L'actualité du
droit
Dilma Rousseff tient le cap et
défend l’État de droit
Gilles Devers

Samedi 26 mars 2016
Ce qui est insupportable avec
les procès médiatiques, sur fond de
manipulation des foules, c’est bien sûr
l’approximation de l’argumentaire, avec
des tonnes de mots pour juste pour
accabler, mais c’est autant l’incapacité
à permettre au point de vue opposé de
s’exprimer. Des milliers d’articles, des
pages et des pages, pour nous expliquer
que Dilma et Lula sont en perdition…
mais pas une ligne pour leur laisser la
parole. J’avais donc fait le constat que
le Parti des Travailleurs avait été trop
honnête en refusant de se donner les
moyens de contrôler des organes de
presse mainstream.
Nous avons enfin un début de
réplique, avec une interview donnée par
Dilma à plusieurs organes de presse,
dont
Le Monde (occidental).
J’imagine que l’entretien a été très
conséquent, avec un recalibrage sérieux
pour la publication… c'est la loi du
genre… mais c'est dommage. Je m’amuse
aussi à lire le titre du Monde :
« La défense de Dilma Rousseff »… Pour
ce journal englué dans le
néo-colonialisme, Dilma est
définitivement en position d’accusée.
Impossible d’admettre qu’elle soit la
présidente du Brésil, réélue il y a à
peine un an, et qui résiste avec les
moyens de l'Etat de droit à une flambée
réactionnaire.
Malgré ces réserves, ces
déclarations de Dilma font beaucoup de
bien. Elles illustrent ce que veut dire
assumer la responsabilité du pouvoir
d’État.

