Analyse
L'armée israélienne tue deux civils et
un membre d'un groupe armé dans le camp
de Jénine
Gideon Levy
L’homme du
Hamas recherché, Hamza « Hamzi » Abu al-Haija,
tué à Jénine le 22 mars 2014. Photo :
Alex Levac
Lundi 24 mars 2014
Samedi 22 mars. L'armée israélienne
entre dans le camp de Jénine et tue
trois Palestiniens. Selon la version
officielle : "lors d'affrontements
armés".
Gideon Levy, journaliste au journal
Haaretz réplique.
Les dessous
de l’affaire de l’homme du Hamas
recherché à Jénine
J’ai rencontré le fugitif Hamza «
Hamzi » Abu al-Haija voici quinze jours
environs, chez lui, sur les pentes du
camp de réfugiés de Jénine (“Twilight
Zone,” March 7). Hamzi n’agissait
pas comme un homme recherché. Il passait
la journée dans la maison de sa famille,
agissant normalement ; il n’était pas
armée et ne montrait aucun signe de
cette nervosité typique des hommes en
fuit que j’ai rencontrés au fil des
années. Vêtu d’un training, il jouait
avec sa petite nièce et s’était joint à
la conversation que nous avions avec sa
mère. Il souriait beaucoup et dit qu’il
n’avait pas peur.
Il nous avait raconté que, le soir du 18
décembre, des soldats étaient venus à sa
maison pour l’arrêter alors qu’il
célébrait la naissance d’un neveu avec
des amis. Ils avaient entendu des bruits
suspects venant de la rue et avaient
d’abord pensé qu’il s’agissait d’un
groupe de l’Autorité palestinienne, qui
avait également tenté d’arrêter des
hommes du Hamas dans le camp. Ce n’est
que lorsque lui et ses trois amis
s’étaient précipités vers le toit et
après avoir regardé vers le bas qu’ils
avaient compris qu’il s’agissait des
Forces de défense israéliennes.
Hamzi s’était arrangé pour fuir par les
toits et les allées, mais son ami, Nafaa
Saidi, avait été abattu et tué par les
militaires. Dans les trois mois qui
avaient suivi, personne n’avait plus
tenté de l’arrêter et Hamzi avait
poursuivi son existence habituelle.
Durant la journée, il restait dans la
maison de sa famille mais, la nuit, il
dormait ailleurs. Il avait expliqué
qu’il avait étudié la coiffure et que,
quelques semaines auparavant ; un homme
du Shin Bet nommé Shalom l’avait appelé
pour lui dire : « Je vais bientôt
venir pour t’avoir. Il y a une histoire
à terminer, entre nous. »
Ainsi donc, ce samedi, très tôt le
matin, cette histoire s’est terminée.
Selon des témoins oculaires dans le
camp, Hamzi était avec quelques amis
dans une maison au sommet de la colline
sur laquelle le camp est installé. Vers
3 heures du matin, des militaires ont
fait irruption dans la maison tout en
tirant. Hamzi, qui était armé, a
riposté, mais quand ses munitions ont
été épuisées, il est sorti en direction
des soldats, qui l’ont abattu, le tuant
aussitôt. Voilà l’histoire qui circulait
dans le camp de réfugiés de Jénine ce
samedi.
Mais l’affaire la plus grave à ce propos
concerne les circonstances dans
lesquelles les deux hommes qui
accompagnaient Hamzi ont été tués :
Selon ces témoignages, ils ont été tués
alors qu’ils transportaient le corps de
Hamzi vers la maison de sa famille,
assez éloignée de l’endroit où les
échanges de coups de feu avaient eu
lieu. Des tireurs d’élite postés dans le
camp les ont tués, bien qu’ils ne
fussent pas armés.
Hamzi était le plus jeune fils de Sheikh
Jamal Abu al-Haija, l’ancien chef du
Hamas dans le camp, qui avait été
condamné à neuf condamnations à
perpétuité pour son rôle dans l’envoi
d’un combattant suicide à la jonction de
Meron, en août 2002, afin de commettre
un attentat qui tua neuf Israéliens.
Sheikh Jamal est incarcéré depuis 12 ans
et Hamzi ne l’avait plus jamais vu
depuis son arrestation. Il nous avait
déclaré qu’il ne s’en souvenait qu’à
peine.
La première fois que j’ai rencontré
Hamzi, c’était en juin 2003. Il avait 11
ans, ses parents et son frère aîné
étaient en prison et les cinq enfants
restants, tous très jeunes, avaient
forcés de se débrouiller. J’avais décrit
Hamzi à l’époque comme un garçon effrayé
et calme. Sa mère, Asmaa, avait été
placée en détention administrative
(arrestation sans jugement). Elle avait
passé neuf mois en prison, souffrant
pendant tout ce temps d’une tumeur au
cerveau. La maison familiale avait été
détruite en 2002 par un missile tiré à
partir d’un hélicoptère Apache, mais
avait été reconstruite et, aujourd’hui,
c’est une maison spacieuse, agréable et
bien entretenue, avec des photos du père
et de ses fils dans un grand cadre sur
le mur du living. Deux frères de Hamzi,
Abed et Amad, sont également détenus en
Israël.
Après avoir appris que son fils avait
été tué samedi, Asmaa a été
hospitalisée. Quand nous l’avions quitté
voici quinze jours et que nous lui
avions dit de prendre soin de lui-même,
il nous avait dit : « Il n’y a pas
de quoi s’inquiéter. »
Publié sur
Haaretz le 23 mars 2014. Traduction
: JM Flémal.
Gideon Levy est
journaliste au quotidien israélien
Haaretz.
Il a publié : Gaza, articles
pour Haaretz, 2006-2009,
La Fabrique, 2009
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