Opinion
BHL, le Néron médiatique du XXIème
siècle
Françoise Compoint
© Photo :
ru.wikipedia.org
Lundi 18 août 2014
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Il est difficile de dire
aujourd’hui si le Néron historique, donc
authentique, est bien celui qui
transparaît à travers les œuvres d’art
ancestrales et les films de ces
dernières décennies. Admettant que les
deux hypostases se valent, je dirais que
BHL est le Néron médiatique de notre
époque, une réincarnation de celui qui
hante si funestement les pages de Quo
Vadis. Néanmoins, si l’on s’accorde à
croire que Néron était atteint d’une
maladie mentale, le cas de BHL est
différent. Qui plus est, ce n’est pas
tant son cas qui nous intéresse que les
réalités qu’il trahit ou confirme. Mais
commençons par le commencement.
Cette fois, le
pseudo-intello du café de Flore a visité
Odessa. Le 8 août, ce triste sire devait
se produire à l’Opéra de la ville en y
présentant une pièce intitulée « Hôtel
Europe ». La veille, il a été reçu sur
le plateau de
Chanel 1,
une chaîne ukrainienne bien connue. Dans
une tirade gestuellement et verbalement
bourrée de non-sens flagrants, M. Lévy
nous explique que « la révolution [en
Ukraine] est terminée mais pas la guerre
», qu’il vient « saluer Odessa [parce
que c’est] une grande ville européenne
», que « Poutine est un barbare » mais
que l’Ukraine parviendra à ses fins
parce « qu’ [il n’y a qu’en Ukraine] que
de jeunes hommes et de jeunes femmes
meurent en serrant dans leurs bras le
drapeau de l’Europe. Aucun Français,
aucun Allemand ne meurt en serrant le
drapeau de l’Europe dans ses bras ».
Bref, nous avons face
à nous un BHL bien en forme, égal à
lui-même et à sa tenue de faux ascète
qui lui avait récemment valu l’ironie
mal cachée du défunt Benoît Duquesne.
Sauf que cette fois-ci, le conseiller de
nos Présidents a joué encore plus
médiocrement que d’habitude. Voici
quelques phrases révélatrices.
- « Je serai
demain à l’Opéra d’Odessa pour
jouer une pièce
que j’ai écrite pour l’Ukraine
et sur l’Ukraine ». La formule ne
pouvait être mieux choisie. BHL qui
n’est rien d’autre que l’image
hypertrophiée, voire grotesque de
l’avant-scène atlantiste révèle écrire
des scénarios pour un pays qu’il ne
connait pas et auquel rien ne le lie. La
morale est simple : BHL écrit non pas
des pièces mais des dictées
théâtralisées. Ce personnage donne des
conseils au Président de la République.
Question pour un champion : ce
Président, représente-t-il la France ?
- « Le peuple
européen est avec vous (…). Les
dirigeants européens sont frileux.
Les
dirigeants ont peur de Poutine (…) mais
pas le peuple.
Il admire ce qui s’est passé au Maïdan
et à Odessa.
Je suis ici le
représentant de ces opinions publiques».
De deux choses l’une. Faut-il croire que
le conseiller de François Hollande
reproche à ce dernier de ne pas entrer
en confrontation directe avec la Russie
ou, au mieux, de ne pas durcir des
sanctions déjà plus qu’aberrantes pour
l’économie européenne ? Dans ces
conditions-là, un philosophe qui n’a
aucune notion de géopolitique et
d’économie appelle l’Elysée et le Quai
d’Orsay à attiser un conflit meurtrier.
C’est manifestement au même titre qu’il
appelle Hollande à ne pas livrer les
deux Mistrals restants à la Russie. Je
lui suggère une prestation du même genre
devant les ouvriers de Saint-Nazaire
(quelques 800 personnes) qu’il croit
représenter, sans doute à l’issue d’un
sondage d’opinions spécialement
commandé. Imaginons que Douguine cité
par BHL ou n’importe quel philosophe
russe invité en Ukraine appelle
explicitement Poutine à punir Hollande
en prétendant en plus représenter tout
le peuple russe. Personnellement, je
n’aimerais pas être à la place de ce
philosophe. Mais BHL a le droit
d’exprimer ce que bon lui semble.
