Après le modèle
turc, la copie slave
La Pologne, nouvelle tête de pont d'un
plan de déstabilisation de l'Otan
Andrew Korybko
Radek
Sikorski, ministre polonais des Affaires
étrangères,
avec les trois principaux dirigeants de
l’opposition ukrainienne, à Kiev.
Mercredi 26 février 2014
En serviteur zélé
des intérêts US, la Pologne endosse
officiellement, dans sa relation
avec l’Ukraine, le rôle du Turc de
service. À l’instar de la Turquie,
qui s’est révélée être une
plate-forme d’un intérêt
géopolitique évident pour le transit
des armes et le soutien en hommes et
en matériel à destination des
terroristes syriens, la Pologne
fournit désormais le même type
d’appui à leurs homologues
ukrainiens. Donald Tusk, le Premier
ministre polonais, a déclaré le 22
février 2014 que son pays assurait
d’ores et déjà les soins nécessaires
aux insurgés blessés de Kiev, des
ordres ayant été effectivement
donnés au ministère de l’Intérieur
et aux Forces armées pour renforcer
cette aide en mettant des hôpitaux à
disposition [1].
Le ministre délégué à la Santé a
confirmé les contacts de Varsovie
avec les rebelles de Kiev pour
« organiser la prise en charge des
soins aux blessés ukrainiens. ». Il
en découle que la Pologne a, de
fait, élargi jusqu’à près de 500
kilomètres à l’intérieur de
l’Ukraine la zone sur laquelle elle
entend exercer son influence, tant
par l’action souterraine que par la
diplomatie. En Ukraine, les services
de renseignement polonais ne se
contentent manifestement pas
« d’aider les blessés » [des groupes
terroristes]. On peut à plus forte
raison présumer que les régions
ukrainiennes frontalières de la
Pologne —Lvov et Volyn— sont plus
fortement encore sous l’emprise de
Varsovie. Coïncidence ou pas, la
région de Lvov a déjà tenté de
déclarer son indépendance. Comme
Varsovie l’a fait (et le fait en ce
moment) en Ukraine, Ankara a exercé
son influence en profondeur à
l’intérieur du territoire syrien au
plus fort de la crise qui a affecté
ce pays. N’oublions pas que la
Turquie a, elle aussi, abrité et
soigné sur son propre territoire les
combattants (terroristes) blessés en
Syrie.
Il convient d’examiner de plus
près la similitude des rapports
qu’entretiennent la Pologne et la
Turquie avec leurs voisins
respectifs, l’Ukraine et la Syrie,
pour mieux comprendre comment a été
appliquée, dans l’un et l’autre cas,
la méthode d’intervention du
« pilotage par l’arrière » .
Notons d’abord que la stratégie
du « pilotage par l’arrière » a été
définie comme « un appui militaire
des USA qui restent dans l’ombre et
laissent à d’autres les slogans et
la propagande ». C’est la stratégie
adoptée pour les guerres menées sur
des théâtres d’opération où, pour
diverses raisons, les États–Unis
répugnent à s’engager ouvertement.
Elle s’appuie sur l’utilisation
d’alliés, de « caciques » régionaux
en charge de l’avancement des
objectifs géopolitiques et
géostratégiques des États-Unis, à
travers un dispositif de guerre
asymétrique, tandis que Washington
redéploie ses forces en Asie où il
souhaite opposer à la Chine une
dissuasion de type conventionnel.
Sur la scène européenne comme au
Proche-Orient, ce sont les USA qui
tirent les ficelles : pour
Washington, la Pologne et la Turquie
sont les marionnettes rêvées, l’une
et l’autre dressées contre leurs
voisins respectifs, l’Ukraine et la
Syrie. Les États-uniens prennent
principalement en charge
l’entraînement des bandes de
« l’opposition » et le
renseignement. La Pologne et la
Turquie font leur part du travail en
apportant un soutien direct au
déploiement de ces groupes sur le
territoire des pays attaqués.
En Ukraine, les États-Unis ont
infiltré les ONG pendant plus de dix
ans pour entrer dans la place, leur
allouant entre autres cinq milliards
de dollars pour « aider le pays à
instaurer des institutions
démocratiques » [2].
Dans la campagne de propagande menée
contre Kiev, la NED (Fondation
nationale pour la démocratie) [3]a
joué un rôle majeur pour faire
avaler au public ukrainien une
version relookée de la vidéo fumeuse
Kony 2012 utilisée auparavant
comme prétexte au renforcement de la
présence militaire US en Afrique
centrale [4].
