Opinion
Comment la France
a trahi la Palestine
Bruno Guigue
Mardi 19 novembre 2013
Une chose est sûre : dans les
annales de la diplomatie française, la
présidence de François Hollande restera
marquée du sceau de l’infamie. Au moment
où la population de Gaza privée
d’électricité s’obstine à survivre, le
« président normal » d’un pays
déboussolé, l’air ravi, est venu fouler
le tapis rouge que lui déroulent
complaisamment les dirigeants sionistes.
Une chose est sûre : dans les annales
de la diplomatie française, la
présidence de François Hollande restera
marquée du sceau de l’infamie. Au moment
où la population de Gaza privée
d’électricité s’obstine à survivre, le
« président normal » d’un pays
déboussolé, l’air ravi, est venu fouler
le tapis rouge que lui déroulent
complaisamment les dirigeants sionistes.
Accueilli à bras ouverts par l’occupant,
« l’ami d’Israël », il est vrai, a bien
mérité de tels honneurs.
Car il appartient, parmi tant
d’autres, à cette oligarchie française
qui ne fait pas mystère de sa solidarité
sans faille avec l’Etat d’Israël. Il est
familier de ces dîners offerts par le
CRIF aux politiciens qui, en rang
d’oignons, viennent périodiquement
célébrer les noces d’une république
inféodée et d’une officine
communautaire. N’a-t-il pas souvent
promis, à l’occasion de ces agapes,
d’inverser le cours de la politique
étrangère de la France, jugée
excessivement « pro-arabe » ?
La promesse fut tenue. Emboîtant le
pas à son prédécesseur UMP qui jeta aux
orties les derniers oripeaux d’un
gaullisme de façade, le nouveau
président a poussé le reniement des
meilleures traditions diplomatiques de
la France jusqu’au point de non-retour.
Même Nicolas Sarkozy, lorsqu’il était
président de la République, s’était
abstenu d’effectuer en Israël une
« visite d’Etat », estimant sans doute
qu’il avait suffisamment mouillé sa
chemise pour ses amis de Tel-Aviv.
Si François Hollande, lui, n’hésite
pas à s’y rendre en grande pompe, c’est
qu’il veut aller encore plus loin.
Ruinant l’édifice diplomatique bâti par
le Quai d’Orsay depuis un demi-siècle,
enjambant la parenthèse historique des
années gaulliennes, et sans doute
inspiré par son illustre prédécesseur
socialiste, Guy Mollet, il est décidé à
renouer les fils de l’alliance
franco-israélienne. Aussi le dirigeant
socialiste s’est-il livré, avant comme
après son accès au pouvoir, à une
remarquable surenchère politique en
faveur des ambitions israéliennes.
En 2010, par exemple, il co-signe une
tribune parue dans « Le Monde » qui
incrimine les partisans de la campagne
« Boycott-Désinvestissement-Sanctions »,
une initiative non violente lancée par
la société civile palestinienne. Mais
c’est une fois installé au pouvoir que
François Hollande donne la pleine mesure
de sa partialité en faveur des thèses
israéliennes. Recevant Benyamin
Netanyahou à l’Elysée en novembre 2012,
il condamne alors, pour complaire à son
interlocuteur, l’initiative de
l’Autorité palestinienne visant à
obtenir un statut d’Etat-observateur
auprès de l’assemblée générale de l’ONU.
Selon la presse, ce refus initial,
sur lequel il reviendra ensuite par
opportunisme, aurait même provoqué le
mécontentement passager de Laurent
Fabius. Mais les deux hommes sont
d’accord sur l’essentiel. Car au même
moment, le ministre des affaires
étrangères, après une nouvelle série de
bombardements meurtriers perpétrés
contre Gaza, accuse la résistance
palestinienne d’avoir provoqué Israël.
Entre l’occupant et l’occupé, la
diplomatie française ne cherche même
plus, hypocritement, à préserver un
équilibre en trompe-l’œil. Elle désigne
d’emblée comme coupables ceux qui
résistent au seul Etat de la planète qui
colonise en toute impunité.
Il est clair que la France a fait le
choix politique d’un engagement assumé
au côté d’Israël. Les déclarations du
ministre de l’Intérieur visant à
assimiler antisémitisme et antisionisme,
l’interdiction de rassemblements en
faveur de la Palestine dans certaines
villes, les propos équivoques du
président français lors de la cérémonie
en hommage à Stéphane Hessel créent un
climat délétère, où le soutien à un
peuple colonisé se voit stigmatisé, avec
la complicité d’une presse servile,
jusqu’au sommet de l’Etat.
Simultanément, la politique de la
France au Proche-Orient, sous François
Hollande, poursuit deux objectifs
convergents : conforter la nouvelle
alliance franco-israélienne et
déstabiliser toute résistance régionale
à l’hégémonie des USA, alliés de la
France et parrains d’Israël. Sans
vergogne, les dirigeants français jouent
alors les matamores bellicistes, se
prenant hâtivement pour les voltigeurs
de l’Occident : sans aucun risque,
puisque c’est Washington qui décidera en
dernier ressort du déclenchement
éventuel des opérations.
