Algérie en phase
avec le mouvement du monde
Fête du 5 juillet 1962 :
Plaidoyer pour jeunesse en panne
d’espérance
Chems Eddine Chitour
Le Pr
Chems Eddine Chitour
Mercredi 6 juillet 2016
«Si tu veux construire un bateau
ne rassemble pas tes hommes et femmes
pour leur donner des ordres, pour leur
expliquer chaque détail, pour leur dire
où trouver chaque chose. Si tu veux
construire un bateau, fait naître dans
le cœur de tes hommes et femmes, le
désir de la mer.»
Antoine de Saint Exupéry
Cette belle citation de Saint Exupéry
est à méditer, elle est en quelque sorte
la marche à suivre si on veut créer une
empathie et une synergie capables de
mobiliser au sens le plus noble les
citoyens d'un pays autour d'une utopie.
Des utopies nous en avions au sortir
d'une guerre d'indépendance atroce. Nous
pensions refaire le monde, l'espoir
était à portée de main et l'Algérie
avait un immense capital symbolique de
considération mondiale. En écoutant
quelques commentaires à la Chaîne 3 j'ai
été très touché par un témoignage, celui
du docteur Khatib, colonel, commandant
de la Wilaya IV historique nous raconter
comment simplement il a lavé l'affront
fait à l'Algérie un matin de juillet
1830 en rassemblant l'ALN sur la plage
de Sidi Fredj et en procédant à la levée
du drapeau algérien par le plus ancien
colonel, commandant la Wilaya III
historique, en l'occurrence Mohand
Oulhadj.
Par ce geste, l'Algérie boutait
dehors un envahisseur 132 ans après que
le général français De Bourmont, traître
à Napoléon 1er à Waterloo, venait
attenter à la dignité du peuple
algérien. En déboulonnant la statue de
la honte et par ce geste,
symboliquement, l'Algérie redevenait
elle-même pour le meilleur et...pour le
pire. Que reste-t-il de ce capital
symbolique? Nous avons traversé 54
années d'indépendance et mis à part une
période où des ambitions généreuses,
mais maladroites pour le développement,
globalement nous n'avons pas grand-chose
dont nous pouvons nous prévaloir, si ce
n'est que les problèmes de fond restent
pendants.
Souvenons-nous des années soixante,
la vague de décolonisation a donné
l'illusion que les pays étaient
réellement indépendants et que tout
était permis, la misère morale et
matérielle devait faire place à la
liberté de parole, de travailler, bref,
de donner la pleine mesure de son
talent. Nous tirions notre légitimité
internationale de l'aura de la glorieuse
Révolution de Novembre. La flamme de la
Révolution s'est refroidie en rites sans
conviction dans un partage de rôle,
chaque composante «fonctionnant» à part.
Il en sera ainsi de cette jeunesse et
ses dynamiques souterraines qui n'a pas
de projet d'ensemble se contentant de
tenter de survivre au quotidien tentée,
pour ceux qui le peuvent, par la fuite
du pays soit avec un visa pour les
diplômés d'un certain niveau soit par la
hargua, soit plus grave par la tentation
du maquis avec les conséquences qui ne
sont pas résiduelles...
Qu'avons-nous fait de cette
indépendance chèrement acquise et qui
fut le point d'orgue de 132 ans de
rapine, de sang, de larmes, de
massacres, de déportations d'innocents
qui voulaient seulement être libres dans
leur pays. Ce pays de patriotes dont les
têtes de certains les plus illustres
sont encore en 2016 dans les musées de
France. Une pétition lancée il y a deux
mois après une alerte il y a quelques
années par un ethnologue algérien est
passée inaperçue, même après quelques
articles, a été «récupérée» honteusement
à travers l'association Machaâl Echahid,
un appendice de la famille
révolutionnaire dont on peut douter de
la réelle valeur ajoutée si ce n'est
d'émarger. Qu'on se le dise, cette fête
c'est aussi la reconnaissance due aux
chouhada mais qu'en est-il de leurs
descendants? Est-il moral de prendre en
charge leurs enfants quand on sait que
certains sont grands-pères? Quand on
pense que le budget qui leur est alloué
en constante augmentation, est
équivalent à celui du ministère de
l'Enseignement et pis encore, il est six
fois plus important que celui de la
formation professionnelle?
Qu'est-ce qu'être indépendant au
XXIe siècle?
