L'actualité du
droit
Affaire Lambert : Drame pour la
médecine; Irresponsabilité des juges
administratifs
Gilles Devers
Samedi 25 juillet 2015
Dans la dramatiquement célèbre
affaire Lambert, devenu le plus trash
des sitcoms bleu-blanc-rouge, le dernier
épisode ne manque pas de sel… Les
principes les plus élémentaires du droit
médical sont bafoués.
La
prohibition de l’acharnement
thérapeutique
La CEDH (6 juillet 2015)
vient de confirmer le Conseil d’Etat
(24 juin 2014), qui avait confirmé
la décision des médecins (10
avril 2013) estimant, après
cinq ans de soins (depuis un
accident de la route de 2008) que,
selon les critères scientifiques les
plus établis, la vie continuait, mais
sous l’angle de l’acharnement
thérapeutique, et donc il fallait passer
aux soins palliatifs. L’analyse médicale
faite par l’équipe en avril 2013, et
suspendue du fait des procédures, était
juridiquement confirmée, donc tout
allait reprendre son cours. Et là,
retournement complet de la situation :
l’équipe renonce. Elle confirme les
données médicales, explique pourtant
qu’elle ne fait rien, saisit le
procureur aux fins d’ouverture d’une
procédure de « protection globale (ce
qui ne veut strictement rien dire) et
dit s’en remettre à la décision du
ministère de la santé. L’établissement
s’est empêché d’entériner. Courage,
fuyons…
C’est une donnée établie depuis
de décennies : le droit rejoint toutes
les morales pour dire que l’heure c’est
l’heure, et que l’acharnement
thérapeutique, c’est-à-dire le maintien
en fonctionnement physiologique du
système cœur-poumon alors qu’il n’existe
plus aucune activité neurologique, est
ascientifique, donc amédical, donc
illégal et amoral. Depuis le 10 avril
2013, toutes les données scientifiques
montrent que, au sens de la loi, on
n’est entré dans la médecine rompant
avec la science, la médecine de
l’acharnement. Et cela peut durer très
longtemps… Voir pour les cas
médiatiques, les situations de Franco ou
de Sharon.
En cette fin juillet 2015,
l’équipe médicale du CHU de Reims avait
donc à entériner la décision de l’équipe
médicale de 2013. Oui, je dis clairement
« à entériner », car dans un Etat de
droit, l’autorité de chose jugée, ça
compte. On débat le temps du procès,
mais après, le juge tranche, et on s’y
tient. Il n’existe plus aucune société
si on ne respecte pas les décisions des
juges.
Et là, tout a lâché.
La médecine sombre devant les
procédures. A déplorer le soutien
minimaliste du conseil de l’Ordre des
médecins, qui manifestement, ne comprend
pas ce qui se joue.
En réalité, tout s’est effondré
devant une déclaration
des évêques du centre-est,
dont le cardinal Philippe Barbarin, se
prononçant contre un arrêt des soins,
estimant que le « terme de la vie
n'appartient à personne ». Les détraqués
de la laïcité n’ont rien trouvé à
redire... Imaginez un instant un iman
qui contredise une décision de justice…
Vive la laïcité et ses amours funestes
avec l’accordéon. Que l'Eglise ait
un point de vue sur le fin de vie, c'est
heureux, mais j'aimerais bien savoir ce
qui autorise Barbarin à se mêler d'une
affaire médicale
individuelle, alors qu'il n'est pas
médecin et que le patient de l'a en rien
mandaté !
Les
réactions
Le CHU s’est contenté d’un
admirable communiqué en langue de bois
100% pur bois : « L'évaluation de
Vincent Lambert a conduit à constater
que la situation clinique était
comparable à celle qui avait été
rapportée par les experts mandatés par
le Conseil d'Etat ». Donc, le ciel est
bleu, et bleu est le ciel.
La famille se déchire sous les
sunlights.
François Lambert, un neveu :
« Les médecins du CHU vont demander au
procureur de Reims de nommer un
référent, qui ne peut être qu'extérieur
à la famille au vu du contexte très
conflictuel. Lors de la réunion, les
médecins très tendus nous ont signifié
que la décision d'arrêt des traitement
ne pouvait désormais relever de la
médecine vu les menaces et les pressions
qu'ils subissaient les empêchant de
travailler sereinement ».
Rachel Lambert, l’épouse, en
larmes : « Je suis dans
l'incompréhension totale, la Cour
européenne et le Conseil d'Etat
s'étaient prononcés et j'espérais la fin
de ce parcours judiciaire ».
Viviane Lambert, la mère : «
C'est un grand soulagement et si on
demande une protection pour mon fils,
cela prouve bien qu'il est vivant ».