Ainsi la France participe à la
diabolisation d’un régime syrien accusé
de génocide et s’adonne, jusqu’au
ridicule, à une surenchère guerrière qui
finit par se dégonfler comme une
baudruche. De même, la rhétorique
française sur le danger nucléaire
iranien reproduit, mot pour mot,
l’obsession israélienne, comme si les
têtes nucléaires n’étaient pas en Israël
et les cibles en Iran. Quitte à
importuner Washington, Paris se fait
avec insistance le perroquet francophone
de Tel-Aviv, son agitation ancillaire
lui tenant lieu de diplomatie.
Venant en Israël, François Hollande
apporte en outre à ses dirigeants, en
guise de corbeille de la mariée, deux
cadeaux de choix. Il a fait accepter par
les instances de l’Union européenne, en
mai 2013, une double décision lourde de
conséquences. La première, c’est la
levée de l’embargo sur les livraisons
d’armes à la rébellion syrienne, pièce
maîtresse du dispositif visant à
déstabiliser le seul régime arabe qui ne
s’est jamais couché devant l’occupant.
Le second, c’est l’inscription du
Hezbollah libanais, seule organisation
arabe à avoir vaincu militairement
Israël, sur la liste européenne des
organisations terroristes.
On mesure à peine quelle régression
historique représente cet emballement
pro-israélien de la politique française.
Car, jusqu’au quinquennat de Jacques
Chirac inclus, Paris sut maintenir le
cap d’une promotion du droit
international qui, de l’Irak à la
Palestine, lui servait de fil
conducteur. A court d’initiatives
concrètes, la France, certes, ne pesait
guère sur le cours des choses. Mais
lorsque Jacques Chirac incendiait un
policier israélien devant le
Saint-Sépulcre, la symbolique des mots
palliait un instant l’impuissance des
actes.
Héritière du gaullisme, cette
politique affirmait au moins
l’illégitimité du recours unilatéral à
la force. Au nom du droit des peuples à
l’autodétermination, elle privilégiait
les solutions négociées. Lors de sa
conférence de presse du 27 novembre
1967, le général de Gaulle avait
parfaitement résumé le problème qui
empoisonnera le Proche-Orient durant
cinquante ans : « Israël organise, dans
les territoires qu’il a pris,
l’occupation qui ne peut aller sans
oppression, répression, expulsions, et
il s’y manifeste contre lui la
résistance qu’il qualifie de
terrorisme ».
Or c’est l’aveuglement volontaire à
cette réalité qui constitue aujourd’hui
le fondement de la politique française.
Au moment où la colonisation des
territoires palestiniens bat son plein,
où l’aviation israélienne multiplie les
raids contre la Syrie, où les
négociateurs de l’OLP démissionnent
devant l’obstruction de Tel-Aviv, le
président français, le sourire aux
lèvres, rend visite à ses amis
israéliens. Sans doute, François
Mitterrand l’avait déjà fait en 1982.
Mais il avait également extrait Yasser
Arafat du guêpier de Beyrouth et osé
affirmer devant la Knesset, longtemps
avant les accords d’Oslo, la légitimité
d’un Etat palestinien.
La visite
d’Etat de François Hollande en Israël
n’a pas fait bouger d’un iota la
position des différents protagonistes.
Manifestement, elle visait surtout à
flatter l’hostilité monomaniaque des
dirigeants israéliens à l’égard de
l’Iran, désigné comme le foyer de tous
les maux. En confortant le bellicisme de
Tel-Aviv, la politique française
participe à une diversion grossière :
dénoncer une bombe iranienne virtuelle,
c’est cautionner la seule bombe réelle.
En formulant ses « quatre exigences »
sur le nucléaire iranien, François
Hollande ne s’est pas rendu compte
qu’elles sont aussi ridicules que le
lieu choisi pour les formuler.
Non-événement politique, cette visite
présidentielle s’est déroulée peu après
la scandaleuse expulsion d’une diplomate
française dont le crime fut de venir en
aide à une population assiégée dans son
propre pays. Consacrant la complicité
éhontée de nos dirigeants avec
l’oppression du peuple palestinien, elle
couronne l’alignement de la France sur
l’hégémonie américano-israélienne dans
la région. La nation qui se voulait la
« patrie des droits de l’homme » est
venue apporter sa caution morale à un
Etat dont la politique consiste à les
violer quotidiennement. Et du tapis
rouge déroulé sous les pieds du
président français, il ne restera que le
goût amer d’une ultime trahison
française de la Palestine.
A propos de l'Auteur
http://oumma.com/sites/default/files/photos_famille_162.jpg
Normalien, énarque,
aujourd'hui professeur de
philosophie, auteur de
plusieurs ouvrages, dont
"Aux origines du conflit
israélo-arabe, l'invisible
remords de l'Occident
(L'Harmattan, 2002).
Publié le 19
novembre 2013 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
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