Focus
Une nouvelle devise pour l'Union
monétaire nord-américaine, l'améro ?
Alfredo Jalife-Rahme
Vendredi 2 janvier 2015
Les débats sur l’avenir de l’euro
doivent être révisés au regard du projet
nord-américain d’améro. En détruisant
eux-mêmes le dollar, les États-Unis
pourraient en priver certains détenteurs
actuels. Ils pourraient aussi
officialiser une vaste zone monétaire et
proposer sa fusion avec celle de l’euro.
S’il devait voir le jour, le projet d’améro
signifierait un profond changement de la
politique états-unienne qui
privilégierait désormais sa base
continentale dans sa conquête du monde.
En un jour, le
rouble a perdu plus de 20 % face au
dollar et à l’euro ; au même moment
Serguëi Griniaïev, directeur général
du Centre d’études et de prévisions
stratégiques de la Russie, a annoncé
que les États-Unis se préparent à
adopter une nouvelle monnaie, l’améro,
lorsque la bulle du dollar éclatera.
Il considère que les forces armées
US n’ont pas pour mission de
défendre les USA, mais de créer les
conditions pour que la monnaie
états-unienne circule dans le monde
entier, autrement dit, pour protéger
le crime organisé à l’échelle
internationale.
Pour lui, la bulle du dollar
éclatera aussitôt que les dépenses
militaires du Pentagone dépasseront
les rentrées que la Réserve fédérale
obtient par la vente de produits
virtuels.
Dans un entretien au site russe
Svobodnaya Pressa, qui cite
Russia Today [1]
—le site de plus en plus lu dans le
monde entier parce qu’il constitue
un média alternatif solide face au
quasi monopole des multimédias
israélo-anglosaxons—, Grinaïev
affirme que le rejet du dollar sera
synchronisé avec la transition vers
la nouvelle monnaie ; c’est ce
qu’ont établi ses experts, sur la
base d’informations vérifiées ; et
il considère aussi que, selon une
estimation externe de la dette US,
quand celle-ci dépassera une
certaine limite, ce sera
l’apocalypse du dollar ; la limite
se situe autour de 60 milliards de
dollars de dette US sur le marché
mondial ; pour le moment, on en est
à 18 milliards environ ; au-delà, la
vente de produits virtuels perd tout
sens économique.
La question du montant de la
dette états-unienne est polémique
autant qu’imprécise, car elle dépend
de celui qui fait les comptes, et de
qui désinforme. Je me souviens d’un
rapport de la banque suisse
désormais en faillite Wegelin, qui
évaluait la dette des USA à des
niveaux stratosphériques : 600 % du
PIB [2].
Le chiffre officiel actuel mais peu
crédible tourne autour de 71,8 % du
PIB, selon le World Factbook
de la CIA.
Les experts russes en question
invoquent le fait que le dollar est
une monnaie caméléon qui a une date
de caducité bien concrète, et que l’améro
pourrait se substituer non seulement
au dollar US, mais aussi aux
monnaies de plusieurs pays
d’Amérique latine.
Cette définition du dollar comme
devise caméléon vient de ce qu’il
existe en tant que trace
électronique sur les comptes
bancaires, ou sous forme d’un bout
de papier qui vaut quelques
centimes, connu sous le nom de
billet de cent dollars. En quelques
secondes, il peut se renforcer ou se
déprécier.
Est-ce que l’Alliance du
Pacifique, composée du Mexique, du
Chili, du Pérou et de la Colombie,
outre le Salvador, le Panama et
l’Équateur qui opèrent déjà avec le
dollar, sans compter d’autres pays
d’Amérique centrale et des Caraïbes,
vont adopter l’améro ?
Les experts calculent qu’il
existera une zone améro incluant en
plus le Costa Rica, le Honduras, le
Panama, les Bermudes et les Barbades.
Grinaïev informe que le projet
améro existe depuis des décennies,
et qu’il est l’analogue de l’euro
pour l’Amérique du nord ; une
transition réussie vers l’améro
permettrait pendant vingt ans au PIB
des Nord-américains d’augmenter de
33 %, aux dépens de l’Accord de
libre-échange nord-américain.
La réforme monétaire pourrait se
concrétiser en 2020, après
l’enregistrement légal de l’Amérique
du Nord (le bloc US-Canada-Mexique)
dont les statuts mentionnent une
transition en douceur du dollar à l’améro.
Les stratèges US donnent un coup
d’accélérateur à l’intégration en
vue, avec un nouveau point de vue [3],
selon un comité au plus niveau du
Council on Foreign Relations (CFR),
présidé par le général à la retraite
David Petraeus du KKR global
Institute, et par l’ex-président de
la Banque mondiale, Robert Zoellick,
de Goldman Sachs, dont la
perspective me semble être la
capitalisation des promesses
énergétiques de l’Amérique du nord
et sa plateforme pour le Partenariat
transatlantique de commerce et
d’investissement en débat. Dans les
remerciements, de façon
tangentielle, on repère des
personnages à la solde des USA, tels
Rafael Fernández de Castro, de
l’ITAM, et le partisan du président
Salinas Claudio X González,
antérieurement membre du conseil de
Televisa.
