Opinion
Netanyahu mérite le peuple israélien,
et le peuple le mérite
Gideon Levy
L'empereur Netanyahu et ses sujets au
Congrès américain
Jeudi 19 mars 2015
Si, après tout, le phénix israélien est
parvenu à renaître de ses cendres et de
se faire réélire, c'est que quelque
chose s'est réellement brisé, et la
fracture est sans doute irréparable.
La première conclusion qui a surgi
quelques minutes à peine après l'annonce
des résultats électoraux était
particulièrement décourageante : Il
convient de remplacer la nation. Pas par
d'autres élections à la direction du
pays, mais des élections générales qui
choisiront un nouveau peuple israélien –
et immédiatement, encore. Le pays en a
instamment besoin. Il ne sera pas en
mesure de supporter un autre mandat de
Benjamin Netanyahu, qui a
émergé la nuit dernière comme l'homme
qui constituera le prochain
gouvernement.
Si, après six années de nullité, six
années au cours desquelles on a semé la
crainte et l'angoisse, la haine et le
désespoir, c'est le choix de la nation
et, dans ce cas, elle est très malade,
en effet. Si, après tout ce qui a été
révélé au cours des derniers mois, tout
ce qui a été écrit et dit, si, après
tout cela, le phénix israélien est
parvenu à renaître de ses cendres et à
se faire réélire, si, après tout ceci,
le peuple israélien l'a choisi pour
diriger le pays pendant quatre nouvelles
années, c'est que quelque chose s'est
réellement brisé, et la fracture est
sans doute irréparable.
Netanyahu mérite le peuple israélien,
et le peuple le mérite. Les résultats
sont indicatifs de la direction vers
laquelle le pays est tourné : Une
proportion significative des Israéliens
a fini par se détacher complètement de
la réalité. C'est le résultat de ce que
valent des années de bourrage de crâne
et d'incitation. Ces Israéliens ont voté
pour l'homme qui amènera les États-Unis
à adopter des mesures sévères contre
Israël, pour l'homme qui, depuis si
longtemps, rend le monde malade. Ils ont
voté pour l'homme qui a admis avoir
berné la moitié du monde lors de son
discours de Bar-Ilan ; maintenant il a
arraché son masque et désavoué ces
propos une fois pour toutes. Israël a
dit « oui » à l'homme qui a dit
« non » à un État palestinien.
Chers électeurs du Likoud, à quoi diable
avez-vous donc dit « oui » ? À cinquante
nouvelles années d'occupation et
d'ostracisme ? Croyez-vous réellement en
cela ?
Hier, ont été posées les fondations
de l'État d'apartheid à venir. Si
Netanyahu parvient à former le prochain
gouvernement dans son esprit et à son
image, la solution à deux États sera
alors enterrée pour de bon et la lutte
sur le caractère d'un État binational va
débuter. Si Netanyahu est le prochain
Premier ministre, c'est qu'Israël a non
seulement divorcé du processus de paix,
mais également du monde. Dégage, cher
monde, nous allons faire comme bon nous
semble. De grâce, ne t'en mêle pas, nous
sommes endormis, le peuple est avec
Netanyahu. Les Palestiniens peuvent
aller chauffer les bancs de la Cour
pénale internationale de La Haye, les
gens qui boycottent Israël peuvent
passer à la vitesse supérieure et Gaza
peut attendre la prochaine agression
cruelle de la part de l'armée
israélienne.
La bataille autour de tout cela doit
encore être officiellement décidée. Le
prochain Premier ministre sera intronisé
par Moshe Kahlon et les chefs des autres
petits partis. Au moment où j'écris
ceci, Kahlon doit encore faire part de
ses intentions. La balle est dans le
camp de ces partis : ce sont eux qui
décideront si Netanyahu reste. La
plupart d'entre eux le méprisent, mais
on peut douter qu'ils aient le courage
de tourner le dos au public. Ce sera
leur test. Ce sera le test de leur
courage et de leur intégrité. Moshe
Kahlon et Aryeh Dery, croyez-vous
vraiment que Netanyahu vaut mieux
qu'Isaac Herzog pour la société et le
bien-être social dont vous prétendez
vous soucier ?
Le président décent et courageux du
pays, Reuven Rivlin, croit-il que
Netanyahu sera un meilleur Premier
ministre que Herzog ? Beaucoup de choses
reposent sur ses épaules, désormais –
mais le fait qu'un personnage comme
Netanyahu et un parti comme le Likoud
sont parvenus à garder le pouvoir en
tant que principale faction du pays en
dit déjà long.
Netanyahu risque de surpasser David
Ben Gourion en longévité en tant que
dirigeant d'Israël. Il occupé déjà la
deuxième place et, pourtant, il est
difficile d'imaginer de sa part une
seule réalisation significative. La
liste des dégâts qu'il a commis est
longue. Mais il est l'élu de la nation,
d'une grande partie de la nation. Ce
choix doit être respecté, mais s'il
compromet grandement l'espoir de
retombées favorables. La seule
consolation, c'est qu'un nouveau mandat
de Netanyahu va pousser le monde à agir.
Cette possibilité est notre seul refuge.
Publié le 18 mars 2015 sur Haaretz.
Traduction : JM Flémal.
Gideon Levy est
journaliste au quotidien israélien
Haaretz.
Il a publié : Gaza, articles
pour Haaretz, 2006-2009,
La Fabrique, 2009
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