Ha'aretz
Pour avoir réagi contre le harcèlement
sexuel,
une Palestinienne se retrouve en prison
Gideon Levy
Mardi 14 janvier 2014
Muntaha al-Khekh a
passé quatre semaines en prison – dont
une partie en isolement – pour avoir
réagi après avoir été harcelée
sexuellement par un policier israélien.
Une jolie fille souriante de vingt
ans a décidé de prendre son courage à
deux mains et de raconter ce qu’il lui
est arrivé – et ce n’est pas une mince
affaire dans la société traditionaliste
où elle vit. Robe noire et foulard,
keffieh sur les épaules, Muntaha
al-Khekh raconte son histoire.
Son père note chaque mot, mais sans
intervenir. De temps en temps, elle
s’arrête, embarrassée.
Elle et ses six sœurs vivent chez leurs
parents, à Surif, un
village à l’ouest de Hébron.
C’est une communauté religieuse, avec un
noyau solide de partisans du
Hamas. Son père, Abu
Ala, est fonctionnaire dans
l’appareil sécuritaire de l’Autorité
palestinienne. Afin d’aider sa famille,
Muntaha a travaillé
comme soignante dans une institution
préscolaire à Halhoul,
non loin de là. Avant cela, elle
travaillait comme photographe de mariage
et comme esthéticienne. Elle déclare
qu’elle ne s’est jamais occupée de
politique ni de questions ayant trait à
la sécurité.
Le 22 octobre, elle a accompagné le
propriétaire de l’institution
préscolaire où elle travaillait pour une
visite à Hébron. Vers
17 heures, à proximité du
Tombeau des Patriarches, son
compagnon est entré dans un magasin
pendant qu’elle l’attendait à
l’extérieur, près de l’entrée réservée
aux musulmans. T., un policier israélien
en uniforme bleu, s’est approché d’elle
et lui a demandé ce qu’elle faisait là.
Elle a répondu qu’elle attendait son
ami. T. a répliqué qu’il désirait la
fouiller et Muntaha al-Khekh
lui a répondu qu’elle voulait que ce
soit une policière qui opère la fouille.
T. a dit qu’il n’y en avait pas à
proximité, lui a attrapé le bras tout en
commençant à la peloter et à la
caresser. Il lui a demandé si elle était
mariée, tout en défaisant les boutons de
sa blouse. En guise de réponse,
Muntaha l’a giflé au visage.
Immédiatement, un policier et une
policière ont été sur les lieux et l’ont
emmenée dans un local prévu pour les
fouilles corporelles. Ils lui ont
demandé de se déshabiller et elle a
demandé que les hommes quittent la
pièce. Le policier S. lui a dit que, de
toute façon, il y avait des caméras
partout, tout en l’insultant de mots
très grossiers qu’elles nous a répétés
avec de petits rires très embarrassés.
T., portant toujours la marque de la
gifle, tenait une cartouche de spray au
poivre en main. Il lui a demandé si elle
était enceinte. Elle a répondu qu’elle
ne pouvait l’être, puisqu’elle n’était
pas mariée.
Elle s’est alors déshabillée une fois
que les hommes sont sortis et a été
fouillée par la policière. S. est revenu
dans la pièce et lui a demandé le numéro
de téléphone de ses parents et a fait
semblant de téléphoner. Il lui a dit
alors que ses parents avaient déclaré
qu’ils la rejetaient et qu’ils ne
voulaient pas lui parler. Ça l’a
fortement décontenancée et elle s’est
mise à pleurer et à se lamenter. S. a
montré du doigt un couteau qui se
trouvait dans une cuvette, dans un coin
de la pièce, et Muntaha
l’a attrapé et l’a tenu contre son
corps, comme si elle voulait se blesser.
S. a levé une chaise et lui a dit que si
elle se calmait, elle pourrait parler à
ses parents. Elle a déposé le couteau et
le policier a ensuite fouillé son sac à
main. Puis il lui a attaché les mains et
l’a emmenée au poste de police le plus
proche.
Un policier lui a suggéré que si elle
présentait ses excuses à T. pour l’avoir
giflé, elle pourrait rentrer chez elle,
mais T. a répondu qu’elle n’accepterait
pas de faire des excuses. On l’a alors
emmenée pour l’interroger au poste de
police de Kiryat Arba,
où on lui a permis de téléphoner à son
père. Il lui a dit de ne rien signer du
tout. Au milieu de la nuit, elle a été
emmenée au centre de détention de la
Mission russe de Jérusalem.
Elle y a entamé sa détention : deux
semaines à Jérusalem et
deux semaines à la prison de
Neve Tirza, à Ramle,
où elle a été détenue en isolement.
