Amérique latine
Exclusif : des pêcheurs du Venezuela
racontent
la reddition de mercenaires états-uniens
Fania Rodrigues
Mercredi 13 mai 2020
L’image des mercenaires états-uniens au
sol qui viennent de se rendre, ligotés à
l’aide des fils de nylon des pêcheurs
artisanaux dans une communauté côtière
du Venezuela, a fait le tour du monde
des manchettes, la semaine dernière. Au
fond de l’image apparaît un mur de la
“Maison des pêcheurs socialistes” orné
des visages peints de héros
révolutionnaires vénézuéliens : Simón
Bolívar, Francisco de Miranda, Ezequiel
Zamora et Hugo Chávez.
Les pêcheurs disent que la scène n’était
pas planifiée, mais plutôt le fruit de
l’instinct de survie : il leur fallait
empêcher ces hommes d’attaquer leur
pays. La photo exprime également
l’authentique gentillesse vénézuélienne
car si ces hommes se sont retrouvés
devant la maison des pêcheurs
socialistes, c’est parce que c’est le
seul endroit où se dresse un arbre. Ils
ont donc épargné aux envahisseurs de se
retrouver sous le soleil brûlant des
Caraïbes, pendant que les renforts
arrivaient en hélicoptère militaire.
La scène s’est
déroulée le 4 mai dernier, dans le
village de pêcheurs de Chuao aux 3500
habitant(e)s, sur la côte de l’État
d’Aragua, dans le nord du pays. Un
groupe d’environ 60 mercenaires, composé
d’ex-combattants états-uniens et de
déserteurs des Forces armées nationales
bolivariennes, a tenté d’envahir la côte
vénézuélienne pour mettre en œuvre un
plan qu’ils ont appelé « Opération
Gedeón ». Celle-ci visait à kidnapper ou
à tuer le président Nicolás Maduro et
les principaux membres de son
gouvernement. (1)
Ce jour-là, à Chuao,
huit hommes ont été arrêtés. Parmi eux,
les sergents Airan Berry et Luke Denman,
qui ont servi dans les forces spéciales
américaines connues sous le nom de
bérets verts. Les deux hommes ont
participé aux opérations en Irak, en
tant que troupes d’élite de l’armée la
plus puissante du monde. Ils faisaient
même partie du cercle de sécurité du
président Donald Trump, comme
l’attestent des vidéos et
des photos de 2018. Ils travaillent
maintenant pour la société de sécurité
privée Silvercorp, propriété de l’ancien
officier militaire américain Jordan
Goudreau, qui a signé un contrat avec le
leader de l’opposition vénézuélienne
Juan Guaidó pour exécuter l’opération
Gedeón. Le conseiller de Guaidó, Juan
José Rendón, qui a également signé le
contrat, a démissionné le lundi 11 mai.
Ce que les
envahisseurs ne pouvaient imaginer,
c’est que l’opération se terminerait par
cette scène, confie Reinaldo Chávez, un
habitant de Chuao. « S’ils avaient su
la surprise qui les attendait ici ! Ils
peuvent se prendre pour des « Rambos »
et nous sommes un peuple humble, mais
avec notre vérité, nous finirons
toujours par gagner« , a-t-il
déclaré à Telesur.
Julio Moreno,
porte-parole du Conseil des pêcheurs de
Chuao, a raconté comment ils ont agi.
Alertés quelques jours avant par les
services de renseignement, ils ont mis
en place une stratégie de défense
populaire. Quelques jeunes se sont
dispersés dans les montagnes près de la
côte pour observer et détecter une
éventuelle approche par des navires
inconnus dans le secteur.
« Nos hommes
depuis la montagne ont vu lorsqu’ils ont
scié le toit du bateau et l’ont jeté à
la mer pour rendre l’identification
difficile. Nous avons prévenu les
autorités, l’hélicoptère militaire est
arrivé rapidement. Nous avons mis en
place un plan pour défendre la plage« ,
explique Julio Moreno.
Dans le village, il
n’y avait que cinq policiers. L’aide des
pêcheurs locaux a donc été fondamentale
pour arrêter les mercenaires. En mer,
ils ont bénéficié de l’aide d’un
hélicoptère de l’armée et d’un bateau de
la marine vénézuélienne, ce qui a permis
d’empêcher toute tentative de fuite,
mais une fois à terre, ce sont les
policiers avec des fusils et des
pistolets, ainsi que les pêcheurs, qui
ont obtenu la reddition des suspects
jusqu’à l’arrivée des renforts.
« Les militaires
dans l’hélicoptère ont tiré quelques
coups de semonce dans l’eau pour qu’ils
éteignent le moteur du bateau. Une fois
qu’ils sont arrivés dans la baie, nous
leur avons ordonné de descendre du
bateau, nous les avons ligotés et quand
ils ont été maîtrisés, nous les avons
remis à la police et au commando de la
Garde nationale bolivarienne qui étaient
présents » explique le délégué du
Conseil des pêcheurs de Chuao.
