L'actualité du
droit
Woody Allen à Cannes… et les
indignations sélectives
Gilles Devers

Jeudi 12 mai 2016
Lundi, c’est
la chasse au Baupin, un mec pas trop
sympa mais qui n’a violé personne,... et
qui est lâché car il lâché son parti,
EELV. Mardi, ce sont les cinq minutes de
gloire de l’ex « ministre »
Batho qui enflamme les médias à
propos du présumé coquin de Sapin, alors
qu’elle ne sait rien de l’affaire. Mais
peu importe : c’est la grande vague,
puissante et féconde, de la parole qui
se libère. Une page se tourne… Plus rien
ne sera comme avant… Respect et
considération pour la parole des femmes
victimes des agresseurs sexuels.
Tout ceci est très choux, et
j’ai presque failli être convaincu… mais
hélas les jités m’ont apporté
les images du 69° festival de Cannes, du
Woody Allen grand penseur du cinéma,
glorieux pour présenter son film Café
Society, et des journalistes
muets pour lui parler d’une affaire
d’agression sexuelle qui repose sur des
données matérielles bien plus étayées
que les dramatiques affaires Baupin et
Sapin, et autrement plus grave : viol
sur mineure.
L’affaire est bien connue. Dylan
Farrow, fille adoptive, de Woody Allen,
accuse son père de l’avoir abusée quand
elle avait sept ans. Elle a désormais le
soutien de son frère, Ronan Farrow, fils
de Woody Allen et de Mia Farrow.
Laquelle Mia avait quitté Woody Allen en
découvrant la relation entre Woody et
Soon-Yi, sa fille adoptive.
C’est en 2004, à 28 ans, que
Dylan a publié
son récit du viol. Elle expliquait
la force nécessaire pour lever le
silence, à savoir sa réaction à une
énième nomination aux Oscar : « Cette
fois, je refuse de m'effondrer. Pendant
tellement longtemps, la reconnaissance
dont jouit Woody Allen m'a réduite au
silence. Je le prenais comme un reproche
personnel. Mais les survivantes
d'agressions sexuelles qui m'ont parlé –
pour me soutenir, partager leur peur de
parler haut et fort d'être traitée de
menteuse, de se voir dire que leurs
souvenirs sont erronés – m'ont donné des
raisons de sortir de mon silence, ne
serait-ce que pour que d'autres sachent
qu'elles peuvent sortir de leur
silence.»
La plainte a connu de
nombreuses étapes, mais depuis 2014,
elle est classée, sans jugement.
Le frère, Ronan Farrow,
aujourd’hui avocat, est longtemps resté
distant, mais désormais il demande que
la parole de sa sœur soit prise en
compte : « Je crois ma sœur. Comme un
frère fait confiance à sa sœur. Mais
aussi comme un journaliste et comme un
avocat : ses allégations sont crédibles.
Les faits sont convaincants et bien
documentés ».
Ecœuré par ce mépris de la
justice et de
la parole d’une victime, il a publié
dans le
Hollywood Reporter une lettre
s'interrogeant sur l'appui constant
donné par les médias.
« La lente évolution des médias
de la vieille école a aidé à créer un
univers d'impunité et de silence autour
de cette histoire. Amazon a déboursé des
millions pour travailler avec Woody
Allen, finançant sa nouvelle série et
son film. Les acteurs, y compris
certains que j'admire beaucoup,
continuent de faire la queue pour
apparaître dans ses films. ‘N'y vois
rien de personnel’, m'a dit un jour l'un
d'entre eux. Pourtant, ça blesse ma sœur
à chaque fois que l'un de ses héros
comme Louis C.K. ou une star de son âge
comme Miley Cyrus travaillent avec Woody
Allen. Ça devient subitement très
personnel pour ma sœur et toutes les
femmes du monde entier victimes
d'agressions sexuelles et qui n'ont
jamais pu obtenir la reconnaissance
d'une condamnation »
« Ce soir, mon père montera les
marches avec sa femme entouré de ses
stars : Kristen Stewart, Blake
Lively,
Steve Carell, Jesse
Eisenberg. Ils peuvent faire
confiance à la presse pour ne pas leur
poser de questions embarrassantes. Ce
n'est ni l'endroit ni le moment. Mais ce
silence n'est pas seulement mauvais. Il
est dangereux. Il dit aux victimes que
ça ne sert à rien de se manifester.
(...) Il a du travail à accomplir pour
construire un monde où des femmes comme
ma sœur ne seront plus traitées comme si
elle était invisible. Il est temps de
poser les questions difficiles ».
La presse, qui s’acharne sur
Baupin, n’a pas eu de questions à poser
à Woody Allen sur la lettre de son fils.
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