Les reportages effrayants de
« Danny », sur CNN, ont de la même
façon été utilisés en Syrie en 2012
pour discréditer le régime de
Damas [5]
Mais les ressemblances ne
s’arrêtent pas là.
La Pologne et la Turquie sont
toutes deux des États frontaliers de
l’Otan, la Pologne étant présentée
comme « le plus important de tous
les pays frontaliers de l’Alliance
en terme de puissance économique,
politique et militaire ». Comparés à
leurs voisins ukrainiens et syriens,
ces deux pays d’un intérêt
géostratégique majeur bénéficient
d’une supériorité écrasante en
matière de démographie. Ils
souffrent, l’un comme l’autre, de
complexes d’infériorité hérités de
la gloire impériale perdue (perte de
l’Union avec la Lituanie pour la
Pologne et perte de l’Empire ottoman
pour la Turquie) . Ils partagent
tous deux une frontière terrestre
étendue avec les pays qui sont dans
le collimateur pour « une transition
démocratique ». Ils ont pareillement
en commun des liens culturels et
politiques importants avec leurs
voisins, hérités des empires perdus,
qui remontent loin en arrière, avant
le déclenchement de leurs crises
respectives. Cela leur confère des
atouts de premier ordre,
intangibles, pour intervenir sur le
futur champ de bataille, de manière
officielle et non officielle, et
pour mener les opérations de
renseignement.
La Pologne et la Turquie abritent
aussi l’une et l’autre des
installations militaires
importantes : l’US Air Force dispose
d’une base aérienne à Incirlik, au
sud de la Turquie, un radar de la
défense anti-missile étant
positionné à l’Est. Pour sa part, la
Pologne a mis à la disposition des
USA la base aérienne de Lask et un
avant-poste de la défense
anti-missile dans le Nord-Est, près
de Kaliningrad. Quand on observe les
développements de la campagne menée
par les insurgés qui s’acquittent,
en Ukraine, de la tâche qui leur a
été confiée, on fait un constat
inquiétant : les méthodes des
fascistes ukrainiens ressemblent de
plus en plus à celles des
djihadistes en Syrie. Comme à Damas
en 2011, où des tireurs embusqués
(identifiés comme des rebelles)
tiraient à l’aveuglette sur la
foule, des balles ont commencé à
s’abattre sur les civils à Kiev, où
même un reporter de la télévision
russe RT a essuyé des tirs. On peut
comparer la revendication par Lvov
de son indépendance à la déclaration
d’autonomie des Kurdes du Nord de la
Syrie. Ces régions jouxtent, l’une
comme l’autre, les frontières de
l’État qui s’immisce dans les
affaires intérieures de son voisin
pour le compte du commanditaire US.
On retrouve le même parallélisme
dans la prise de contrôle, par les
rebelles ukrainiens et syriens, des
postes frontières assurant la
liaison avec l’État qui les
soutient. Ces manœuvres ont, pour
Ankara et Varsovie, le mérite
évident de faciliter le transit des
armes, des hommes et du matériel à
destination de la lignée de
terroristes qu’ils ont engendrée.
Quand les insurgés s’avèrent
incapables de garder le contrôle des
zones frontalières, ils recourent au
pillage des entrepôts des forces
gouvernementales qu’ils ont réussi à
investir ; ils volent les armes,
soit en les confisquant aux agents
des forces de l’ordre qu’ils
capturent, soit en les dérobant dans
les bâtiments dont ils prennent le
contrôle [6].
Les djihadistes qui combattent en
Syrie sont coutumiers des prises
d’otages et des exécutions
sommaires. Leurs épigones ukrainiens
marchent dans leurs pas comme en
atteste leur capture de soixante
policiers à Kiev.
Les exemples relevés plus haut
démontrent clairement que les
opérations de déstabilisation menées
en Ukraine et en Syrie suivent un
plan bien établi Les États Unis sont
aux commandes et appliquent leur
stratégie du « pilotage par
l’arrière ». Ils manipulent des
États ébranlés par l’écroulement des
empires dont ils faisaient partie.
