Actualité
De quoi Philippe Martinez est-il le nom
?
Bruno Guigue
Jeudi 26 mai 2016
Prétendre que la
classe ouvrière organisée prend en otage
le peuple français quand elle défend ses
droits menacés, comme le répète la
presse, restera sans doute dans les
annales. Comme si ces travailleurs en
lutte, hier chauffeurs-routiers,
aujourd'hui salariés des raffineries,
représentaient une minorité de nantis
prêts à immoler l’intérêt général sur
l’autel de leurs revendications
catégorielles ; comme si une grève qui
leur impose des sacrifices personnels
était pour eux une partie de plaisir ;
comme si leur combat n’était pas un
combat pour tous, y compris pour ceux
qui ont fait vœu de soumission à leurs
maîtres et crachent sans vergogne sur
leurs défenseurs.
A l'évidence, le
capital soumet le prolétariat médiatique
à des exigences de rentabilité aussi
impératives que celles qu’il impose au
prolétariat ouvrier. Il lui ordonne de
jeter le discrédit sur la mobilisation
populaire ; il lui extorque cet
invraisemblable tissu de mensonges comme
une vulgaire plus-value ; il met les
médias en concurrence, comme si chacun
devait emporter la palme de la haine
contre la CGT, ce syndicat honni car il
est à la fois le plus ouvrier et le plus
combatif. Cette résistance syndicale
parfaitement légitime, le capital
réclame à cor et à cri qu’on la couvre
de calomnies. La presse quasi unanime
s'y emploie.
Contrairement à la
classe ouvrière, la cohorte de plumitifs
dont le capital s’est attaché les
services, il est vrai, ne risque pas de
s’insurger contre un système dont elle a
pour vocation de chanter les louanges.
Comment cette presse française soumise
aux sept milliardaires qui en détiennent
la propriété et déterminent sa ligne
éditoriale, de BFM/TV à "Libération", du
"Monde" à "L’Express" et de TF1 au
"Figaro", pourrait-elle se comporter
autrement que sur le mode d'une
servilité à toute épreuve ?
Cette sujétion des
médias, en effet, pousse un journaliste
à prendre parti pour les détenteurs de
capitaux et leurs valets comme si ses
propres intérêts de classe étaient en
jeu ; elle le range aussitôt du côté de
la caste privilégiée qui rémunère ses
services. Ce journaliste a beau être un
salarié, le voilà qui crache son venin
sur la classe ouvrière, comme si,
piteusement assigné à la fonction
expresse de combattre ses propres
défenseurs, ce mercenaire devait aussi
se faire renégat.
Mais ce constat de
la servilité médiatique n'est pas le
seul. Le gouvernement socialiste trahit
tous ses engagements électoraux, mais ce
n'est pas suffisant. Il entreprend aussi
à la demande expresse du capital une
démolition que la droite n’avait pas osé
entreprendre. Redoublant de zèle pour
satisfaire leurs maîtres, les
socialistes entendent mener aussi loin
que possible la mise en cause des
conquêtes sociales, chaque régression,
même si elle n’aboutit pas, permettant
de franchir un nouveau seuil symbolique.
A force de porter le fer contre les
droits des travailleurs, espère-t-on, on
finira bien par les persuader que leurs
droits ne sont pas légitimes et qu’ils
auraient tout à gagner à y renoncer.
Pour les salariés, le droit du travail
est un système immunitaire. Le parti
socialiste est son virus.
Pour ceux qui ont
la mémoire courte, il faut rappeler que
les principaux acquis des travailleurs
français ont été conquis de haute lutte
; que sans les massives occupations
d’usines de l’été 36, les travailleurs
ne partiraient jamais en congés payés ;
que sans les combats héroïques de la
Résistance et de la Libération, la
Sécurité sociale et les comités
d’entreprise n’auraient jamais vu le
jour ; que sans les puissantes grèves
ouvrières de juin 68, la revalorisation
des bas salaires exigée par la
croissance des Trente Glorieuses serait
restée un vœu pieux ; que sans
l’alliance avec un parti communiste
français à 15-20% les conquêtes
initiales de 1981 seraient restées
lettre morte.
Mais le parti
socialiste, historiquement, n’a jamais
accompli la moindre réforme en faveur
des travailleurs de ce pays. Il a pris
acte d’un rapport de forces en 1936 ; il
n’a joué qu’un rôle secondaire à la
Libération, où le général de Gaulle
confia les postes-clé aux communistes ;
en 68 le PS était aux abonnés absents ;
quant aux avancées de 1981, il les a
reniées, en même temps qu’une
souveraineté nationale dont il est avec
la droite française l’un des fossoyeurs.
En revanche, il réprima dans le sang les
grèves des mineurs en 1947, faisant
appel à l’armée contre cette avant-garde
des luttes ouvrières depuis le XIXème
siècle. C’est ainsi que les socialistes
rendirent hommage aux héros de Germinal
: en les faisant fusiller.
L'expérience
historique nous l'a appris : le rôle des
socialistes français, c’est d’accréditer
la fiction d’une opposition entre la
droite et la gauche qui n’existe que
dans les représentations collectives, et
non dans la réalité des rapports
sociaux. C’est d’organiser au nom de
cette opposition artificielle une
alternance politique dont le principal
résultat est d’empêcher une véritable
alternative à la tyrannie de la finance
mondialisée. C'est de substituer à la
véritable question, celle de la
répartition effective du produit de
l'activité sociale et de l'exercice de
la souveraineté populaire qui en est la
condition, toute une série de
contre-feux et de querelles grotesques,
de la théorie du genre à
l'antisémitisme, et du voile islamique à
la réforme de l'orthographe.
Quoiqu'il advienne
de la crise sociale actuelle, on peut
dire qu'elle a déjà manifesté une vertu
pédagogique des plus précieuses. Car
elle révèle, s'il en était besoin, que
l'agitation qui se donne en spectacle à
la surface du marécage politicien est
l'expression voilée d'une réalité plus
profonde ; que le véritable clivage
social ne passe pas entre la droite et
la gauche, mais entre ceux qui vivent de
leur travail et ceux qui se contentent
d’en toucher les dividendes. Dans cette
division fondamentale de la société, la
dignité du peuple français est d’un seul
côté. A la Libération, le général de
Gaulle nomma des communistes aux
postes-clé. Parmi eux, Ambroise Croizat,
modeste ouvrier français, créa la
Sécurité sociale. En 2016, la dignité du
peuple français a un nom : c'est
Philippe Martinez.
Bruno Guigue
(26/05/2016)
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