Nouvelle question pour un champion :
pourquoi ? Serait-il invincible ? En
vertu de quoi ? Tant que ce mystère ne
sera pas élucidé, il restera ce qu’il
est : le porte-parole ridicule du
système et non pas du peuple français
qu’il agite comme un bouclier tout en
traitant le Président français de «
frileux ». Quelle belle pièce, en effet.
- «
De jeunes
Ukrainiens meurent en serrant dans leurs
bras le drapeau de l’Europe. Aucun
Français, aucun Allemand ne meurt en
serrant le drapeau de l’Europe dans ses
bras ». Si
je comprends bien, BHL reprocherait
presque aux jeunes Français et aux
jeunes Allemands de ne pas mourir pour
l’Europe. Si je comprends bien aussi, le
même BHL n’est pas prêt non plus à
donner sa vie pour l’Europe sinon il
serait ailleurs, en plein centre de
Mossoul par exemple, l’EI étant
réellement dangereux pour cette UE qu’il
prétend chérir en tant qu’idée (voir le
spectacle donné par BHL place Maïdan)
qu’un Poutine dont les prétentions
territoriales, à en croire notre
orateur, ne concernerait que l’espace
eurasiatique. Mais ce qui aura notamment
échappé à BHL, c’est le fait que
certains manifestants europhiles abattus
au même titre que les Berkoutes par des
snippers anonymes ne voulaient
absolument pas mourir. Encore moins pour
l’Europe. Cela pour la simple et bonne
raison qu’une intégration économique à
l’UE – et non pas à l’Europe en tant que
telle, je souligne – était pour eux un
moyen de relancer la croissance dans un
pays rongé par la corruption. Ce n’était
donc pas une idée mais un moyen pratique
justifiable dans l’état récent des
choses. Le raisonnement de BHL repose
donc une nouvelle fois sur des amalgames
gros comme des maisons et une
falsification de la réalité qu’il semble
faire passer à travers un miroir
déformant. Qui plus est, de quel droit
instrumentalise-t-il la mort tragique
des manifestants pour reprocher
indirectement aux jeunes européens leur
manque d’engagement vis-à-vis de l’UE ?
- «
L’esprit de Munich
gouverne les dirigeants européens ». Ce
passage est particulièrement grave. BHL
nous renvoie ici aux accords de 1938
respectivement signés par l’Allemagne,
la France, le Royaume-Uni et l’Italie.
La France et le Royaume-Uni avaient
alors laissé l’Allemagne annexer les
Sudètes, la Tchécoslovaquie et
l’Autriche croyant qu’elle s’en
contenterait. Cette certitude, honteuse,
est toujours celle des dirigeants
européens qui laissent Poutine annexer
la Crimée et le Sud-Est ukrainien parce
que ces gens-là « ont peur de leur ombre
». Autrement dit, M. Lévy accuse M.
Hollande et Mme Merkel de ne pas entrer
en guerre contre la Russie (puisque
seule une offensive de l’Allemagne, vers
la fin des années 30, aurait peut-être
pu remédier à la situation). Faut-il
démontrer au-delà de l’évidence même que
le conseiller du Président français – et
pas du premier – présente un danger des
plus sérieux. Comment se fait-il qu’il
soit toléré et écouté, là est la
question. Comment se fait-il qu’il ait
une tribune au Figaro ?
Ces sous-entendus mis
en lumière, il ne reste plus qu’à
constater que le passage de BHL à Odessa
est un affront à la mémoire des 140
personnes exécutées dans la Maison des
syndicats. Mais il est vrai qu’elles ne
méritent pas l’attention d’un si grand
philosophe : ces enfants, ces femmes,
ces hommes sauvagement tués le 2 mai ne
serraient pas le drapeau de l’UE au
moment où ils suffoquaient.
Quant à M. Lévy, qu’en dire pour
conclure ? Quel grand artiste périt
avec moi ! Ces derniers mots de
Néron seront sans doute ceux de BHL le
jour où il perdra définitivement son
auditoire. Espérons que cela arrive
d’ici trois ans, en 2017.
© 2005—2014 La
Voix de la Russie
Publié le 19 août 2014
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