Opinion
Israël, allié
indéfectible du régime d'apartheid
Bruno Guigue
Jeudi 12 décembre 2013
Au moment où la planète entière
porte le deuil de Nelson Mandela,
Benyamin Netanyahou annonce qu’il ne
participera pas aux cérémonies de
Pretoria. Pour quel motif? Parce que «
ce voyage coûterait trop cher » à l’Etat
hébreu. On croit rêver.
Au moment où la planète entière porte
le deuil de Nelson Mandela, Benyamin
Netanyahou annonce qu’il ne participera
pas aux cérémonies de Pretoria. Pour
quel motif? Parce que « ce voyage
coûterait trop cher » à l’Etat hébreu.
On croit rêver. Les finances
israéliennes sont dans un état si
déplorable ? Les milliards de dollars de
l’aide américaine ne suffisent plus ? On
garde cet argent pour bâtir quelques
colonies supplémentaires ?
En réalité, tout se passe comme si
l’Etat d’Israël se montrait incapable de
tourner la page. A l’instar de Bruno
Gollnisch, il estime sans doute que « le
régime afrikaner était de loin un
moindre mal, un facteur de stabilité et
de richesses, entouré par un océan de
misère ». Refusant d’admettre la défaite
d’un racisme d’Etat dont il reproduit
aujourd’hui le modèle, voit-il
rétrospectivement, dans la victoire de
l’égalité raciale en Afrique du Sud, le
signe avant-coureur de sa propre
débâcle ?
Car non seulement Israël n’a jamais
levé le petit doigt contre l’apartheid,
mais il fut le principal allié du régime
de Pretoria. En 1948, déjà, l’Afrique du
Sud est le septième Etat à reconnaître
de facto le nouvel Etat juif. Mais c’est
surtout après la guerre israélo-arabe de
1973 que les deux Etats nouent des
relations privilégiées. Afin de rompre
son isolement diplomatique, Tel-Aviv
s’allie, sur le continent africain, avec
le seul régime indifférent au sort des
Palestiniens.
En 1975, un accord stratégique crée
le cadre d’une coopération tous azimuts
qui se traduit notamment par la
construction d’infrastructures dans les
deux pays. Très rapidement, cette
coopération passe du registre économique
au registre politique et stratégique :
en 1976, le premier ministre
sud-africain John Vorster est accueilli
par le premier ministre travailliste
Itzhak Rabin pour une visite d’Etat en
Israël.
L’année suivante, c’est le ministre
des affaires étrangères Pik Botha qui
vient parapher des accords de
coopération stratégique avec Menahem
Begin et Moshé Dayan. Cette lune de miel
entre les deux Etats est à l’origine
d’une fructueuse coopération sur le plan
militaire. Alors que le régime de
Pretoria est en guerre contre l’ANC et
commence à subir les effets d’un embargo
international, Tel-Aviv lui apporte les
ressources de son expertise.
Israël procède à des transferts de
technologie, en particulier, dans le
domaine du nucléaire militaire, le
régime raciste étant déterminé à se
doter de l’arme suprême. En 1981,
l’Afrique du Sud expérimente contre
l’Angola, base-arrière de l’ANC, les
drones qu’utilisera Israël au Liban en
1982. Livraisons d’armes et recherches
communes instaurent entre les deux Etats
une connivence que la condamnation
mondiale de l’apartheid n’entame
nullement.
Car cette connivence n’est pas
seulement de circonstance. En 1975, les
deux Etats signent un accord
stratégique. La même année, le sionisme
est qualifié de « racisme » par
l’assemblée générale de l’ONU. Frères
jumeaux, les deux régimes se renvoient
l’un à l’autre leur propre image. Parce
qu’il se considère comme un îlot de
civilisation dans un océan de barbarie,
le sionisme voit dans la domination
blanche, et inversement, une sorte
d’alter ego. Et Israël soutiendra
jusqu’au bout un régime mis au ban de la
communauté internationale en 1987.
Nelson Mandela l’avait parfaitement
compris, ainsi que son vieux compagnon
de lutte Desmond Tutu. Venu apporter son
soutien aux Palestiniens en 2002,
l’archevêque du Cap juge que la
colonisation israélienne crée, dans les
territoires occupés, une situation
similaire à celle dont ont souffert les
Noirs d’Afrique du Sud. Quant à Nelson
Mandela, il dénonce sans relâche la
politique israélienne. Et en 1997, il
prononce la fameuse formule selon
laquelle « notre liberté est incomplète
sans celle des Palestiniens ».
Le refus de Benyamin Netanyahou de
rendre hommage à cet illustre combattant
de la liberté n’a donc rien à voir avec
le prix du billet d’avion. Derrière ce
prétexte sordide, qui illustre dans quel
univers mental vivent les dirigeants
d’un Etat autiste, le racisme est tapi
dans l’ombre. Le régime d’apartheid
traitait les Noirs comme des
sous-hommes, mais Golda Meir, premier
ministre travailliste, voyait dans les
Palestiniens des « animaux bipèdes »
surgis de nulle part.
Le mépris d’un Benyamin Netanyahou
pour Nelson Mandela fait-il ressortir
pour autant la grandeur d’âme d’un
Shimon Peres ? Dans les colonnes du
quotidien israélien « Haaretz »,
l’éditorialiste note que le président
israélien, qui loue en Nelson Mandela
« un leader d’une immense stature », fut
pourtant « impliqué jusqu’au cou dans la
coopération entre Israël et le régime de
l’apartheid ». Et, conclut-il, « Israël
accueillait en grande pompe les premiers
ministres sud-africains, pendant que
Mandela moisissait en prison ».
Tout est dit. Et Benyamin Netanyahou,
au fond, a bien raison de rester chez
lui.
A propos de l'Auteur
http://oumma.com/sites/default/files/photos_famille_162.jpg
Normalien, énarque,
aujourd'hui professeur de
philosophie, auteur de
plusieurs ouvrages, dont
"Aux origines du conflit
israélo-arabe, l'invisible
remords de l'Occident
(L'Harmattan, 2002).
Publié le 12 décembre 2013 avec l'aimable
autorisation d'Oumma.com
Le sommaire de Bruno Guigue
Les dernières mises à jour
|