France-Irak
Actualité
Cinq questions sur Moqtada al-Sadr
Gilles Munier
Moqtada
al-Sadr
Mardi 24 mai 2016
Interview
de Gilles Munier par Denis Gorteau
(Que faire
– 24/5/16)*
Le leader
politique irakien Moqtada al-Sadr refait
parler de lui en Irak. Lui-même et son
parti ont été actifs dans un vaste
mouvement citoyen qui a manifesté
massivement (y compris dans le
parlement) contre la corruption du
gouvernement de Bagdad.
L’occasion pour
Denis Gorteau d'interroger Gilles
Munier, observateur de la situation dans
ce pays, sur le parcours de cet homme
politique atypique.
Denis Gorteau :
Né en 1973 Moqtada al-Sadr est le fils
d'un chef religieux irakien d'obédience
chiite assassiné en 1999. Son fils alors
âgé de 30 ans arrive sur le devant de la
scène politique irakienne dans le
quartier de Sadr City (ex Saddam City,
zone pauvre de la capitale). Pouvez-vous
nous parler de ce quartier et de ses
habitants ?
Gilles Munier:
Le quartier de Sadr City s’appelait
Saddam City sous Saddam et Al-Thawra –
La Révolution - lorsqu’il a été
construit sous le régime du général
Abdelkarim Kassem qui a renversé la
monarchie pro-britannique en juillet
1958. A l’époque, il s’agissait de loger
les populations chiites et sunnites
venues des campagnes afin que les abords
de la capitale ne se transforment en
bidonvilles. C’est devenu un quartier
populaire à majorité chiite avec la
migration vers Bagdad de paysans attirés
par la possibilité d’un emploi après la
révolution baasiste de 1968. La misère
s’y est installée pendant les 13 ans
d’embargo international et il est devenu
véritablement surpeuplé avec l’arrivée
des Arabes des marais, fuyant la région
du Chatt al-Arab asséchée pour creuser
un 3ème fleuve entre le Tigre et
l’Euphrate.
Je suis allé à
Saddam City à plusieurs reprises. Du
temps de Saddam, c’était un quartier
rebelle à la limite de l’explosion. Il
l’est toujours aujourd’hui avec ses
trois millions d’habitants en colère
formant le gros des partisans de Moqtada
et qui contestent la légitimité du
régime installé par les Américains.
Denis Gorteau :
Très vite Moqtada al-Sadr s'oppose à
l'occupation américaine et fonde une
milice et un parti politique. Dès 2004
les affrontements avec les occupants
vont être très meurtriers. D'autres
politiciens chiites pactisent avec les
occupants. Pourquoi Moqtada a-t-il cette
position ?
G.M: A la
différence des politiciens chiites et
sunnites parvenus au pouvoir dans les
wagons de l’armée US, en grande partie
déconnectés des réalités du pays,
Moqtada al-Sadr a vécu en Irak toute la
période baasiste, les 30 années de
guerre et l’embargo international. Pour
lui l’invasion et l’occupation
américaine n’était pas une libération
mais une agression étrangère contre
laquelle il fallait lutter. Il a réagi
instinctivement en véritable résistant.
C’est pourquoi il est extrêmement
populaire. Son autorité s’exerce bien
au-delà de la communauté chiite.
Denis Gorteau :
On accuse ses hommes de participer à la
guerre communautaire à Bagdad (expulsion
d'habitants sunnites). Est-ce vrai ?
G.M: En
2006, l’Armée du Mahdi qu’il dirigeait a
bien participé à la guerre civile
provoquée par l’attentat contre le
sanctuaire chiite de Samarra qui a
conduit au nettoyage ethnique et
religieux de Bagdad. Mais avant
d’accuser son organisation, il faut
prendre en considération ce que
faisaient les autres milices chiites,
les escadrons de la mort
gouvernementaux, Al-Qaïda au Pays des
deux fleuves de Zarqaoui, et les
puissances étrangères – Etats-Unis,
Grande-Bretagne et Israël - qui jouaient
la partition de l’Irak en jetant de
l’huile sur le feu.
Denis Gorteau :
Aujourd'hui - et depuis des années –
Moqtada al-Sadr a un discours politique
nationaliste qui s'adresse à tous les
Irakiens sans références à leur
communauté. Est-ce sincère dans la
mesure où ses hommes semblent moins
tolérants ?
G.M: Je
crois que Moqtada al-Sadr est sincère,
mais il doit tenir compte de l’extrême
complexité de la situation dans son pays
et au Proche-Orient. Issu d’une famille
descendant du Prophète Muhammad, il a un
rang de Sayyed à tenir et il le tient
honorablement. De plus, c’est un
nationaliste irakien, comme l’était son
père le grand ayatollah Muhammad Sadeq
al-Sadr, assassiné en février 1999. Que
certains de ses hommes soient moins
tolérants que lui, rien de plus normal
quand il s’agit de militants de base ou
de soldats affrontant des gens qui ne le
sont pas non plus… ou encore moins.
Denis Gorteau :
Quelles relations religieuses et
politiques a-t-il avec l'Iran ?
G.M: Moqtada
al-Sadr est un homme libre, autant qu’on
peut l’être dans une période troublée où
il ne faut négliger aucune alliance et
être capable d’en changer. Il a des
relations normales avec l’Iran, en tout
cas pas d’inféodation. Ce n’est pas
parce que son oncle le grand ayatollah
irakien Muhammad Baqer al-Sadr,
exécuté en 1980, est un des
inspirateurs de la constitution de la
République islamique iranienne, qu’il
faut en déduire qu’il partage
obligatoirement la conception du pouvoir
de ce dernier.
Au sein des
centaines de milliers de manifestants
ayant envahi la Zone verte, certains
criaient ouvertement « A bas l’Iran !
». L’ayatollah Ali Khamenei, guide
de la Révolution islamique, est un homme
pragmatique. Il ne tient évidemment pas
s’embourber dans le chaos irakien, ni à
voir l’Etat islamique finir par
déstabiliser la société iranienne. Il a
tout intérêt à ce qu’un régime capable
de lutter contre la corruption
s’installe enfin à Bagdad. Il y a
urgence ! A part Moqtada al-Sadr, je ne
vois pas qui peut l’imposer, puisque
Hadi al-Amiri – chef de la puissante
Brigade Badr, liée aux Gardiens de la
révolution iranienne - est occupé sur le
front anti-Daech,
*Source :
Que Faire
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occupera la Zone verte
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