Notre pays est un pays qui se
cherche, qui peine à se déployer, qui
prend du retard, qui vit sur ce qui
reste d'une rente car elle n'est pas
celle de l'effort, de la sueur, de la
créativité L'Algérie de 2016 importe
pratiquement tout, a perdu son
savoir-faire que l'on tente
difficilement de réhabiliter. Elle n'a
plus la foi, ce feu sacré qui nous
faisait espérer en l'avenir avec 100
fois moins de moyens actuellement. Le
jeune Algérien de 2016 bavarde avec un
portable vissé à l'oreille, il tchatche
sur Internet, roule pour certains en
4×4, et pense que tout lui est dû. Il ne
sait pas ce que c'est que l'effort,
l'honnêteté, les économies, il pense que
l'école et l'université ne servent à
rien prenant l'exemple sur les
troubadours et les footballeurs qui
gagnent en une saison ce que gagne un
enseignant en une vie...
Qu'est-ce qu'être indépendant quand
on est dépendant à 80% pour sa
nourriture, à 100% pour sa construction,
les transports, quand on est dépendant à
100% pour ses achats de tous les jours.
L'industrie ne participe qu'à 5% de la
richesse. Sommes-nous devenus plus
autonomes? Avons-nous un taux
d'intégration et un savoir-faire réel?
Avons-nous des hôpitaux de qualité.
Qu'est-ce qu'être indépendant quand
notre système éducatif est en miettes et
que l'on casse les dernières défenses
immunitaires que sont les formations
technologiques (ingéniorat).
Notre mimétisme de l'Occident ne
concerne que la dimension consommation
et non dans celle du travail, de
l'effort, de l'intelligence et de
l'endurance. L'Algérien ne pense pas, il
dépense, l'Algérien veut, sans effort,
tout et tout de suite.
Des alliances se nouent, d´autres se
dénouent. Quoi qu´on dise, les regards
sont braqués sur l´Algérie. Braises mal
éteintes du régionalisme, l'échec du
vivre ensemble, l'appât du gain et pour
notre malheur, l'étendue du pays, sa
richesse en hydrocarbures et en terres
agricoles, sont autant de critères de
vulnérabilité. On ne nous laissera pas
tranquilles, un pays avec sa profondeur
stratégique, son potentiel énergétique,
ses différents climats... son potentiel
archéologique et touristique.
Le monde avance avec une vitesse V.
Pour avoir une idée de ce que c'est que
le pouvoir de l'intelligence, nous
devons prendre exemple sur les
meilleurs. En 2011, l'Ocde a classé
Israël, le pays, au niveau d'éducation
le plus élevé au monde, après le Canada.
Toute évolution réelle est indexée sur
le savoir ou la connaissance. En 1984,
Steve Jobs (le patron de Microsoft)
affirme «le logiciel, c'est le nouveau
baril de pétrole». La connaissance
mondiale double environ tous les 9 ans.
D'après le dernier classement, la
Chine possède les deux superordinateurs
les plus puissants du monde et vient de
ravir aux États-Unis le titre de la
nation disposant du plus grand nombre de
ces machines. En comparant la Russie et
la Corée du Sud, petit pays en ne
possédant qu'un tiers de la population
russe et avec un territoire 171 fois
plus petit, la Corée du Sud exporte
davantage que la Russie pourtant
puissance spatiale nucléaire et
technologique; elle exporte de la
connaissance et du savoir-faire. La
comparaison est encore pire avec les
rentiers du Golfe qui nous servent de
référence!!
Notre système éducatif devra
être la priorité des priorités
S'il faut se féliciter que le bateau
Algérie n'ait pas sombré depuis la chute
drastique des prix du pétrole qui nous
ont fait perdre l'équivalent de 100
milliards de dollars, nous ne sommes pas
pour autant tirés d'affaire. Car ces
actions ne s'inscrivent pas dans la
durée. Certes, si elles permettent de
traverser la période difficile, elles ne
mèneront pas loin. Il est nécessaire de
tout mettre à plat et repartir du bon
pied, en prenant le risque de prendre
des mesures que l'on craint à tort
impopulaires. En étant juste avec un cap
mobilisateur, les citoyens suivront.
Près de 10,5 millions d'élèves pour
un budget de 1050 milliards de DA soit
une moyenne de 100.000 DA soit encore 8
à 10 fois moins par comparaison avec les
pays européens (8000 à 13.000 euros).
Plus de 90% de ce budget sont constitués
par une masse salariale. Les programmes
du système éducatif du fait d'un
cloisonnement ne sont pas cohérents ni
avec la demande industrielle qui n'est
pas visible.
Cependant un constat lucide est à
faire ! Avons-nous une école qui fait
réussir? Une université vue comme un
ascenseur social? Rien de tout cela!
L'école a été qualitativement un échec.