La porte-parole des Services
pénitentiaires, la sous-commissaire
Sivan Weizman, a
déclaré à Haaretz qu’«
elle était arrivée à Neve Tirza et
qu’alors que nous vérifiions si son
statut était celui d’une droit commun ou
d’une détenue sécuritaire, on l’avait
tenue à l’écart pour des raisons de
sécurité. On ne l’a pas mise dans une
cellule punitive d’isolement. Une
tentative de l’incarcérer dans la
section des droits communs ayant échoué,
on l’a confinée en isolement jusqu’à sa
libération. »
Al-Khekh affirme
qu’elle a été détenue dans une cellule
sombre et étroite. Durant la partie de
son incarcération à Jérusalem,
elle a été enchaînée à son lit par les
mains et par les pieds. Pendant sa
détention, elle a dû assister à 11
séances du tribunal militaire à
Ofer. Son procès n’est pas
encore terminé, d’ailleurs. Son cas, qui
porte le numéro 5651/13, doit être revu
par le juge major Samzar Shagoug au tribunal militaire de
Judée. Selon le
procureur militaire, comme le rapportent
les minutes du tribunal, « Nous
avons les témoignages de tous les
policiers qui étaient présents, ainsi
qu’une vidéo rapportant un long incident
au cours duquel l’accusée agit
dangereusement et défie les autorités
légales. Quand déterminons-nous que
quelqu’un est dangereux ? Toute
l’affaire a dégénéré en raison des actes
de l’accusée. Même si le policier l’a
insulté, ce n’est pas une raison, après
l’avoir giflé, de s’opposer alors à
l’arrestation. Cette boule de neige n’a
pas grossi à cause des autorités, mais à
cause de l’accusée. »
L’avocat de la défense : « Comment
a-t-elle pu devenir dangereuse tout d’un
coup ? Quelqu’un a-t-il parlé au
policier ou l’a-t-il approché ? Elle ne
s’est approchée de personne. Elle
souffre terriblement en détention et
n’arrête pas de pleurer. Elle est en
isolement. »
Le juge a décidé qu’elle resterait en
détention jusqu’à la fin de la procédure
légale. « Étant donné les
circonstances, j’accorde à la suspecte
un appel téléphonique à ses parents et
aux frais de l’État », a écrit le
juge major Arye Dorni
dans sa décision.
Le père, Abu Ala, a
déclaré cette semaine qu’il avait sept
filles, dont trois étaient étudiantes. «
Muntaha a décidé de collaborer au
financement de leur éducation. Elle n’a
de liens avec aucune organisation. Je
suis un fonctionnaire de la sécurité et
nous assurons la sécurité en
Cisjordanie. Le message que j’aimerais
adresser aux Israéliens, c’est que nous
vivons dans une société traditionaliste.
Muntaha n’a pas agressé le policier. Il
a fait ce qu’il a fait, il l’a touchée
en lui demandant si elle était mariée ou
enceinte. Devrais-je remplir mon devoir
de père ou protéger l’honneur de ma
fille ? Aujourd’hui, elle a perdu son
emploi et son honneur. J’aimerais savoir
si ce policier est au-dessus des lois.
Est-il en mesure de justifier ses
actions ? Dans notre société, harceler
une femme de cette façon, sexuellement,
peut parfois mener au meurtre. Comment
se fait-il que la victime est devenue
l’accusée ? Il est facile d’accuser qui
que ce soit de s’en être pris à un
policier et les Israéliens pourraient
croire que ceci est réellement ce qui
s’est passé. Muntaha est une fille
innocente. Si j’allais importuner une
femme juive à Tel-Aviv et si elle me
frappait, qui serait arrêté ? C’est du
pur racisme ! »
Après avoir entendu son appel, la cour à
décide, le 12 novembre, de libérer
Muntaha al-Khekh sous
caution. Il a fallu une autre semaine au
père pour réunir des 5.000 NIS
nécessaires pour assurer le retour de sa
fille. Jusqu’au moment de la reprise du
procès, en décembre, il lui est interdit
de quitter son village. Elle a donc
perdu son emploi.
Un porte-parole de la police de
Judée et de Samarie a fait la
déclaration suivante à l’adresse de
Haaretz :
L’allégation selon laquelle le femme
a été harcelée au contrôle a été
complètement réfutée, et il n’est
aucunement fait mention d’une telle
plainte dans le témoignage recueilli
auprès de la suspecte lors de l’enquête.
Quant aux faits mêmes : Une femme
palestinienne de la Kasbah de Hébron est
arrivée au check-point à proximité du
Tombeau des Patriarches. Elle s’est
promenée un peu partout dans la zone, ce
qui a éveillé les soupçons de la police.
Lorsqu’un des policiers lui a demandé
d’expliquer sa présence, la femme s’est
mise à l’insulter. Le policier a fait
venir une policière de la Police des
Frontières, qui était présente au poste
avancé, afin qu’elle procède à une
fouille (corporelle) sur la personne. La
suspecte s’est mise à refuser la fouille
et le policier et un soldat de la Police
des Frontières sont venus assister la
dame de la Police des Frontières. La
suspecte s’est tournée vers le policier
et lui a lancé une gifle cinglante et,
en guise de réponse, la femme a été
arrêtée et amenée dans un local fermé
pour la fouille. Deux policières ont
effectuée cette fouille de la suspecte,
ce qui a permis de trouver un couteau
dans son sac à main. La suspecte a été
mise en état d’arrestation sous le
soupçon d’avoir agressé un agent et pour
la possession d’un couteau, après quoi
elle a été transférée à des fins
d’interrogatoire.
Publié sur
Haaretz le 30 novembre 2013
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