Actualité
L’affaire Khashoggi ou le
millefeuille du moment
Antoine Charpentier
Le
Parlement européen condamne l’assassinat
du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.
©Hasan Jamali/AP Photos/European
Union-EP
Dimanche 28 octobre 2018
Depuis quasiment un mois le monde
entier est occupé par la disparition du
journaliste saoudien Jamal Khashoggi au
consulat de son pays à Istanbul. Cette
disparition culmine l’actualité du
moment au détriment des dossiers
brûlants et très inquiétants tels que la
guerre et la famine au Yémen.
Mais qui est
Jamal Khashoggi ? En prime abord Jamal
Khashoggi n’est pas un dissident
saoudien, comme le présentent certains
médias occidentaux. Khashoggi faisait
partie de l’appareil officiel saoudien,
appartenant à un autre clan que celui de
Mohamad Ben Salman (MBS) à qui il était
favorable au début de son accession au
pouvoir. Khashoggi est plutôt un
islamiste très proche des frères
musulmans. Il a autrefois soutenu les
jihadistes afghans lors de leur guerre
contre la Russie. Il était ambassadeur
de son pays en Suisse de 2001 à 2005, et
aux États-Unis de 2005 à 2007. Enfin,
Khashoggi a fui l’Arabie Saoudite lors
de la vague d’arrestation qui a eu lieu
en automne 2017.
Il est
nécessaire pour une meilleure
compréhension de l’affaire Khashoggi de
prendre en compte plusieurs données,
dont la volonté des ennemis du
Royaume saoudien de mettre à nu les
pratiques politiques de MBS. Quant aux
pays amis de l’Arabie Saoudite, telle
que la France, elle demeure
hypocritement discrète, prônant la
diplomatie, puisque selon son ministre
de l’économie Bruno Le Maire le montant
des contrats entre Paris et Riyad
s’élève à 18 millions de dollars. Donc
la France comme les États-Unis mettent
en avant et en première position
les intérêts économiques. Nous
comprenons que la priorité des
occidentaux est avant tout la
préservation des intérêts économiques,
ce qui explique le silence de ces
derniers au sujet de la guerre atroce
qui se déroule depuis trois ans au
Yémen. Cependant, la France s’est
désistée de la rencontre
Future Investment Initiative
(FII), connu sous le nom de Davos du
désert. L’Allemagne a essayé de montrer
un brin d’opposition, mais elle s’est
vite résignée.
Les relations
turcos-saoudiennes et la lutte sans
merci entre Ankara et Riyad pour prendre
la tête du monde musulman, notamment
sunnite, constituent une couche du
millefeuille de l’affaire Khashoggi.
Nous pouvons supposer qu’il existe dans
cette affaire un troisième acteur qui,
par l’élimination de Khashoggi, visait
l’Arabie Saoudite et la Turquie, tendant
le piège à la première, éclaboussant la
seconde, puisque le crime abject s’est
déroulé sur son sol. Néanmoins, il
semble que les turcs ont saisi le jeu à
travers leurs services de renseignements
et ont suivi les instigateurs presque à
la trace, ce qui leur a permis de
détenir des preuves à charge contre
plusieurs acteurs de l’affaire Khashoggi.
La ruse
turque a opérée encore une fois. Erdogan
a libéré le pasteur Bronson pour enlever
aux américains une carte de pression
contre lui, tandis qu’il semble détenir
des preuves contre eux dans l’affaire
Khashoggi. Sinon comment expliquer la
visite du chef de la CIA à Istanbul
avant la conférence de presse d’Erdogan
du 23 octobre au sujet de l’affaire
Khashoggi, où ils promettaient de
divulguer de lourdes preuves. Après
avoir paralysé les États-Unis Erdogan se
consacre à attaquer l’Arabie Saoudite.
Il imposera probablement à cette
dernière une série de conditions pour
acheter son silence dont
l’assouplissement de ses positions
envers le Qatar.
L’affaire
Khashoggi met également Donald Trump
dans une position délicate à quelques
jours des élections de mi-mandat qui
auront lieu début novembre. Ses nombreux
ennemis politiques vont exploiter cette
carte pour essayer davantage de le
ruiner et en même temps de dénigrer plus
l’Arabie Saoudite, et à travers elle,
les pays arabes et l’Islam.
Toutefois,
Donald Trump ne peut ni se dérober, ni
se soustraire à ses relations avec
l’Arabie Saoudite, surtout que ce
dernier a besoin d’un allié de poids au
Moyen-Orient pour affronter l’Iran, il a
besoin de maintenir les prix du pétrole,
de contrôler les ressources énergétiques
des pays du Golfe, de relancer ce qu’il
nomme le processus de paix au
Moyen-Orient et qui n’est que la
suppression pure et dure de la cause
palestinienne. De ce fait et malgré tout
l’Arabie Saoudite offre encore aux
États-Unis
la couverture nécessaire.
Ceux qui
s’attendent à un brouillage ou une
rupture des relations entre américains
et saoudiens se trompent dans leur
diagnostic, cela n’arrivera pas. En
revanche, ce qui peut arriver est tout
simplement une révolution de Cour, donc
un changement de visage, une
modification de méthode. Cependant,
aucun signe laisse transpirer pour le
moment une telle manœuvre.
Enfin
l’affaire Khashoggi va être résorbée
sous peu, après que les ennemis de
l’Arabie Saoudite et des États-Unis
aient puisé tous les recours possibles
et inimaginables. Les choses rentreront
dans l’ordre jusqu’au prochain épisode.
Antoine
Charpentier
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