Actualité
Israël, sionisme
Quand une idéologie
profane le sens sacré des mots
Gabriel Hagaï
Jeudi 16 mai 2019
En tant que rabbin,
je suis toujours gêné par l’utilisation
des mots comme
« Israël » (Yisrâ’él)
ou « Sion » (Ṣiyyôn) par
l’entité politique nationaliste juive
établie en Terre Sainte. A mes yeux,
cela constitue une profanation pure et
simple. Des explications s’imposent.
Un sain rappel
du sens originel des mots
En effet, Israël
est le nom que Dieu a donné à Jacob (Ya‘aqov),
notre patriarche, après sa lutte
nocturne contre un ange (Genèse XXXII :
23-32). Ce récit biblique n’est pas à
comprendre littéralement ainsi, mais
comme une allégorie du combat intérieur
que doit mener le cheminant spirituel
contre son côté obscur en lui-même,
c’est-à-dire contre son égo.
Une fois cette bataille intime gagnée,
le vainqueur peut mériter le nom
théophore d’« Israël » –
littéralement « Dieu (Él) vainc (yisrâ)
». Car c’est l’étincelle divine en
lui – vu que chaque être humain est créé
à l’image de Dieu, comme Il le dit
Lui-même, « à Notre image, selon
Notre ressemblance » (Genèse I, 26)
– qui a réussi à briser l’idole
ténébreuse établie au sein du temple de
son cœur.
Le nom d’Israël a été ensuite utilisé
dans l’expression « Ereṣ Yisrâ’él »,
la Terre d’Israël, à savoir le pays
donné par Dieu aux enfants de Jacob,
pour désigner la Terre Sainte (pour la
première fois dans Ie Premier livre de
Samuel XIII : 19). Mais, en plus d’être
tout simplement appelée dans la Bible
« hâ-Âreṣ » (la Terre, le Pays),
elle est surtout nommée « Ereṣ
Kena‘an », le Pays de Canaan, et
« Ereṣ zâvat ḥâlâv wudvâsh »,
littéralement « la Terre où coule le
lait et le miel ».
Sion, quant à lui, est l’une des
appellations de Jérusalem (Yerûshâlayim),
notre sainte cité, centre de notre
géographie sacrée (par exemple dans II
Rois XIX : 31, Psaumes XX : 3 et CXXVIII
: 5). Il existe un « amour de Sion »
d’origine religieuse, où chaque juif
désire vivre en Terre Sainte pour y
recueillir ses fruits spirituels – à
l’image de de Moïse (Môshè)
lui-même (Deutéronome III : 25). Et
surtout y être enterré afin d’être aux
premières loges lors de la Résurrection
de morts. Ceci dit, cela n’a rien à voir
avec prendre là-bas la gouvernance ou le
pouvoir politique, surtout au prix d’une
injustice.
Ces deux noms
(Israël et Sion) sont donc bien trop
nobles et prestigieux pour que des
mouvements politiques séculiers les
utilisent, fussent-ils juifs. Ils n’en
ont pas le mérite.
C’est une caractéristique des idéologies
en recherche de légitimité que
d’emprunter du vocabulaire à d’autres
domaines déjà reconnus, comme les
religions ou les sciences. Le sionisme
n’échappe pas à cette tendance. Alors
que ce mouvement est athée et
nationaliste, il a cherché à s’établir
dans la conscience populaire juive comme
une alternative légitime à la tradition
en recyclant son vocabulaire le plus
sacré. Et il a (presque) réussi !
Je m’élève, comme beaucoup d’autres
juifs de par le monde, contre cette
usurpation de notre identité. Les
dirigeants de l’entité politique
nationaliste juive en Terre Sainte ont
réussi à profaner ces noms sacrés en les
associant à leurs entreprises honteuses,
indignes du judaïsme et de la Torah. À
cause d’eux, les nobles mots « Israël
» et « Sion » sont désormais
jetés dans la boue, voués à l’opprobre
du monde entier. C’est une faute
impardonnable ! Cela fait d’ailleurs
saigner mon cœur d’avoir à utiliser des
fois ces saints noms dans leur sens
profané, quand il n’y a pas d’autre
alternative ou afin de pouvoir me faire
comprendre plus facilement de mes
interlocuteurs.
Une paix
authentique en Terre Sainte ne sera
possible que fondée sur la justice pour
tous
En tant que juif
croyant et pratiquant, afin de ne pas
donner de légitimité à l’entité
politique susnommée, je préfère dire
« Terre Sainte » qu’« Israël »
– dont le sens d’ailleurs plus large
possède l’avantage de transcender les
frontières politiques et d’englober la
Palestine et la Jordanie. C’est
également ainsi que cette région est
nommée dans notre littérature
religieuse. Je préfère, par ailleurs, ce
terme à d’autres plus modernes – comme
« Palestine historique » – certes
précis, mais qui pourraient prêter à
confusion, laissant penser que
j’avantage une partie plutôt que
l’autre.
Car je ne suis
pas pour un camp contre l’autre, ou
réciproquement, mais pour les deux,
ensemble. Une paix authentique en
Terre Sainte ne sera possible que fondée
sur la justice pour tous les
protagonistes, et non sur la simple
absence de violence ou sur le
remplacement d’une injustice par une
autre. La paix ne se fera pas au
détriment des Israéliens et au bénéfice
des Palestiniens, ou réciproquement,
mais au bénéfice des deux, ensemble.
Notre Torah est
basée sur la justice et l’amour
En addition, je
préfère aussi appeler l’hébreu, notre
langue liturgique, « le langage saint
» (leshôn haq-qodesh) – selon
la tradition – plutôt que « ‘ivrît »,
comme les Israéliens nomment leur langue
nationale.
Le néologisme barbare « kibboutzisme
» (ou même « néo-kibboutzisme »)
m’évite ainsi d’utiliser le mot «
sionisme » (qui se réapproprie notre
amour légitime pour Sion), tout en étant
plus en adéquation avec son origine
idéologique. En effet, historiquement le
mouvement nationaliste juif voulait que
ses colons vivent et travaillent dans
des communautés agricoles collectives
appelées « kibboutzim », pluriel
de « kibboutz » (qibbûṣ,
littéralement « rassemblement,
ensemble, assemblée »).
Notre Torah est basée sur la justice,
l’amour, l’humilité et l’inclusion –
vertus incarnées par nos Prophètes et
nos Saints, tels Moïse, Aaron et Hillel
l’Ancien. Tout le contraire des «
valeurs » du kibboutzisme, construit sur
l’orgueil, l’oppression, la haine et
l’exclusion – celles de Théodore Herzl,
de Joseph Trumpeldor ou de Ben Gourion.
Selon notre Torah, on ne saurait établir
une société saine sur l’injustice envers
ne fût-ce qu’une seule personne
(fût-elle non-juive) – a fortiori envers
un peuple tout entier.
Il est dit dans le Deutéronome : «
Justice, tu poursuivras la justice ! »
(Ṣedeq ṣedeq tirdof) et « Tu
choisiras la vie » (Wuvaḥarta ba-ḥayyîm).
De même, la Torah doit être « (notre)
sagesse et (notre) intelligence aux yeux
des nations », plutôt qu’un manuel
d’oppression nationaliste. La Rédemption
finale ne se fera que sur l’Amour
inconditionnel (Ahavat ḥinnam),
et non sur autre chose.
Que Dieu nous sauve des faussaires et
des arnaqueurs.
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