Chronique
La « stratégie du fou »
Chérif Abdedaïm
© Chérif
Abdedaïm
Dimanche 23 mars 2014
Daniel Rubinstein, le nouvel ambassadeur
des Etats-Unis pour la Syrie (et non en
Syrie, puisqu’il n’a pas demandé à
présenter sa lettre de créance au
président Bachar Al Assad), a
déclaré tous les diplomates syriens
présents aux Etats-Unis persona non
grata.
Ainsi, sous 48h, l’ambassade à
Washington et les consulats à Troy
(Michigan) et Houston (Texas) doivent
être fermés et les diplomates doivent
quitter le pays. Outre cette
décision annoncée dans un communiqué
officiel, le département d’État déclare
qu’il ne rompt pas pour autant les
relations diplomatiques avec Damas et
continuera à discuter avec l’État syrien
dans les instances
internationales.
Cela dit, l’hypocrisie continue du côté
américain. Déclaration sur déclaration,
les propos s’empilent de façon
anarchique comme si la panique
s’est emparée du poulailler.
Dans un premier temps, Obama fait savoir
dans une interview accordée à la chaîne
de télévision NBC que les Etats-Unis «
ne se lanceront pas dans une
intervention militaire en Ukraine et que
les Ukrainiens eux-mêmes reconnaissent
qu'affronter la Russie avec des moyens
militaires ne serait pas approprié et ne
leur bénéficierait pas ». Dans un
deuxième temps, son vice-président, Joe
Biden, réaffirmé la protection
militaire américaine de la région
baltique lors d'une réunion mercredi
avec les présidents de la Lituanie et de
la Lettonie. A cette occasion, Joe Biden
a souligné que les Etats- Unis
répondront à toute agression contre les
alliés de l'OTAN dans le cadre de son
article 5.
Il a réaffirmé l'engagement de la
défense collective des Etats- Unis dans
le cadre de l'OTAN, qui comprend tous
les pays baltes pour consolider la
sécurité de la région dans le contexte
de crise ukrainienne.
L’objectif des Etats-Unis serait donc
d’assurer la « sécurité régionale » ? De
quelle sécurité parle-t-on face à un
pays qui œuvre d’arrache-pied à la
création de l’insécurité et la
déstabilisation des pays ?
Provocations à coups de manœuvres, envoi
d’avion de combat dans la région (10
F-15), patrouilles aériennes
quasi-permanentes…. Que cherche-t-on
exactement ?
L’os de la dernière victoire Russe
en Crimée semble rester en travers de la
gorges de ceux qui croyaient en tiraient
bénéficie.
Par ailleurs, faudrait-il notamment
comprendre tout ce méli mélo politique
dans le cadre des visées stratégiques
étasuniennes. Car, l’effondrement du
bloc soviétique n’a pas seulement permis
la globalisation néolibérale. Il a
consacré un monde unipolaire, où les
Etats- Unis s’opposent au « reste du
monde » — un monde extraordinairement
chaotique, imprévisible et
incontrôlable, caractérisé par la
globalisation des problématiques, la
multiplication des « réseaux » et
l’intervention accrue des acteurs non
étatiques.
Dans les relations internationales, les
rapports de forces peuvent être gérés de
trois manières différentes : par la
simple hégémonie, par l’équilibre des
puissances ou par la sécurité
collective. Les Etats-Unis ont
visiblement choisi la première voie
contre la deuxième, qui est celle de
l’équilibre multipolaire, et la
troisième, qui correspond à l’action des
Nations-Unies. Plusieurs personnalités
ont déjà averti que la politique des
Etats-Unis vise depuis longtemps à
préserver leur hégémonie dans le monde.
Raison pour laquelle les Américains, qui
sont convaincus de n’avoir plus
besoin de personne, s’exemptent
eux-mêmes de toutes les contraintes du
partenariat, et cherchent à rompre une
fois pour toutes avec la vision
européenne, russe ou chinoise, d’un
monde multipolaire. ...
Autrement dit, ils sont donc en train de
devenir pour le monde un problème.
Ils apparaissent de plus en plus comme
un facteur de désordre international,
entretenant, là où ils le peuvent,
l'incertitude et le conflit. Ils exigent
de la planète entière qu'elle
reconnaisse que certains États
d'importance secondaire constituent un «
axe du mal », qui doit être combattu et
annihilé. Après avoir détruit l’irak,
les Etats-Unis ont stigmatisé l’Iran
comme membre cet axe du mal.
Et voilà, maintenant le train des
provocations qui arrive à Moscou. Ce
n’est pas la première du genre, puisque
les Etats-Unis ont déjà provoqué la
Russie en expédiant en Géorgie des
conseillers militaires, en établissant
des bases permanentes dans l'ex-Asie
centrale soviétique, face à l'armée
russe. Enfin, sommet théorique de cette
fébrilité militariste : le Pentagone
laisse filtrer des documents envisageant
des frappes nucléaires sur des pays non
nucléaires. Le gouvernement de
Washington applique ainsi un modèle
stratégique classique mais inadapté à
une nation d'échelle continentale, la «
stratégie du fou », qui recommande
d'apparaître à d'éventuels adversaires
comme irresponsable pour mieux les
intimider. Quant à la mise en place d'un
bouclier spatial, qui brise l'équilibre
nucléaire et dont le développement
ultime permettrait aux États-Unis de
régner sur l'ensemble du monde par la
terreur, elle nous force à nous projeter
dans un univers digne de la
science-fiction.
Plus conscients peut-être qu’une
troisième guerre mondial signerait le
sonnerait le glas de l’apocalypse, la
Russie, la Chine et l'Iran, trois
nations dont la priorité absolue est le
développement économique, n'ont plus
qu'une préoccupation stratégique :
résister aux provocations de l'Amérique.
Pour conclure, nous reprendrons quelques
questions posées en quatrième de
couverture du « Grand échiquier »(
Zbigniew Brzezinski) : « l'Amérique
continuera-t-elle à tirer les ficelles?
Quels seront dans les années à venir les
points chauds du globe, en particulier
sur le continent eurasien, où tout se
joue? De quelles cartes les autres pays
disposent-ils pour équilibrer et défier
la suprématie américaine? Bref: les
États-Unis vont-ils rester les maîtres
de l'échiquier mondial, et comment? »
Chérif Abdedaïm
Article publié sur
La Nouvelle République
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de l'auteur pour publication
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