En 2008, j’ai déjà abordé le
thème de l’améro [4]
qui avait été soutenu à bas bruit
par le CFR, des USA, et l’Institut
Fraser du Canada, mais qui ne fait
l’objet d’aucun débat ouvert dans le
Mexique néo-libéral qui a imposé
depuis le sommet de l’État ses
projets et mirages, en échec complet
jusqu’à présent, à des citoyens
désinformés : Aléna, Partenariat
pour la sécurité et la prospérité,
Initiative Mérida, réforme
énergétique, sans parler des défunts
projets Zone de libre-échange des
Amériques et Plan Puebla-Panamá.
Verra-t-on l’améro imposé à son tour
par le sommet à la population prise
à revers, de façon antidémocratique,
sans la moindre consultation
populaire, par le « Mexique
néo-libéral » ?
Il est curieux de voir que les
stratèges russes au plus haut niveau
sont attentifs au projet d’améro,
tel Igor Panarine, important
analyste politique, professeur de
diplomatie russe et spécialiste en
cyberguerre, qui avait annoncé
l’effondrement du dollar et la
balkanisation des États-Unis, dans
un entretien pour le quotidien
Izvestia dès le 24 novembre
2008 : « Le dollar ne repose sur
rien. La dette externe des US a
grossi au niveau d’une avalanche (…)
C’est une pyramide sur le point de
s’effondrer. »
Pour Panarine, le dollar est bel
et bien enterré, et sera remplacé
par l’améro ; c’est en 2006 qu’un
accord secret a été conclu, entre
les USA, le Canada et le Mexique,
pour constituer une nouvelle unité
monétaire. Cela pourrait nous faire
remarquer les préparatifs en cours
pour remplacer le dollar. Ainsi les
billets de 100 dollars qui ont
inondé le monde pourraient être du
jour au lendemain simplement
congelés, sous le prétexte, par
exemple, que les terroristes les
falsifient, et qu’il faudrait donc
les retirer du marché pour enquête.
Panarine a visé les USA à la
jugulaire, et laisse entrevoir le
lien profond entre finances
états-uniennes, terroristes et
narcotrafic global, ce qui rejoint
la position de Griniaev.
Ensuite, en 2011, Russia Today [5]
se demande si l’améro est la
nouvelle devise de destruction
massive, et divulgue l’approche
concrète d’une Union monétaire
nord-américaine annoncée depuis
2005. Au Texas, les dirigeants des
trois États se sont retrouvés,
George W. Bush pour les États-unis,
Vicente Fox pour le Mexique, et le
Premier ministre du Canada, Paul
Martin ; il déclarent alors la
création de l’Alliance pour la
Sécurité et la Prospérité de
l’Amérique du nord.
Étant donné que le monde se
verrait obligé d’abandonner le
dollar US comme la monnaie de
réserve internationale, Russia
Today considère que les
conséquences seraient imprévisibles,
et que l’effondrement du système
financier mondial donnera des rôles
différents aux monnaies régionales.
En conséquence, les taux de change
des devises seront pratiquement
impossibles à prévoir. Et la
nouvelle monnaie, l’améro, sera le
début de l’apocalypse de l’économie
mondiale.
Est-ce que le Congrès mexicain
est au courant de l’existence de
l’accord secret sur l’améro signé
par le président Fox dans le dos des
citoyens mexicains ?
Traduction
Maria Poumier
Source
La Jornada (Mexique)
Document joint
“Amérique du Nord Changement de
focalisation”, Traduction de Christiane
Abel, Council on Foreign Relations,
octobre 2014.
(PDF - 2.7 Mo)
[1]
"Cuando
estalle la burbuja del dólar, EE.UU.
adoptará el amero", Russia Today,
15 décembre 2014.
[2]
« Wegelin
& Co. », Alfredo jalife-Rahme, La
Jornada, 21 octobre 2009.
[3]
“Amérique du Nord Changement de
focalisation”, Traduction de Christiane
Abel, Council on Foreign Relations,
octobre 2014 (téléchargeable depuis
cette page).
[4]
« ¿Próxima
bancarrota de EU y su “nuevo dólar” ? » ;
« El
Consejo de Relaciones Exteriores y
Robert Pastor confiesan que existe el
amero » ; « Vaticinan
extinción del dólar y balcanización de
EU », Alfredo Jalife-Rahme, La
Jornada.
[5]
« Amero,
¿nueva divisa de destrucción masiva ? »,
Russia Today, 1er février 2011.
Alfredo Jalife-Rahme
Professeur de Sciences politiques et
sociales à l’Université nationale
autonome du Mexique (UNAM). Il publie
des chroniques de politique
internationale dans le quotidien La
Jornada et l’hebdomadaire
Contralínea. Dernier ouvrage
publié : El Hibrido Mundo Multipolar :
un Enfoque Multidimensional (Orfila,
2010).
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