Monde
Un peu d’humilité à l’égard de la Chine,
bon sang !
Bruno Guigue
Mardi 31 octobre 2017
L’affligeante
nullité des commentaires de la presse
française sur le 19ème congrès du parti
communiste chinois (18-24 octobre) est
éloquente. Qu’avons-nous appris ?
Quasiment rien à vrai dire, sinon que la
dictature communiste est abominable, que
Xi Jin Ping a été déifié, que la Chine
croule sous la corruption, que son
économie est chancelante, son
endettement abyssal et son taux de
croissance en berne. Enfilade de lieux
communs et fausses évidences à l’appui,
la vision française de la Chine a brillé
une fois encore par un simplisme
narquois qui masque à peine une
ignorance crasse. Il suffit d’avoir
entendu une seule émission de Vincent
Hervouët sur Europe 1 pour prendre la
mesure de ce vide sidéral. Il faut dire que la
Chine ne fait rien pour faciliter les
distinctions tranchées - dignes du lit
de Procuste - et les catégories
préétablies auxquelles ce petit monde
médiatique voudrait la plier à tout
prix. Communiste, capitaliste, un peu
des deux, ou autre chose encore ? Dans
les sphères médiatiques, on y perd son
chinois. Inconsciemment, on le sent
bien, nos commentateurs aimeraient
pouvoir dire que la Chine n’est plus
communiste, ce serait tellement plus
simple. Convertie au libéralisme, cette
nation rebelle réintégrerait le droit
commun. Retour à l’ordre des choses,
cette capitulation idéologique
validerait la téléologie de l’homo
occidentalis. Absorbant la Chine, le
capitalisme mondialisé pourrait enfin
déboucher le Champagne.
Mais voilà, c’est
une romance libérale, une de plus. Le
PCC n’a nullement renoncé à son rôle
dirigeant dans la société, et il fournit
son ossature à un Etat qui tire sa force
de sa souveraineté. Hérité du maoïsme,
l’Etat central conserve la maîtrise de
la politique monétaire et contrôle le
secteur bancaire. Doté depuis les lois
de 2008 d’une fiscalité moderne, d’un
code du travail et d’un système social -
certes imparfaits -, il s’est fixé pour
objectif numéro un l’élévation du niveau
de vie de la population. Restructuré
dans les années 1990, le secteur public
demeure la colonne vertébrale de
l’économie chinoise : avec 40% des
actifs et 50% des profits générés par
l’activité industrielle, il est
prédominant dans la sidérurgie,
l’énergie et l’électricité.
Aucun commentateur
ne l’a fait, mais il suffit de lire la
résolution finale du 19ème congrès pour
mesurer l’ampleur des défis de la Chine
contemporaine. Lorsque cette résolution
affirme que “le Parti doit s’unir pour
remporter la victoire décisive de
l’édification intégrale de la société de
moyenne aisance, faire triompher le
socialisme à la chinoise de la nouvelle
ère, et lutter sans relâche pour
réaliser le rêve chinois du grand
renouveau de la nation”, il faut
peut-être prendre ces déclarations au
sérieux. Avec 89 millions de membres, le
PCC n’est pas en perte de vitesse. Mais
il lui faudra stimuler la consommation
intérieure, réduire les inégalités
sociales et juguler la pollution - un
véritable fléau -, s’il veut conserver
l’appui d’une population en voie
d’urbanisation accélérée.
En Occident, la
vision de la Chine est obscurcie par les
idées reçues. On s’imagine que
l’ouverture aux échanges internationaux
et la privatisation de nombreuses
entreprises ont sonné le glas du
“socialisme à la chinoise”. Mais c’est
faux. Pour les Chinois, cette ouverture
est la condition du développement des
forces productives, et non le prélude à
un changement systémique. Les “zones
d’exportation spéciale” ont dopé la
croissance, mais cette insertion dans la
mondialisation s’est effectuée aux
conditions fixées par l’Etat. Pour
Pékin, il fallait accumuler les capitaux
afin de poursuivre les réformes. Elles
ont permis de sortir 700 millions de
personnes de la pauvreté, soit 10% de la
population mondiale. Il n’est pas
étonnant que le 19ème congrès ait
réitéré le choix d’une économie mixte en
insistant sur les défis de
l’urbanisation et la nécessaire
réduction des inégalités.
Depuis 40 ans, la
Chine change à un rythme déconcertant et
brouille les repères habituels. Un pays
qui assure 30% de la croissance mondiale
et dont on juge que sa croissance
“fléchit” lorsqu’elle est à 6,5% mérite
quand même le détour. On peut ironiser
sur ce communisme qui fait la part belle
au capitalisme, ou encore évoquer le
spectre d’un capitalisme d’Etat, mais à
quoi bon ? Les communistes chinois se
moquent bien des catégories dans
lesquelles nos appareils idéologiques
désignent la réalité chinoise. Ils la
connaissent mieux que nous, et ils
savent que nous n’avons aucune prise sur
notre propre réalité. La puissance qui
est la leur et l’impuissance qui est la
nôtre suffisent à nous disqualifier. Si
seulement la France était un Etat
souverain, peut-être aurions-nous
quelque chose à dire. Mais franchement,
mettez-vous à la place des Chinois.
Allons, un peu d’humilité !
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