Vu du Droit
Pandémie : le jour d’après sera celui
des comptes,
radical et sans concession
Anne-Sophie Chazaud
Mercredi 25 mars 2020 Le dévoilement :
tous les rois sont nus
Ainsi que nous
l’avions pressenti, la crise sanitaire
liée à l’épidémie de Covid-19 est la
révélatrice de toutes les autres. Très
rapidement, chacun y est allé, à juste
titre, de son domaine d’expertise pour
considérer l’évidence qui allait
promptement s’imposer : remise en
question cette fois-ci rédhibitoire
d’une Union européenne parfaitement
inutile voire nuisible, incapable de
protéger qui que ce soit et occupée,
pendant que chacun tente de survivre, à
intégrer en son sein déjà obèse
l’Albanie et la Macédoine du Nord (on
comprend vraiment l’urgence du dossier).
Remise en question du modèle, une
nouvelle fois en crise grave, d’une
économie mondialisée, financiarisée et
déshumanisée, irrespectueuse des
peuples, de l’environnement mais aussi
source d’insécurité profonde pour
ceux-ci. Prise de conscience subite,
comme d’autres découvrent la lune, des
vertus de l’État providence –encore
faudrait-il que celui-ci soit aux mains
d’hommes d’Etat dignes de ce nom et non
de valets de la finance, lesquels
découvrent subitement que le pays tourne
encore, malgré le confinement, grâce aux
éboueurs, aux personnels soignants, aux
caissières, aux livreurs, à tous ceux
que l’enseigne Intermarché a récemment
et fort justement qualifiés de « héros
discrets », sur lesquels le pouvoir
macronien n’aura pourtant eu de cesse de
taper pendant des mois, depuis la crise
des Gilets Jaunes jusqu’aux
mobilisations contre la réforme des
retraites, et qui continuent de faire
tourner la boutique, enfin, pour ceux
qui auront réussi à conserver leurs deux
yeux.
La fulgurante
débandade
On avait donc
rapidement compris que tout allait
s’écrouler, mais on n’avait pas imaginé
que la débandade serait aussi rapide et
fulgurante, quand bien même pour des
raisons conjoncturelles évidentes, la
machine tient encore debout, rafistolée
avec du scotch, comme elle-même placée
sous un respirateur artificiel de
fortune: la France retient son souffle
avant que des comptes soient demandés,
rendus et que les responsables soient
amenés à répondre de leurs nombreuses et
coupables errances. Car l’heure viendra
de rendre des comptes, quoi qu’en
pensent ceux qui tentent, sous prétexte
d’une Union nationale qu’ils n’ont cessé
de déconstruire méthodiquement (le mot
même de nation était devenu péjoratif)
de faire taire les esprits libres et
critiques et les personnes qui
s’efforcent, en dépit des circonstances,
de réfléchir.
Les improvisations
n’ont cessé de succéder aux mensonges
qui eux-mêmes ont fait place à d’autres
improvisations, mises en scènes et choix
coupables, dissimulations,
manipulations. La pénurie de masques, de
respirateurs, de protections, de tests
est flagrante, quand bien même les
habituels amuseurs publics d’un exécutif
aux abois se succèdent pour déclarer que
tout ceci ne sert à rien et que si les
soignants tombent malades c’est
certainement à cause des transports en
commun. La somme des déclarations
grotesques, ineptes et coupables est
telle qu’on ne saurait ici la restituer
dans sa totalité. Sans compter
l’appréciation même de l’ampleur de la
crise qui vire au grotesque puisque dans
notre pays, pour être testé, il faut
être soit élu soit quasi mort. Les
chiffres qui sont donnés sont donc aussi
fiables que ceux d’une République
bananière, d’autant que, concernant les
personnes décédées elles-mêmes, on ne
comptabilise ni les membres des Ehpad
dont on constate une nouvelle fois
l’extrême dénuement, ni les personnes
qui décèdent à domicile.
L’Histoire avec
sa grande hache
La désorganisation,
l’impréparation, l’absence
d’anticipation deviennent chaque jour
plus manifestes, alors même que la
France possédait l’un des systèmes de
santé publique parmi les plus
performants du monde. On découvre peu à
peu l’ampleur des dégâts et l’on hésite,
en raison du confinement, entre le rire
nerveux et une colère immense qui, peu à
peu, en chacun, en chaque foyer, dans
chaque maison, est en train de monter et
dont on se dit que lorsqu’elle va sortir
et s’exprimer, elle risque de laisser
quelques traces dans l’Histoire avec sa
grande hache, comme disait Perec.
