Cuba
Obama, notre frère
Fidel Castro Ruz
Fidel
Castro - Photo: RIA Novosti
Vendredi 8 avril 2016
Les rois d’Espagne nous amenèrent les
conquistadores et maîtres auxquels
furent assignés non seulement les
aborigènes qu’ils obligèrent à chercher
de l’or dans le sable des cours d’eau,
une forme d’exploitation abusive et
honteuse, mais encore des domaines
circulaires dont on peut retrouver les
traces vues d’avion dans bien des
endroits du pays.
Le tourisme
consiste aujourd’hui, pour une bonne
part, à montrer aux
visiteurs les beautés des paysages et à
leur faire savourer nos excellents
fruits de mer, mais à condition que ce
soit en partage avec le capital privé
des grandes sociétés étrangères dont les
profits, sauf s’ils se chiffrent à des
milliards de dollars par habitant,
n’attirent l’attention de personne.
Puisque je vois
contraint de mentionner ce point, je
tiens à ajouter – surtout à l’adresse
des jeunes – que rares sont ceux qui
prennent conscience de cette condition à
ce moment singulier de l’histoire
humaine que nous vivons. Je ne dirais
pas que nous avons perdu notre temps,
mais j’affirme sans la moindre
hésitation que nous ne sommes pas assez
informés, ni vous ni nous, que nous
n’avons pas assez de connaissance ni de
conscience pour relever le défi que nous
lance la réalité. Sachons tout d’abord
que nos vies ne durent qu’une fraction
de seconde dans le continuum historique,
à partager en plus avec les besoins
vitaux qu’implique le simple fait de
vivre. L’une des caractéristiques de
l’être humain est sa tendance à
surévaluer son rôle, ce qui contraste
par ailleurs avec la quantité
extraordinaire de personnes qui
incarnent les rêves les plus élevés.
Ceci dit, nul n’est
bon ou mauvais par nature. Aucun de nous
n’est conçu pour le rôle qu’il doit
assumer dans la société révolutionnaire.
Nous, les Cubains, nous avons eu en
partie le privilège de pouvoir compter
sur l’exemple de José Martí. Je me
demande même s’il fallait qu’il tombe à
Dos Ríos ou non quand il affirma :
« Pour moi l’heure a sonné » et qu’il
chargea contre les forces espagnoles
retranchées derrière une solide ligne de
feu. Il ne voulait pas retourner aux
États-Unis et nul n’aurait pu l’y
contraindre. Quelqu’un a arraché
quelques feuillets de son journal de
campagne. Qui a donc été assez perfide ?
Sans doute un intrigant sans scrupule.
On sait qu’il existait des différends
entre les chefs, mais jamais de
l’indiscipline. « Quiconque tente de
s’emparer de Cuba recueillera la
poussière de son sol baignée de sang,
s’il ne périt dans la lutte », affirma
Antonio Maceo, ce glorieux leader noir.
Quant à Máximo Gómez, il fut le chef
militaire le plus discipliné et le plus
discret de notre histoire.
Vu sous un autre
angle, comment ne pas admirer
l’indignation de Bonifacio Byrne quand,
du bateau qui le ramenait à Cuba, il
aperçut un autre drapeau flottant à côté
du nôtre à l’étoile solitaire et qu’il
écrivit : « Mon drapeau est celui qui
n’a jamais été mercenaire », pour
ajouter ensuite quelques-uns des plus
beaux vers que je connaisse :
Si, déchiré en
menus lambeaux,
Se retrouvait un jour mon drapeau,
Nos morts, levant les bras,
Sauraient encore le défendre
Je n’oublierai
jamais non plus les paroles enflammées
que lança de Camilo Cienfuegos, le soir
où des contre-révolutionnaires situés à
quelques dizaines de mètres braquaient
leurs bazookas et mitrailleuses de
fabrication étasunienne sur la terrasse
où nous étions installés.
Obama, comme il l’a
rappelé, naîtrait en août 1961, voilà
plus d’un demi-siècle. Voyons donc ce
que pense aujourd’hui notre illustre
visiteur :
« Je suis venu
ici enterrer les derniers restes de la
Guerre froide dans les Amériques. Je
suis venu ici tendre la main de l’amitié
au peuple cubain. »
Il nous a ensuite
assené une volée de concepts, absolument
inédits pour la plupart d’entre nous :
« Nous vivons
tous les deux dans un Nouveau Monde
colonisé par les Européens. Cuba, tout
comme les États-Unis, a été édifiée en
partie par des esclaves amenés
d’Afrique. Comme le peuple étasunien, le
peuple cubain peut remonter jusqu’à ses
origines aussi bien à travers les
esclaves qu’à travers leurs maîtres. »
Les populations
autochtones n’existent absolument pas
dans l’idée d’Obama. Pas plus qu’il ne
dit que la Révolution a liquidé la
discrimination raciale ; qu’elle a
offert une pension et un salaire à
tous les Cubains avant que M.
Obama ne fête ses dix ans ; qu’elle a
éliminé à jamais l’odieuse habitude
bourgeoise et raciste d’engager des
sbires pour empêcher l’entrée des Noirs
dans les centres de distraction ;
qu’elle est passée à l’Histoire pour la
bataille qu’elle a livrée en Angola
contre l’apartheid, mettant fin en même
temps à la présence d’armes atomiques
sur un continent peuplé aujourd’hui de
plus d’un milliard d’habitants, même si
ce n’était pas là l’objectif que
poursuivait notre solidarité, mais notre
aide aux peuples d’Angola, du
Mozambique, de Guinée-Bissau et d’autres
pour qu’ils se libèrent de la domination
coloniale d’un Portugal fasciste.
