Actualités du
droit
Le retour de la censure policière
en France
Gilles Devers
Mardi 17 mars 2015
Drôle d’ambiance
dans le pays… Tout le monde semble bien
content de saluer le retour de la
censure policière en France. Hier,
cinq sites internet « prônant l'apologie
du terrorisme » ont été bloqués sur
décision du
ministre de l'Intérieur.
Le terrorisme, on
n’aime pas trop, alors s’en prendre à
des sites qui propagent ses messages ou
ses exploits, qui appellent à prendre
les armes contre le droit,... nous
serons tous d’accord. Et cela ne pose
pas de problème à l’égard de la liberté
d’expression, qui a pour limite le « discours
de haine », et alors que la
Convention européenne des droits de
l’Homme prévoit qu’on ne peut invoquer
le texte pour défendre des
objectifs qui lui sont contraires.
Donc, tout va bien,
et on se demande pourquoi ça n’a pas été
fait plus tôt… si ce n’est que, comme
nous ne sommes pas des crétins finis, il
faudra nous prouver que c’est vraiment
utile, en répondant à trois questions :
- Y a-t-il des
études fondées sur les résultats des
enquêtes judiciaires pour démontrer
l’impact réel de ces sites ?
- Dans une logique
de renseignement de filtrage des
réseaux, ne se prive-t-on pas
d’informations ?
- L’efficacité
est-elle assurée pour des sites qui
échappent aux réseaux de diffusion
français ? Rue
89 et
Pixellibre.net expliquent comment ça
marche… ou pas.
Mais bon… Alors
pourquoi faut-il que je râle encore ? Eh
bien je râle encore car je dénonce la
censure policière, c’est-à-dire le fait
que ce soit la police, d’après ses
renseignements et sans procédure
contradictoire qui décide de la censure.
C'est une violation grave de la
liberté d’expression. Si un site
déverse des appels à la haine, on droit
pouvoir sévir, mais par une décision
judiciaire, après l’énoncé des griefs et
un débat contradictoire. Bref, le juge
avec les droits de la défense et non un
flic qui bidouille dans son coin. La
justice peut réagir très rapidement, et
il existe même toutes sortes de
procédures qui permettent de se
prononcer dans l'urgence, soit en moins
de 24 heures. Aussi, le respect de la
liberté d’expression serait simple : le
ministère de l’Intérieur repère un site
frelaté, fait une enquête, relève les
propos qui déconnent, et saisit le juge
qui, application les règles du procès
équitable, prend une décision autorisée
par la loi, et pourquoi pas la fermeture
du site. Là, je n'aurais rien à dire.
Le texte en cause,
c’est la loi du
13 novembre 2014 qui renforce la
lutte contre le terrorisme, et son
décret d’application du
5 février 2015 qui ont confié la
censure à l'Office central de lutte
contre la criminalité liée aux
technologies de l'information et de la
communication. Quel contrôle du juge ?
Aucun ! Mais le ministre nous dit la
main sur le cœur : « Les cinq premiers
sites sont tous animés par des groupes
répertoriés par les services de
renseignement et font tous l'apologie du
terrorisme ». Eh bien, si c’est si
simple, pourquoi tu ne demandes pas au
juge ?
Ce système de
censure administrative est une création
de Sarkozy –
une victoire morale de plus sur le PS
– avec la loi du
14 mars 2011 dite Loppsi2. Ce régime
de censure policière est dénoncé par les
défenseurs du net, je peux citer
La Quadrature du Net, le
Parti Pirate et cette excellente
tribune de
Philippe Aigrain et Jérémie Zimmermann.
A deux reprises
déjà, le Conseil constitutionnel s’est
opposé à ce régime de censure.
Dans sa décision du
2009-580 du 10 juin 2009, pour
HADOPI, le Conseil a jugé, que les
pouvoirs confiés à une autorité
administrative de couper l’accès sans
passage préalable par le juge que
ceux-ci «peuvent conduire à restreindre
l’exercice, par toute personne, de son
droit de s’exprimer et de communiquer
librement, notamment depuis son
domicile » et que dans ces conditions
« eu égard à la nature de la liberté
garantie par l’article 11 de la
Déclaration de 1789, le législateur ne
pouvait, quelles que soient les
garanties encadrant le prononcé des
sanctions, confier de tels pouvoirs à
une autorité administrative dans le but
de protéger les droits des titulaires du
droit d’auteur et de droits voisins ».
Et oui, le système
HADOPI qui était
critiqué par le PS comme contraire
aux libertés… De pitoyables
girouettes…
Rebelote avec
sa décision
2011-625 du 10 mars 2011, le Conseil
constitutionnel avait validé des
dispositions dès lors qu’elle « ne
confèrent à l’autorité administrative
que le pouvoir de restreindre, pour la
protection des utilisateurs d’internet,
l’accès à des services de communication
au public en ligne lorsque et dans la
mesure où ils diffusent des images de
pornographie infantile ».
Et alors, me
direz-vous, comment se fait-il que le
Conseil constitutionnel ait laissé
passer la loi du 13 novembre 2014 sur la
censure policière ? Très simple : parce
que le Conseil constitutionnel n’a pas
été saisi. Ah, ils sont fortiches ! Ils
sont soi-disant prêts à combattre contre
le terrorisme mais ils n’osent même pas
affronter le Conseil constitutionnel…
Ce sera donc à un
de ces sites ou un des hébergeurs de
faire un recours, et à cette occasion de
contester la loi par une
question prioritaire de
constitutionnalité, avec une
défaite annoncée du gouvernement.
Mais peu importe, les élections
départementales seront passées, et çà,
c’est important.
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