Ils ciblent des territoires
d’intérêt majeur, situés là où ils
préfèrent ne pas intervenir
directement, tenir leur rôle secret,
et nier à leur guise toute
implication. Une autre pratique est
de plus en plus largement répandue :
l’utilisation de groupes extrémistes
régionaux fanatisés pour soutenir
une entreprise de déstabilisation au
long cours. Au Proche-Orient, ce
sont les radicaux islamistes qui ont
été choisis pour organiser et
exporter le chaos. En Ukraine, les
« wahabistes locaux » sont,
semble-t-il, recrutés de plus en
plus souvent parmi les groupes
d’extrême droite, voire nazis, pour
la conduite de certaines opérations.
L’Ukraine peut fort bien devenir le
terrain d’entraînement des autres
groupes d’extrême droite européens.
On peut aussi redouter que les
groupes de factieux qui opèrent
actuellement en Ukraine décident de
vendre leur savoir-faire au plus
offrant dans les autres pays
européens. Tout comme la Turquie
fait le lit des extrémistes
islamistes à travers le soutien
qu’elle apporte à ceux qui
combattent en Syrie, la Pologne
courtise dangereusement l’extrême
droite nationaliste ukrainienne,
comme l’attestent ses déclarations
de soutien aux groupes qui utilisent
la violence, et la décision récente
d’évacuer et de soigner les insurgés
(sans parler des autres formes de
soutien tenues secrètes, dont on
ignore l’étendue). Tout comme les
extrémistes islamistes ont échappé à
ceux qui en tiraient les ficelles,
et mettent à présent en danger tout
le Proche-Orient, les groupes
nationalistes d’extrême droite
risquent de devenir incontrôlables
en Ukraine et peuvent mettre en
danger l’Union européenne toute
entière. Quand on compare la Pologne
à la Turquie, et l’Ukraine à la
Syrie, on est obligé de constater
que le « Printemps arabe » est
désormais inscrit, beaucoup plus
profondément qu’il n’y paraît, dans
le paysage européen.
Traduction
Gérard Jeannesson
Source
Oriental Review
Note de l’Oriental Review :
La féroce campagne anti-Assad que la
Turquie a menée tout au long de ces
trois dernières années s’est soldée
par un désastre politique pour ce
pays. Le Premier ministre turc,
Recep Tayyip Erdoğan, s’efforce
maintenant de rééquilibrer sa
politique fort mal inspirée à
l’égard de la Syrie. Il tente de
retrouver des appuis régionaux et de
reconquérir les faveurs de l’opinion
publique, sa popularité s’étant
effondrée en raison de son
implication calamiteuse dans la
tragédie syrienne. Sa dernière
visite à Téhéran atteste du
revirement spectaculaire opéré par
la Turquie, aussi bien en ce qui
concerne le raisonnement suivi que
la manière d’aborder le problème
syrien. Il semble bien que la
Turquie ait tiré les leçons amères
de l’expérience et compris ce qu’il
en coûte de jouer le jeu de
gouvernements étrangers dans ses
relations avec un pays voisin. La
Pologne sera-t-elle capable de
réévaluer elle aussi, avec
discernement, le rôle qui est le
sien dans la crise abominable que
traverse l’Ukraine ? La question
reste ouverte.
[1]
« Poland
on standby to receive Ukraine’s
wounded » by Mathew Day, The
Telegraph 20 February 2014.
[2]
“Remarks
by Victoria Nuland at the
U.S.-Ukraine Foundation Conference”,
by Victoria Nuland, Voltaire
Network, 13 december 2013.
[3]
« La
NED, vitrine légale de la CIA »,
par Thierry Meyssan,
Однако/Réseau Voltaire, 6
octobre 2010.
[4]
Kony 2012 est une vidéo de
propagande de l’association
Invisible Children en vue de faire
arrêter le chef de l’Armée de
libération du Seigneur, Joseph Kony.
Visionnée sur Internet par plus de
100 millions de personnes, notamment
aux USA, elle a touché
émotionnellement un large public sur
la base d’affirmations simplistes et
d’amalgames.
[5]
« Danny » était le nom d’un
activiste syrien, correspondant
d’Al-Jazeera et de CNN, depuis Baba
Amr (Homs) assiégé. En réalité, il
s’agissait d’un jeune voyou rémunéré
par les services secrets du Qatar
pour faire accroire que la
population de Homs était bombardée
par le gouvernement syrien. Durant
trois mois, il utilisa divers
trucages pour que l’on entende et
voit des bombardements imaginaires.
[6]
“Rioters
seize over 1500 guns in Ukraine
mayhem –securty services” RT ,
19 February 2014.
Andrew Korybko
Etudiant en Relations internationales à
l’Université de Moscou (MGIMO).
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