En 1961, deux ans
et trois mois à peine après la victoire
de la Révolution, des forces mercenaires
entraînées par les États-Unis, équipées
de canons, de blindés et d’avions des
États-Unis, accompagnées jusqu’à nos
côtes par des bâtiments de guerre et des
porte-avions des États-Unis, attaquèrent
notre pays par surprise. Rien ne pourra
jamais justifier cette attaque
traitresse qui coûta à notre population
des centaines de morts et blessés. Il
n’est fait état nulle part qu’il aurait
été possible d’évacuer un seul
mercenaire de cette brigade d’assaut de
fabrication étasunienne. Des appareils
de combats yankees furent même présentés
aux Nations Unies comme ayant été
pilotés par des Cubains insurgés…
L’expérience et la
capacité militaires de notre pays sont
largement connues. En Afrique, l’on a
cru qu’il serait facile de mettre Cuba
révolutionnaire hors de combat. C’est du
jour où des brigades motorisées de
l’Afrique du Sud raciste finirent par se
retrouver aux portes de Luanda, la
capitale angolaise, que nous engageâmes
une lutte qui dura non moins de quinze
ans. Je n’aurais même parlé de ça si je
n’avais le devoir élémentaire de
répondre au discours qu’Obama a prononcé
dans le Grand Théâtre Alicia Alonso de
La Havane.
Je ne
m’appesantirai pas sur les détails : je
soulignerai uniquement qu’il s’est écrit
là une page inestimable de la lutte pour
la libération de l’être humain. Mandela,
prisonnier à vie, était devenu un géant
dans cette lutte pour la dignité
humaine. J’ai reçu un jour un ouvrage
qui racontait une partie de la vie de
Mandela, et, ô surprise, le préfacier en
était Barack Obama ! Je l’ai feuilleté
sans tarder. J’ai été étonné des pattes
de mouche de Mandela. Il vaut la peine
d’avoir connu des êtres humains comme
lui.
Au sujet de
l’épisode Afrique du Sud, je souhaitais
vraiment avoir plus de détails sur la
façon dont les Sud-Africains s’étaient
procuré leurs armes atomiques. Ma seule
information précise était qu’ils n’en
avaient pas plus de dix ou douze. Le
professeur et chercheur Piero Gleijeses,
qui a rédigé un ouvrage excellent : « Missions
en conflit : La Havane, Washington et
l’Afrique – 1959-1976 »
s’avérait la source la
plus fiable, et je suis entré en contact
avec lui. Il m’a répondu qu’il n’avait
jamais plus parlé de cette affaire,
parce qu’il avait répondu aux questions
que lui avait posées le compañero
Jorge Risquet qui avait été ambassadeur
ou coopérant cubain en Angola, un très
bon ami à lui. Je suis alors entré en
contact avec Risquet, qui occupait alors
d’autres postes importants et qui
suivait un stage pour encore plusieurs
semaines, alors que Piero Gleijeses
était arrivé de nouveau dans notre pays.
Je l’ai averti que Risquet n’était plus
tout jeune et que sa santé n’était pas
des meilleures. Quelques jours après, ce
que je redoutais est arrivé : Risquet
empirait et décédait. Quand Piero est
arrivé, tout était dit, mais j’avais
déjà obtenu l’information relative à ces
armes et à l’aide que l’Afrique du Sud
raciste avait reçue de Reagan et
d’Israël.
Je ne sais ce qu’Obama
pourra bien dire de cette affaire.
J’ignore ce qu’il sait et ne sait pas,
quoique je doute qu’il ne sache
absolument rien. Je lui suggère
modestement d’y réfléchir et de ne pas
tenter maintenant d’échafauder des
théories sur la politique cubaine.
Je souhaitais en
quelque sorte qu’Obama se conduise
correctement, compte tenu de ses
origines modestes et de son intelligence
naturelle.
Autre point
important : dans son allocution, Obama
utilise des phrases on ne peut plus
doucereuses:
« Il est temps
de laisser le passé derrière nous. Il
est temps de fixer ensemble l’avenir –
un futuro de esperanza. Et ça ne
sera pas facile, il y aura des reculs.
Ça prendra du temps. Mais mon séjour ici
à Cuba renouvelle mon espoir et ma
confiance dans ce que fera le peuple
cubain. Nous pouvons faire ce voyage en
amis, en voisins, en famille, ensemble.
Sí se puede. Muchas gracias.
»
À entendre ces mots
du président des États-Unis, chacun de
nous risquait l’infarctus ! Et ce blocus
impitoyable qui dure depuis quasiment
soixante ans ! Et ceux qui sont morts
dans les attaques de mercenaires à des
navires et à des ports cubains !
Et l’avion de ligne rempli de
passagers saboté en plein vol ! Et les
invasions de mercenaires ! Et la foule
d’actes de violence et de force !
Que personne ne se
fasse des illusions : le peuple de ce
pays noble et dévoué ne renoncera jamais
à sa gloire et à ses droits, pas plus
qu’à la richesse spirituelle qu’il a
gagnée grâce à l’essor de l’éducation,
de la science et de la culture.
J’avertis par
ailleurs que notre peuple est capable de
produire les aliments et les richesses
matérielles dont nous avons besoin par
ses efforts et son intelligence. Nous
n’avons besoin d’aucun cadeau de
l’Empire. Nos efforts seront légaux et
pacifiques, car tel est notre engagement
envers la paix et la fraternité de tous
les êtres humains qui vivent sur cette
planète.
Fidel Castro Ruz
27 mars 2016
22 h 25
Le sommaire de Fidel Castro
Les dernières mises à jour
|