Ces dégâts étaient
pourtant prévisibles et annoncés par les
personnels soignants depuis des années,
et particulièrement depuis des mois, à
qui l’on préférait répondre à grands
renforts de gaz lacrymogènes, tant il
semblait plus judicieux à cet exécutif
de prévoir des stocks de grenades de
désencerclement et autres matériels
répressifs plutôt que du matériel
sanitaire qui, à présent, manque
cruellement.
La bataille autour
des travaux pourtant prometteurs et
indispensables du Professeur Raoult est
un des exemples les plus calamiteux de
cette incurie coupable des pouvoirs
publics. On déclare l’état de guerre
mais on prend des précautions de
jouvencelles pour tenter, sans attendre,
d’administrer dans de bonnes conditions,
de la chloroquine aux patients, si
possible avant leur mise en bière
(selon le protocole mis au point au CHU
de Marseille, et non pas en avalant du
produit pour nettoyer les aquariums
comme l’ont fait deux imbéciles aux
Etats-Unis, ce dont se sont
immédiatement et stupidement emparés les
détracteurs macroniens de notre original
druide marseillais aux allures de
Panoramix), que l’on s’arrange dans le
même temps pour rendre aussi rare et
efficace que l’extrême onction. On
s’aperçoit que la Nivaquine, distribuée
à des milliards de doses depuis plus de
70 ans, a été classée subitement parmi
les substances vénéneuses par Agnès
Buzyn au début de l’année, au moment
même où se déclenchait la crise du
coronavirus (il faut croire que
l’application du principe de précaution
est à géométrie très variable selon les
intérêts poursuivis) et sachant que les
Chinois étaient sur la piste de
plusieurs protocoles incluant cette
molécule. On découvre par ailleurs que
la seule usine française fabriquant ce
médicament, FAMAR, près de Lyon, a été
placée en redressement judiciaire suite
à sa revente par le fonds
d’investissement américain KKR, tandis
que le seul site européen fabriquant des
bouteilles d’oxygène médical, LUXFER,
près de Clermont-Ferrand, a quant à lui
fermé sur décision de son actionnaire
britannique et malgré une activité
parfaitement rentable (quand il y a de
la gêne, il n’y a pas de plaisir). Il
semble qu’on ait perdu l’intérêt général
quelque part dans le vaste delta qui
sépare la start-up nation de
l’Etat-stratège…
Aujourd’hui, les
membres d’un exécutif qui n’a eu de
cesse de mépriser cette économie locale,
territoriale, de vanter les mérites d’un
néo-libéralisme sans âme, d’une
financiarisation brutale de l’économie,
de dogmes bruxellois irresponsables et
hostiles à toute forme de souveraineté,
y compris sanitaire, pharmaceutique,
médicale, des États-nations, découvrent
subitement les dégâts que causent leurs
choix coupables, sans pour autant, du
reste, s’en excuser le moins du monde.
Alors, mentir
semble la seule solution. Tenter de
décrédibiliser les travaux du professeur
de Marseille qui ne goûte pas les joies
vaines de la haute administration
parisienne, mentir au sujet des
protections, mentir sur l’anticipation
qui n’a pas été faite, mentir sur les
mesures qui n’ont pas été prises.
Mentir, aussi, sur les raisons pour
lesquelles ces mesures n’ont pas été
prises, alors que, comme l’indique Agnès
Buzyn elle-même, tout ce qui allait
advenir était clair depuis deux mois.
Tous ceux qui sont
responsables de ce délitement et de
cette désorganisation demandent
désormais, aux abois, de l’aide. Alors,
bien sûr, chacun va retrousser ses
manches et aider, à sa manière, aider
les soignants, aider les agriculteurs,
aider de toutes les façons possibles
tous ceux qui en ont besoin, mais
l’heure des comptes, ensuite, sera de
mise. Elle sera radicale et sans
concessions.
Parce qu’il faudra
juger jusqu’au dernier tous ceux qui
auront été responsables du fait qu’en
2020, en France, on ne puisse plus même
enterrer dignement ses morts, à l’heure
où Georges Steiner et ses Antigones nous
ont adressé un dernier salut du monde
civilisé.
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