Nous avons beaucoup d’étudiants mais que
valent ils ? La tentation de faciliter
qui consiste à implanter une université
dans chaque wilaya est une erreur ! Une
université cela ne se décrète pas ! Il
faut respecter les critères universels
en terme de niveau du corps enseignant,
de disponibilité de moyens pédagogiques,
laboratoires, équipements, bibliothèques
mais aussi aspect tout aussi importants
d’espaces de détentes pour le sport, la
restauration, le transport et
l’hébergement. Le niveau est déplorable,
nous le voyons aussi dans le supérieur
qui reçoit ces bacheliers mal formés et
qui seront par la force des choses mal
pris en charge aggravant ainsi
définitivement le gap par rapport aux
normes d compétences universelles quand
on postule pour une spécialité
débouchant sur un métier donné
Aucun pays ne peut se passer
d'une élite, même si ce mot sent encore
le souffre en Algérie, où les
tenants de la démagogie de
l'égalitarisme aspirent de ce fait le
pays vers le bas. Une élite sélectionnée
sur la base des mathématiques ne doit
pas souffrir de retard. Il nous faut
mettre en place dès à présent une
vingtaine de lycées d'excellence. Les
effets d'annonce actuels reposent sur du
vent. Ce n'est pas comme cela qu'on
sélectionne les meilleurs. Il faut avoir
commencé et s'inscrire dans la durée
pour repérer sur les 30.000
établissements, les génies en herbe
A titre d'exemple 76% des Iraniens
médaillés dans les Olympiades
internationales en mathématiques, entre
1993 et 2013, se trouvent actuellement
dans les plus grandes universités
américaines. De ce fait, l'introduction
de l'informatique est une vue de
l'esprit dans le système éducatif dont
les trois composantes se tournent le dos
en termes de stratégies et de vision du
continuum de la formation de l'école à
l'université.
L'Ecole algérienne est à une croisée
de chemins. Toutes les thérapies
utilisées se sont avérées inopérantes au
vu désastreux des niveaux des étudiants
à l'entrée à l'université, mais plus
grave encore leur imaginaire est livré à
tous les vents mauvais, notamment celui
de l'utilisation débridée de l'Internet.
L'éducation a besoin de se remettre en
cause se moderniser, recycler ses
enseignants. Il est de la plus haute
importance que les trois sous-systèmes
coordonnent leurs actions. La formation
professionnelle doit suivre les besoins
réels de l'économie nationale et au
moins doubler ses capacités.
Avenir du baccalauréat
Il semble que la fraude des jeunes
-présente chez les jeunes sous toutes
latitudes- soit devenue une entreprise
de grande ampleur en Algérie. Le
scandale des fuites au bac nous
interpelle. Nous avons tous failli en
1992, il n'y eut pas de deuxième session
après le résultat donné soit 10% et le
ministre a démissionné. Il est important
que l'enquête aille à son terme et que
l'on sache ce qui s'est passé car quel
que soient les motifs, il est scandaleux
que les espérances de ces jeunes qui
s'étaient mobilisés soient de ce fait
dénaturées.
Rien ne peut se faire sans
éthique. C'est peut-être le
premier chantier qu'il faut lancer pour
réhabiliter le système éducatif. La
charte de l'éthique aurait pu si elle
était appliquée servir de garde-fou.
En Algérie, pour cette année plus de
800.000 candidats ont passé le
baccalauréat. Par comparaison nous avons
plus de candidats que la France. Le bac
2015 en France 684.734 candidats.
Faut-il continuer à mobiliser un pays
pour un diplôme qui à l'échelle
internationale ne donne pas accès à
l'université.
Barack Obama parlant de l'Internet
pense que c'est comme l'oxygène: «A
l'ère où vous pouvez postuler à un job,
suivre un cours, payer vos factures,
commander une pizza, et même trouver
l'amour depuis votre smartphone,
l'Internet n'est pas un luxe, c'est une
nécessité.» Il pense naturellement à
l'Internet de la création intellectuelle
pas à celui de la tchachte, de la 3G, 4G
des sites X. Au fil du temps l'internet
est devenu comme le football, un
soporifique. Pour l'Education, il s'agit
aussi de mettre en place sans délai un
plan informatique endogène Lap top. Il y
a nécessité de penser à un plan Marshall
avec l'aide de l'Unesco.
Et l'université?
Dans la grande majorité des pays, le
baccalauréat est un diplôme de fin
d'études secondaires, l'entrée à
l'université se fait sur concours en
fonction des possibilités d'accueil et
surtout ce ne sont que les meilleurs qui
rentrent. On ne sait pas où cela va
mener; à cette cadence d'inscription
nous aurons les 2 millions d'étudiants
bien avant 2020. Un pays comme la France
ou l'Iran ont environ 2,5 millions
d'étudiants. Le niveau de ces étudiants
est sans commune mesure avec celui des
étudiants algériens. Il est temps de
revoir cela. L'Etat ne pourra pas
prendre en charge tous les étudiants, il
devrait mettre en place la culture
numérique pour le plus grand nombre:
l'Université de tous les savoirs, les
Mooc qui sont des cours en ligne, avec
des dispositifs interactifs, dont
l'auditoire est théoriquement illimité.
