L'actualité du
droit
Thalys : Terrorisme ou truanderie
? Rien ne colle…
Gilles Devers
Photo:
D.R.
Lundi 24 août 2015
Quarante-huit
heures de garde-à-vue et toujours pas de
communication du Parquet… L’affaire ne
doit être pas si évidente que ça, et les
« experts » en terrorisme étaient hier
soir en retrait... Pour savoir, il
faudra attendre, mais ça n’empêche pas
d’essayer de réfléchir, et de poser des
questions.
Ce dimanche
soir, nous avons les fuites concordantes
sur le déroulement des faits, et
l’interview de
mon excellente consœur qui assisté
Ayoub El-Khazzani lors de la première
audition à Arras. Depuis samedi matin,
l’agresseur est entendu par la Direction
générale de la sécurité intérieure
(DGSI), et la garde-à-vue peut durer
jusqu’à mardi soir.
Qu’est-ce que l’on sait ?
Les faits ont
eu lieu à bord du Thalys 9364, parti à
15h17 d'Amsterdam pour arriver à 18h35
à Paris,
avec une étape à Bruxelles à 17h13.
Vers 18
heures, alors qu’on vient d’entrer sur
le territoire français, à Oignies
(Pas-de-Calais), un voyageur, un
Français, attend son tour devant les
toilettes de la voiture 12, occupées,
sur le palier entre les voitures 11 et
la 12. La porte s’ouvre, et apparait
Ayoub El Khazzani, 25 ans, torse nu,
avec un fusil d’assaut kalachnikov en
bandoulière et un pistolet automatique
Luger. Il s’y était enfermé une dizaine
de minutes pour se préparer et charger
les armes. On découvrira ensuite qu’il
avait sur lui 8 chargeurs pour la
kalachnikov, soit environ 300 balles, et
un cutter.
Le voyageur
français, se trouvant en tête-à-tête, ne
se démonte pas et tente de le prendre au
corps, mais il est jeté au sol.
Un
contrôleur, qui pensait assister à une
bagarre, s’approche : « J’ai été projeté
contre une porte. Je me suis retrouvé
avec l’individu, il m’a mis au sol, m’a
pointé avec le revolver ». Puis le type
se barre vers la voiture 12.
Le contrôleur
tire le signal d’alarme, et avise le
conducteur.
Ayoub El
Khazzani arrive dans la voiture 12, et
aussitôt tire un premier coup de feu,
qui blesse grièvement un voyageur de 51
ans, au dos : la balle perfore un
poumon. Il tire un second coup de feu,
qui frôle de la tête d'une passagère. Il
ne s’approche pas des autres voyageurs,
ne demande rien.
L’assaillant
quitte les lieux. Il se poste alors
entre les wagons 12 et 13, et tente de
manipuler la kalachnikov, qui
s’enraille.
Il revient
alors dans la voiture 12, mais après son
premier passage, deux militaires
étasuniens, Spencer Stone et Alek
Skarlatos, ainsi qu’un ami Anthony
Sadler, ont compris ce qui se passait :
« Au début, personne n'a réagi, parce
que personne n'a compris que c'était un
coup de feu », explique Spencer Stone.
Tout trois lui sautent dessus pour le
maîtriser, aidés d’un britannique, Chris
Norman.
Dans le corps à corps, Spencer
Stone est blessé au niveau du cou et du
pouce à coups de cutter.
Ayoub El
Khazzani est maîtrisé et plaqué au sol.
Spencer Stone
file aider le passager qui avait été
touché au dos et au poumon. « J'ai vu
qu'il saignait beaucoup, j'ai compris
qu'une artère était touchée, alors j'ai
fait pression avec ma main pour arrêter
l'hémorragie ».
Bravo à eux.
Le
contexte
Sur ce plan,
il faut être prudent car les infos
restent très lacunaires. Ayoub El-Khazzani
aurait vécu en Espagne, de 2007 au début
de 2014, de petits boulots et de
trafics. Il s’était fait repérer à
Algésiras, en Andalousie, pour des
propos radicaux, et les services
espagnols en 2014 avaient adressé un
signalement à la France, où il comptait
se rendre. Il a alors fait l’objet d’une
fiche « S », comme sûreté de l'État,
mais rien de plus. En France, 5 000
personnes sont fichées S, pour des
motifs très divers. Lors d'un contrôle
policier ou douanier, l'information du
déplacement remonte à la Direction
générale de la sécurité intérieure
(DGSI). Lui aurait été très itinérant :
Belgique, Allemagne, Autriche, France,
Andorre... On a parlé aussi de Turquie
et de Syrie, mais rien de précis.
Vendredi, les services ont commencé à
donner des indications contradictoires,
et depuis, c'est silence radio…
Ma consœur
Sophie David a donné une interview à
BFM. Je rappelle qu'à ce stade de la
procédure, un avocat n'a pas accès au
dossier. En revanche, elle a eu un
entretien confidentiel avec la personne,
et a assisté à un interrogatoire de deux
heures trente, qui a été le premier, et
a donc porté sur les éléments généraux;
Elle décrit son client comme un SDF
« squelettique », « peu
instruit » et « paumé ». Il n’a « rien
fait transparaître d’un discours
extrémiste », niant « toute activité
cultuelle » et « tout projet
terroriste ». Son but était de racketter
les passagers, puis de sauter du train.