Évoquant la procédure d’impeachment
dont vous faites l’objet vous parlez
d’un « coup d’État ». Est-ce approprié ?
En Amérique latine, nous avons
vécu des coups d’État militaires. Nous
vivons aujourd’hui dans un système
démocratique, et les coups d’État ont
changé de nature. Un coup d’État
aujourd’hui correspond à la violation de
la Constitution, qui garantit les droits
individuels, institutionnels,
l’indépendance des pouvoirs et le
respect des droits de l’homme. La loi
est claire : pour qu’il y ait
impeachment, il faut qu’il y ait un
crime de responsabilité. La motivation
de la procédure en cours est fragile :
on me reproche le pédalage fiscal
(recours passager à l’emprunt pour
financer des dépenses sociales,
permettant ainsi un décalage de
trésorerie). Un procédé que, jusqu’à mon
premier mandat, tous les présidents ont
utilisé.
Une procédure de destitution
sans base légale constitue un coup
d’État institutionnel. C’est dangereux.
La population brésilienne manifeste. Je
suis favorable aux manifestations. Je
suis d’une génération où, quand on
ouvrait la bouche, on allait en prison.
Il faut écouter la rue, mais la clameur
de la rue ne peut être utilisée pour
contraindre des députés, des ministres.
Ce ne sont pas des méthodes
démocratiques. Ce sont des méthodes
fascistes.
Si la procédure de
destitution venait à aboutir, quelle
serait votre réaction ?
Dans une démocratie, on se doit
de réagir démocratiquement. Nous aurons
donc recours à tous les instruments
légaux en notre pouvoir pour mettre en
évidence ce coup d’Etat. Si on ne répond
pas à ces violations constitutionnelles,
la vie politique en gardera des
cicatrices profondes. Nous devons
réagir, répondre à l’ordre intimé par
les manifestants : « Nao vai ter golpe »
(Il n’y aura pas de coup d’Etat).
Notre démocratie est née de luttes,
de morts, de tortures, de tentatives,
d’erreurs, de succès… Nous ne devons pas
l’affaiblir.
La nomination de
l’ex-président Lula comme ministre de la
« Casa Civil », sorte de premier
ministre ou chef de cabinet, a été vu
comme une manœuvre pour lui éviter la
prison…
Tout est fait pour fragiliser
mon gouvernement. La venue de Lula me
renforcerait. Lula n’est pas seulement
un habile négociateur, il connaît très
bien les problèmes du Brésil. Il est
sans l’ombre d’un doute le meilleur
leader depuis Getulio Vargas. Nous avons
travaillé ensemble, bâti une série de
programmes sociaux comme « Minha Casa
Minha Vida » (Ma maison, ma vie pour
l’accès à la propriété). Supposer
que l’ex-président viendrait au
gouvernement pour se protéger ne peut
naître que dans l’esprit de quelqu’un
qui cherche des problèmes.
Quelle protection étrange ! Un
ministre n’échappe pas aux poursuites.
Il dépend de la Cour suprême, que
personne ne peut contester. La question
n’est pas d’être jugé ou pas, mais par
qui. Supposer que la Cour suprême est
plus légère révèle une méconnaissance du
droit pénal brésilien. L’affaire du « Mensalao »
(scandale d’achat de voix au Congrès
en 2005) a été jugée par la Cour
suprême. Quoi qu’il advienne, Lula
viendra m’épauler, et si ce n’est en
tant que ministre, ce sera en tant que
conseiller.
Pourquoi ne pas s’en
tenir à ce rôle ?
Lula n’a jamais cessé d’être
mon conseiller. Je l’ai convié au
gouvernement depuis le début de mon
second mandat. Voyant la crise
s’installer, il a fini par l’accepter.
Que répondre à ceux qui
vous suggèrent de démissionner ?
Pourquoi démissionner ? Car je
suis une femme fragile, pour éviter de
m’obliger à partir pour de faux motifs ?
On dit « elle doit être épuisée ». Ce
n’est pas le cas. J’ai été emprisonnée
trois ans sous la dictature militaire.
La lutte pour la démocratie de mon pays
me donne la force. Je ne suis pas
déprimée. Je dors bien. Pour m’ôter le
pouvoir, il faudra des preuves.
Convoquer Lula comme
premier ministre, n’est-ce pas une forme
de renoncement ?
Lula est mon partenaire. J’ai
aidé Lula lorsqu’il était confronté à
l’adversité. En 2005, j’ai été son
ministre de la Casa Civil en pleine
crise du « Mensalao ». J’ai la certitude
qu’elle m’aidera aussi. En aucun cas il
ne s’agit d’une démission, c’est l’union
des forces.
Les scandales de
corruption ont conduit à une défiance
généralisée des politiques. Comment
restaurer la confiance ?
Quand on commence à remettre en
question les dirigeants politiques,
surgit la quête d’un « sauveur de la
patrie » mais qui peut mener à la
tentation autoritaire. Le système
brésilien tel qu’il est mènera
régulièrement à des crises. Un
gouvernement a besoin de trois partis,
cinq au maximum. Au Brésil, il en faut
une douzaine. Il faut conclure un pacte
pour dessiner l’issue démocratique de
cette crise. Nous pouvons modifier les
choses, mêler le présidentialisme au
parlementarisme, approfondir le
présidentialisme… Mais ceci ne peut être
fait sans un accord. Il faut un
dialogue. Prendre son temps. Les
conquêtes se font à cheval, gouverner se
fait à pied.
Que dire de
l’économie ?
Nous avons dû mener une cure
d’austérité, non pas pour cesser les
programmes sociaux, mais pour les
maintenir. Pour cela, il nous fallait
des recettes supplémentaires. Mais il y
a eu cette attitude démagogique
consistant à bloquer les lois visant à
les obtenir. Il faut en finir avec ça.
Nous avons les moyens de sortir de la
crise cette année. Le mode de pensée de
l’opposition qui consiste à dire « le
pire pour le gouvernement sera le mieux
pour nous » est pervers.
Craignez-vous une
explosion sociale ?
Le Brésil n’est pas un pays en
insurrection. Mais je déplore la montée
de l’intolérance politique, la
confrontation entre les deux camps. Des
amis, des familles se battent, ce n’est
pas une bonne base pour la démocratie. À
la veille des manifestations du 13 mars
deux (réclamant l’impeachment),
j’ai parlé à la télévision pour rappeler
le droit de manifester, pas d’être
violent. Mais je crois en l’esprit
pacifique du peuple brésilien.
Des soupçons planent
sur vos campagnes électorales. Avez-vous
bénéficié de financements illégaux ?
Non. Toutes mes campagnes ont
été approuvées par la Cour des Comptes.
Toutes. Mais j’aimerais savoir où sont
les financements illégaux. Joao Santana
(publicitaire de sa campagne,
soupçonné dans le cadre de l’enquête
Lava Jato) et sa femme n’ont rien à
confesser à ce sujet.
En tant que ministre de
l’énergie vous étiez au conseil
d’administration de Petrobras. Comment
pouvez-vous ignorer le scandale ?
Il y a une différence entre
directeur exécutif et conseil
d’administration. Le conseil reçoit ces
informations du directeur exécutif. Je
n’étais pas seule membre du conseil
d’administration. Nous étions un groupe.
Aucun de nous n’a jamais rien su de ce
scandale.

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