De plus l'Etat devrait autoriser dans le
cadre d'un cahier des charges les
entreprises publiques et privées à
s'investir dans la science, en prenant
en charge des actions d'éducation de
recherche et aussi d'universités privées
comme cela existe partout en Corée du
Nord comme en Iran sans parler
naturellement des pays industrialisés.
La formation d'ingénieurs a été
supprimée dans les universités au profit
d'un LMD dont on découvre graduellement
les errements et les limites. On prête à
la tutelle l'intention de supprimer la
publication scientifique et pis encore
l'inscription au doctorat serait permise
aux titulaires d'un master. Nous aurons
de ce fait des bataillons de docteurs.
Que doit faire l'université pour être
un facteur incontournable du
développement?
Il nous faut un cap et une vision du
futur. Partout dans le monde,
l'université traditionnelle
«L'université de papa» est morte.
L'université du nouveau siècle est une
entreprise du savoir où seuls les plus
compétents, quelles que soient leurs
origines réussiront et seront rétribués
à la juste mesure de leurs efforts. Un
Etat stratège doit donner sa chance à
toutes et à tous, mais il est évident
que chacun s'arrêtera là où ses
capacités peuvent le faire aboutir.
Il est nécessaire de réhabiliter les
formations technologiques d’une façon
franche et non par des équivalences
visant à garder le schéma LMD. Il nous
faut au contraire être beaucoup plus
exigeant dans le doctorat en imposant au
moins deux publications dans des revues
indexées mais aussi en évaluant les
performances didactiques potentiels des
prétendants à l’enseignant. Il serait
dangereux de ne pas faire entre une
évolution de carrière au mérite
personnel et celle à la pression sociale
de cohortes faisant le forcing pour
passer tous à un grade supérieur peu
importe s’ils n’ont pas la capacité pour
enseigner et transmettre un savoir de
qualité
Le ministère de la Jeunesse et
des Sports : Les vraies missions
Que fait le ministère de la Jeunesse
pour le vivre ensemble? Quel est le
bilan pour un ministère en charge de 75%
de la population. A t-il les moyens de
sa politique? A t-on vu le ministère de
la Jeunesse mobiliser sainement la
jeunesse dans des activités sportives
intellectuelles, et ludiques autrement
que l'Internet dévoyé? A-t-on vu le
sport à l'école et à l'université,
l'organisation d'un championnat inter
-wilaya, région, lycée, national? A-t-on
vu des compétitions, des jeux échecs de
robotiques?
A-t-on vu des sponsors donner de
l'argent à la jeunesse aux sports
collectifs plutôt qu'à 23 joueurs dont
la valeur ajoutée est hautement
discutable en termes symboliques avec
des salaires scandaleux qui ne peuvent
servir d'exemple aux jeunes sachant que
le football est géré d'une façon
singulière. Le ministère de la Jeunesse
devrait être la cheville ouvrière de la
mobilisation de la jeunesse s'il y a un
cap.
Après le système éducatif, l'Etat
devrait s'engager sans atermoiements
dans une transition énergétique vers le
Développement Humain Durable.
Consommer moins et mieux, donner un
juste prix à l'énergie et éduquer,
former, devront être nos priorités. Nous
devons revoir les programmes
pédagogiques dans l'éducation où on peut
penser dès à présent à un baccalauréat
du développement durable dont les
prolongements seront pris en charge dans
les métiers aussi bien à la formation
professionnelle que dans l'enseignement
supérieur.
La situation du pays impose plus que
jamais, un consensus politique sur les
grands défis qui seront là quels que
soient les pouvoirs en place, mais qui
risquent, s'ils ne sont pas pris en
charge, rapidement d'être de plus en
plus difficiles à gérer. Le meilleur
hommage que l'on puisse rendre à nos
martyrs est d'aller vers la science du
parler vrai et d'inciter les jeunes à
l'effort, à l'endurance et à la
performance au lieu de les abrutir dans
des concerts sans lendemain des matchs
de football avec une équipe off shore,
un Internet porteur de danger, s'il
n'est pas encadré. L'Algérie du million
de martyrs vaut mieux que cela. Bonne
fête aux Algériennes et aux Algériens et
à la jeunesse en qui survit la quête de
la vérité.
Article de référence
http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_
chitour/244978-plaidoyer-pour-une-esperance-a-la-jeunesse.html
Publié le 6 juillet
2016 avec l'aimable
autorisation de l'auteur
Le sommaire du Pr Chems Eddine Chitour
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