Dans un communiqué, Jérôme
Triomphe et Jean Paillot, les avocats
des parents de Vincent, ont salué « une
heureuse décision » et un nouveau
« départ pour Vincent et sa famille » en
appelant à un transfert du patient vers
un autre établissement, ajoutant « De
nombreuses autorités scientifiques et
morales sont intervenues pour dissuader
le CHU de Reims de continuer dans cette
voie de l'acharnement à vouloir mettre à
mort Vincent Lambert malgré des mises en
cause médicales, déontologiques et
pénales graves ».
Marisol Touraine, la sinistre
de la Santé, a osé dire qu’elle
apportait « tout son soutien à l'équipe
soignante », soulignant que celle-ci n'a
« pas pris cette décision parce qu'elle
refuse d'arrêter le traitement » mais
pour des raisons de sécurité. Waouh, le
terrorisme catho, qui fait de l’hôpital
de Reims zone de non-droit ? Des
menaces ? Et on reculerait devant les
menaces, sans avoir déposé plainte ?
Un peu
de droit
1/ La famille,… euh les
familles
Un juriste n’est pas juge des
sentiments. Les deux clans se battent
pensant bien faire, en voulant être
fidèles à la mémoire de leur proche. Je
n’ai rien à dire à propos de ces
attachements contradictoires, ce n’est
pas le problème. Que chacun cherche à
faire valoir ses vues, c’est le propre
de la vie.
Le problème est que, inversant
toutes les règles de droit,
le Conseil d'Etat a autorisé la famille
à contester en justice
les décisions médicales.
Vous n’êtes plus soigné par le médecin,
mais par le juge ! La mère avait préparé
tous les recours pour s'opposer à
la décision attendue... et
maintenant l’épouse qui pourrait parfaitement saisir
le juge des référés...
2/ Les médecins du CHU de Reims
La réaction des médecins du CHU
de Reims est en dessous de tout, et
l’équipe paie cash
son erreur d’origine. Lors du tout
premier référé, il fallait s’opposer
radicalement à cette intrusion du juge
dans la décision médicale. C’était la
première fois de l’histoire de la
médecine qu’un juge était saisi pour
bloquer une décision médicale, et il
fallait se battre contre cette
intrusion. Mais l’hôpital n’avait même
pas voulu prendre d’avocat, et avait
laissé le médecin se rendre seul à cette
audience,... et sans former la moindre
contestation. La brèche ouverte était un
gouffre : dès qu’un médecin prendra une
décision, une partie de la famille
s’opposera en collant un référé.
Résultat : je suis le malade, mon
médecin est ligoté par des recours en
justice fait par des tiers, et je me
retrouve soigné par un juge. De quoi
devenir dingue ! Le truc va se
généraliser, et on verra ce qui restera
de la médecine dans quelques années.
Et là… Cette demande de
« protection globale » ne répond à
aucune notion juridique. En réalité, ce
que veulent ces pétochards de médecins,
c’est que le procureur prenne la
décision à leur place. C’est la
catastrophe : faites confiance aux
hôpitaux publics, et si ça se gâte,
c’est le procureur qui viendra vous
soigner.
3/ Les fautifs sont les juges
Et je précise, les juges de la
juridiction administrative, à commencer
par
le Conseil d’Etat, car les juges
judiciaires sont eux restés dans le
droit chemin du droit et refusent de
s’immiscer dans la pratique des soins.
Le Conseil d’Etat avait deux
bonnes raisons de renoncer à la
tentation de se mêler de ce qui ne le
regarde pas.
La première était un principe,
à savoir que le juge ne peut en aucune
manière s’immiscer dans la relation
médicale. La relation médicale est tout,
la rencontre d’une confiance et d’une
conscience, mêlant les connaissances
scientifiques et l’engagement humain,
dans un contexte de secret, d’intimité
et de consentement. Le juge ne contrôle
jamais la légalité d’une décision
médicale, car en droit, ce n’est pas un
acte juridique. Il peut, après coup, à
la demande du patient ou de ses
ayant-droits, procéder à l’analyse de
fautes.
La seconde était formelle, car
aucun texte de procédure ne permettait
cette intervention. Il suffisait donc de
le dire. Mais, pour se prononcer, le
Conseil d’Etat a inventé une procédure
de A à Z. Un abus de pouvoir
juridictionnel caractérisé,… et alors
que le parlement discutait d’une
évolution de la loi, pas un
parlementaire n’a osé dire un mot contre
le Conseil d’Etat, qui a bafoué les
principes et bousculé tout le droit de
la fin de vie, avec les résultats que
l’on voit aujourd’hui.
Le patient a été le grand
absent des procédures : avec ce système
délirant, le patient n'est plus sujet
de droit, mais
seulement l’objet du procès. Il n'existe
plus ni consentement, ni
secret professionnel, et des équipes
médicales sont condamnées à pratiquer
des actes médicaux relevant de
l'acharnement thérapeutique - traitement
inhumain et dégradant - en
toute irresponsabilité, car ces
actes ont été ordonnés par
une décision de justice. Merci le
Conseil d'Etat !
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