Andrés Jesus, le
chef du poste de police de Chuao, dit
qu’en 19 ans d’existence de la
coopérative, il n’aurait jamais pensé
voir quelque chose comme ça dans ce
paisible village de pêcheurs. « La
population a eu peur, on n’a jamais rien
vu de tel. Mais nos policiers se sont
sentis soutenus par les pêcheurs et la
population locale. Nous avons dû
attacher les terroristes avec des lignes
de pêche en nylon parce que c’était la
seule chose que nous avions à ce
moment-là, nous avons improvisé. Les
pêcheurs eux-mêmes ont contribué à
immobiliser les terroristes« .
Un des policiers a
dû sortir pour aller chercher les
militaires qui sont arrivés en
hélicoptère et ont atterri loin du
centre du village. Une fois de plus, ce
sont les pêcheurs qui ont aidé à
surveiller les envahisseurs. José André
Bolívar, un habitant du village, nous
raconte: « Ici, on produit du poisson
et du cacao, rien d’autre. Nous ne
sommes pas habitués à la violence, alors
nous avons peur et nous nous mettons à
courir pour aider la police et les
attraper [les mercenaires]« .
Selon le chef de la
police, la population locale était en
état d’alerte depuis des mois. Le
commandement de la police nationale
bolivarienne avait déjà envoyé des
affiches avec des visages de mercenaires
qui pouvaient tenter une invasion à tout
moment. « C’est pourquoi, lorsque les
habitants ont vu les visages, ils ont
rapidement reconnu le fils de Baduel »
explique le policier Andres Jésus.
Josnars Adolfo
Baduel, arrêté à Chuao, est connu parce
qu’il a participé à d’autres tentatives
de coup d’État, mais aussi parce qu’il
est le fils du général Raúl Isaías
Baduel qui fut un temps ministre de la
défense de l’ancien président Hugo
Chávez, emprisonné depuis 2009 pour
corruption.
Chuao organise
la défense de la communauté
Chuao était connue
pour ses beautés naturelles et surtout
pour ses exploitations de cacao,
reconnues par l’industrie du chocolat
comme l’une des plus sophistiquées au
monde. Aujourd’hui, ce petit village est
aussi une référence de la résistance
révolutionnaire.
Le village n’a pas
d’accès terrestre, il faut donc prendre
un bateau et se rendre à environ 20
minutes depuis Choroni, la municipalité
la plus proche. Ce paradis naturel a dû
s’adapter à la nouvelle réalité, face
aux menaces d’invasion militaire.
La population s’est
organisée pour protéger la communauté,
dit Julio Moreno. « Depuis que tout cela
est passé, nous avons pris conscience de
la dimension de l’action que nous avons
organisée ce jour-là. Mais nous n’avons
pas baissé la garde. Nous avons redoublé
d’efforts pour assurer la sécurité de
Chuao et des autres communautés qui font
partie de l’axe côtier vénézuélien.
Il affirme
également que la population a été formée
pour être capable d’identifier les
situations et les personnes suspectes.
« Nous avons conformé un groupe
d’agents de renseignements populaires,
et nous avons réussi à capturer un autre
mercenaire dans la communauté voisine,
au Cepe. Nous agissons en tant que
citoyens armés pour défendre leur pays« ,
a déclaré le pêcheur.
Ces entraînements
font partie de la routine de la milice
nationale bolivarienne, une armée
populaire de civils avec une formation
militaire créée par le Président Maduro
dans la ligne de l’unité civico-militaire
de Hugo Chavez. Actuellement, environ 4
millions de Vénézuéliens sont engagés
dans ces contingents qui font partie du
système de sécurité officiel du
Venezuela. En plus de la milice
bolivarienne, des groupes de défense des
pêcheurs sont créés sur la côte, comme
celui-ci formé par les habitants de
Chuao.
Dans les jours qui
ont suivi, la population d’autres
communautés a contribué à la capture de
plusieurs groupes de mercenaires. C’est
ainsi que dans le village de pêcheurs de
Cepe et la communauté de El Junquito,
les paysans ont identifié deux d’entre
eux et ont fait appel aux militaires.
Plus de 40 suspects ont déjà été arrêtés
et huit abattus lors des affrontements
du premier jour. Le pays maintient
l’alerte de sécurité maximale, établie
ce 3 mai, lorsque les premiers
mercenaires ont été interceptés dans le
port de La Guaira, dans l’État de
Vargas.
Texte et photos
: Fania Rodrigues
Fania Rodrigues,
journaliste indépendante brésilienne,
vit au Venezuela
Note (1): le
Washington Post a mis en ligne le
contrat signé notamment par le président
fantoche Juan Guaido, décrivant les
objectifs de l’opération qui étaient non
seulement d’exterminer le gouvernement
élu du Venezuela mais aussi des
dirigeants d’opposition et les
organisations populaires et particuliers
suspects d’appuyer la révolution
bolivarienne, bref de transformer le
Venezuela en une deuxième fosse commune
« colombienne » sur orbite
états-unienne. Pour cela le contrat
prévoit « l’usage de
tous les types d’armes possibles tels
les canonnières AC-130, les drones
Predator armés et les missiles à courte
portée Maverick » haute technologie de
coût très élevé, capable de causer un
niveau de destruction impressionnant) (NdT).
Source : Revista
Forum,
https://revistaforum.com.br/global/pescadores-da-venezuela-contam-como-renderam-os-mercenarios-dos-eua/amp/
Traduction du
portugais : Thierry Deronne
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