France-Irak
Actualité
Législatives 2018 : l’Irak, pays
ingouvernable ?
Gilles Munier
Le choix
du futur Premier ministre irakien se
décide-t-il à l'ambassade US ?
Mardi 14 août 2018
Interdit de
rire ! La Commission électorale
irakienne a annoncé les résultats
officiels des législatives du 12 avril
dernier : la coalition En Marche
(Sairoun) de Moqtada al-Sadr
demeure en tête avec 54 députés et l’Alliance
de la Conquête (Fateh- 47 sièges) de
Hadi al-Amiri en gagne un. Pour les
autres, pas de changement sinon
dans la liste de leurs élus. Autrement
dit : circulez, il n’y avait rien à
voir.
Personne ne s’est
offusqué de l’annulation pure et simple
des bulletins des 882 urnes du quartier
Al-Roussafa à Bagdad (rive
gauche du Tigre), incendiées avant
le recomptage début juin où, pourtant,
60% des 2 millions d’électeurs de la
capitale ont votés.
A Kirkouk, où la
fraude est avérée, la Commission a
maintenu les résultats. Sur environ
1 140 bureaux de vote où des
manipulations ont été constatées, seuls
les bulletins de 190 bureaux ont été
recomptés. Arshad al-Salihi, président
du Front turkmène,
affirme que les juges ont subi des
pressions. Il va déposer une plainte,
sans illusions.
Boycott
En Irak, depuis
août 1990, date de la mise en place de
l’embargo international, la situation
humanitaire n’a fait qu’empirer, mais
pas pour la maffia qui dirige le pays
depuis la levée des sanctions. Ce n’est
pas l’annonce faite par la Banque
centrale, fin juillet dernier, que le
ministère de Finances a empoché 600
milliards d’euros depuis 2005 qui va
calmer la colère des manifestants
chiites du sud du pays, ou ceux qui, à
Bagdad – toutes ethnies et
confessions confondues – réclament
des conditions de vie normales. Tous
savent qu’en Irak les législatives sont
des élections bidons et qu’il n’y a rien
à en attendre.
Il n’est pas
interdit de penser que l’appel au
boycott du scrutin – plus de 55%
d’abstention - lancé par le cheikh
Jawad al-Khalissi, imam du mausolée Al-Khadhimiya
- où sont enterrés Moussa al-Kazim et
Muhammad al-Jawad (7e et 9ème
imam chiite) - a été en partie
entendu.
A la différence du
Grand ayatollah Ali al-Sistani –
surnommé Bush-stani sous l’occupation
- le cheikh Khalissi est connu pour
avoir soutenu la résistance contre les
troupes américaines (1) et pour
son rejet de la constitution imposée au
peuple irakien.
Pour lui, dont le grand-père était
un des leaders de la Révolution de 1920
contre les Anglais, la situation en Irak
ne peut être résolue par des
« élections factices », des
« alliances artificielles » ou
« dans les ambassades étrangères, en
particulier américaine et britannique ».
En juin dernier, il a annoncé la
création d’une
« Conférence nationale pour sauver
l’Irak ».
Recours
souverainiste
Les élus de 2018
vont pouvoir choisir le président –
kurde – de la République et le
président – sunnite - du
Parlement ; et Moqtada al-Sadr,
vainqueur du scrutin va poursuivre ses
contacts pour former un nouveau
gouvernement. Mais le veut-il vraiment ?
En posant
40 pré-conditions – très
contraignantes - pour recruter un
ministre, on a plutôt l’impression qu’il
se positionne comme recours
souverainiste dans le chaos qui va
perdurer.
Si tous les blocs
électoraux sont d’accord, du bout des
lèvres, pour lutter contre la
corruption, appliquer la préférence
nationale en ce qui concerne les emplois
dans le secteur pétrolier, et remettre
en état les infrastructures du pays, on
les voit mal interdire à leurs membres
dirigeants possédant la double
nationalité de postuler pour des
fonctions officielles, comme le voudrait
Moqtada al-Sadr.
