
Ce serait donc
sensé, du point de vue des pertes et des
bénéfices, d’aller vers l’intégration,
mais cela l’était déjà auparavant, même
en 1948, quand Israël possédait le seul
port moderne de Haïfa, sur la
Méditerranée orientale, et que l’oléoduc
pouvait livrer le pétrole de Kirkouk aux
raffineries de Haïfa, et que le chemin
de fer reliait Beyrouth à Damas et au
Caire via Jaffa et Tel Aviv. Même alors,
les juifs auraient pu se la couler
douce, mais ils préféraient l’hostilité
éternelle. Quand j’y repense, je ne suis
pas sûr que cette fois ce sera
différent.
La deuxième partie
de la Déclaration Balfour, la promesse
de sauvegarder les droits des non-juifs,
s’est avérée bien problématique. Et tant
que les juifs ne sont pas contraints à
reconsidérer la question, aucun vrai
progrès n’est en vue. Mais même sans
progrès et dans des conditions
d’inégalité, la position géographique
unique de la Palestine et la politique
économique raisonnable de Netanyahou
rendent la vie tout à fait supportable.
C’est très agaçant de ne pas pouvoir
sortir librement de Bethléem pour aller
à Ramallah ou à Jaffa en voiture, c’est
douloureux de ne pas pouvoir prendre un
avion ou atterrir librement sur le seul
aéroport du pays, mais du point de vue
de l’économie, ça ne va pas si mal. Il
est probable que bien des noirs
prospéraient même au temps de Jim Crow,
et à l’époque de l’apartheid en Afrique
du sud…
Pour joindre
l’auteur:
adam@israelshamir.net
Traduction : Maria
Poumier
Publication originale en anglais
sur The
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