Quant aux armes, il les aurait trouvées
dans le parc où il dort, vers la gare de
Bruxelles.
Alors,
quel scénario ?
Un jour, on
saura, mais pour le moment, des deux
scénarios proposés – terrorisme ou
truanderie – aucun n’est crédible.
Terrorisme…
La première
option est le terroriste voulant faire
un massacre, avec les 300 balles de la
kalachnikov.
La fiche S
donne un petit début de crédibilité,
mais franchement, rien ne colle.
La notion
d’un SDF, paumé, sans connexions
actuelles, ni argent parait s’imposer.
Nous n'avons entendu parler ni de
perquisition, ni de fouille le montrant
possesseur d'argent. C'est tout d'un
type à la rue... On ne voit rien qui
légitime l’amorce d’une revendication
politique, ni pendant les faits, ni
après. Et puis un type plus qu’amateur,
a priori assommé par les
médocs, les analyses sanguines nous
dirons.
Alors, loup
solitaire ? Oui, c’est l’hypothèse
dominante. Il était seul sur place, et
il y a peu de chances que l’enquête
mette à jour un réseau… A priori, pas
d’ordi, pas de carte bancaire… Ça ne va
pas être simple, et bon courage aux
flics qui vont aller interroger les SDF
de Bruxelles pour en savoir plus…
Il est
porteur d'un téléphone portable, qui
aurait été activé la veille des faits.
Aussitôt, on parle de
professionnalisme... Nous verrons, mais
n'importe quel voyou sait que le
portable est un mouchard, et s'en méfie.
Certains ouvrent même des lignes sous de
fausses identités...
Surtout, le
déroulement des faits n’est pas en
phase. Essayons de rester rationnels :
comment expliquer son attitude si son
but était de causer un massacre ? Le
type sait qu’à partir du moment où il va
tirer, l’alerte sera donnée, et le temps
sera compté. Il est dans le train depuis
une demi-heure, et il a eu le temps de
repérer les lieux. Or, quand il sort des
toilettes, la kalachnikov est en
bandoulière, et c’est le pistolet qu’il
a la main.
Les soldats
témoignent que l'agresseur,
manifestement, n'avait pas d'expérience
dans le maniement des armes.
Le premier
passager et le contrôleur ont eu la peur
de leur vie, mais l’agresseur n’a pas
tiré. Quand il arrive dans la voiture
12, son attitude est incompréhensible.
Il tire deux balles, en visant, ne dit
rien, puis traverse le wagon pour se
rendre sur le palier entre les voitures
12 et 13. Les voyageurs diront qu’à ce
moment-là n’ont pas compris ce qui
s’était passé, et c’est uniquement lors
de son retour dans la voiture qu’ils ont
réagi.
Heureusement
pour les passagers, il n’y a finalement
qu’un blessé, hors de danger. Mais, on
est obligé de dire que s’il s’agissait
effectivement d’un terroriste voulant
faire un carnage, il serait sorti
déterminé des toilettes avec la
kalachnikov, et il aurait vidé ses huit
chargeurs sur l’ensemble des passagers.
Il y a suffisamment d’exemples à
l’étranger montrant les méthodes des
terroristes pour comprendre qu’ici, il
s’est joué autre chose.
Truanderie ?
La seconde
hypothèse, qu’il a fait expliquer par
son avocate, ma consoeur Sophie David,
du barreau d'Arras, est celle de la
truanderie : il voulait racketter les
occupants friqués de la première classe,
et il n’a rien à voir avec le
terrorisme, pas plus qu’il n’en veut à
la vie des gens.
Il parait
acquis que c’est un paumé, et s'il a été
fiché, il va être bien difficile de
prouver qu’il a agi sur commande d'un
réseau terroriste, qui s'en serait remis
à ce type si incertain.
Les armes
évidemment n’ont pas été trouvées dans
une valise… Il les a acquises, ce qui ne
semble pas trop compliqué dans les
milieux marginaux à Bruxelles. La
préméditation est évidente.
Son projet
était d’obtenir de l’argent sous la
menace, de briser une vitre et de
prendre la fuite,… mais rien que le
scénario de la fuite rend cette thèse
irréaliste.
Enfin,
pourquoi une kalachnikov et 300 balles
si c’est juste pour menacer les gens ?
Et pourquoi est-il entré dans la voiture
12 en tirant deux fois, pour traverser
la voiture sans s’adresser à personne,
alors qu’à ce moment-là, il n’était gêné
par personne, et pouvait commencer son
racket ?
* * *
Alors, quelle
vérité sortira de ces faits aujourd’hui
incompréhensibles ?
Juste une
remarque pour conclure : dans une
affaire grave comme cela, chacun peut
constater, une fois de plus, que la loi
sur le renseignement n’aurait été
d’aucune efficacité.
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