Parmi les
personnalités irakiennes jouissant de la
double nationalité, on peut citer
Fouad Massoum (président de la
République) Iyad Allaoui
(vice-président de la République),
Haïdar al-Abadi (Premier ministre).
Ibrahim al-Jaafari (ministre des
Affaires étrangères), dont c’est
également le cas, a révélé que sur 66
ambassadeurs, plus de
32 avaient un passeport étranger. Au
Parlement, ce serait aussi le cas d’une
centaine de députés.
La plupart des
hommes politiques qui comptent ont la
citoyenneté britannique. Rien ne
prouve qu’ils l’aient abandonnée en
accédant à leur fonction. Rien ne prouve
non plus qu’ils soient tous manipulés
par les services secrets des pays où ils
étaient réfugiés, mais le doute subsiste
dans l’esprit des Irakiens, surtout
après que des ministres (Défense,
Electricité, Transports) et le
gouverneur de Bassora, accusés de
corruption
se sont enfuis d’Irak grâce à un
second passeport, leur pays d’adoption
refusant de les extrader.
La perspective
d’une Union
irako-iranienne
Bien qu’ayant
déclaré en juin soutenir Moqtada al-Sadr,
Hadi al-Amiri, chef des Haschd al-Chaabi
et de la Brigade Badr, dont la
coalition est arrivée en seconde
position,
tente indépendamment de réunir
suffisamment de députés pour présenter
un gouvernement dont il serait le
Premier ministre. Il aurait obtenu le
soutien de Nouri al-Maliki, de Massoud
Barzani et du clan Talabani, voire de
Haïdar al-Abadi qui joue sur tous les
tableaux dans l’espoir d’être à nouveau
choisi comme Premier ministre de
compromis par l’Iran et les Etats-Unis .
Mais, la
perspective de l’élection d’Al-Amiri
effraie Washington où il est décrit
comme un agent
du général iranien Soleimani, chef
de la Brigade al-Qods, d’autant
plus qu’il serait partisan de la
création d’une fédération – ou d’une
confédération – irako-iranienne…
Renverser un
gouvernement pro-américain
dans les deux mois
Réagissant à des informations selon
lesquelles l’ambassadeur
américain Douglas Silliman et Brett
McGurk, envoyé spécial de Donald Trump,
se sont entretenu avec des responsables
irakiens pour discuter de l’élection du
futur Premier ministre, Hadi al-Amiri a
assuré qu’il le renversera « dans les
deux mois » , si les Américains
parviennent à leurs fins. Il les a
sommés de ne pas se mêler des affaires
politiques irakiennes et a ajouté lors
qu’une conférence de presse :
« Avons-nous le droit de choisir un
policier en Iran, en Turquie, en Arabie
saoudite ou en Amérique? … Si la
réponse est non, alors pourquoi
devrions-nous accepter un Premier
ministre choisi par eux? ». A bon
entendeur, salut !
De son côté,
Moqtada al-Sadr a prévenu que s’il ne
parvient pas à constituer un
gouvernement, il créera un « Bloc de
salut national » dans l’opposition.
Lui qui se veut au-dessus des
partis, des ethnies et des confessions,
n’ira pas jusqu’à déclencher un conflit
intra-chiite pour imposer son programme.
Il suffit de se souvenir qu’en février
2011, en dépit de son soutien aux
manifestants anti-Maliki des
« Journées de la colère » (23
morts), il avait changé brusquement
de position pour soutenir ce dernier.
(Résultat des
courses dans quelques semaines : en
2014, il a fallu attendre 9 mois)
(1) En mai
2004, le cheikh Jawad al-Khalissi avait
constitué un
Congrès national de 500 membres dont
le comité de direction comprenait le
cheikh Harith al-Dari, président de
l’Association des oulémas musulmans
en Irak (sunnite) et des
personnalités kurdes. Le congrès
appelait au boycott du Conseil de
gouvernement irakien et des groupes
politiques parrainés par les Etats-Unis,
et réclamait le rétablissement de
l’armée national.
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