Actualité
Quand les Algériens résistent à
l’absurde
Adlene Mohammedi
© Ico_Wesh
Vendredi 8 mars 2019
De nombreux Algériens manifestent contre
l’idée d’un cinquième mandat du
président Abdelaziz Bouteflika. On les
croyait aussi amorphes que lui, ils
démontrent le contraire. Spontanément,
ils sont nombreux – de toutes les
régions et de toutes les classes
sociales – à crier leur profond rejet
d’un pouvoir politique qui les méprise
et qui a cru devoir les humilier une
fois de plus, une fois de trop. Le
sociologue algérien Lahouari Addi a
trouvé la meilleure formule pour décrire
ce pouvoir : il est « clandestin ».
C’est d’ailleurs peut-être tout ce qu’il
a conservé de la lutte pour
l’indépendance. Seulement, ce n’est plus
de la puissance coloniale qu’il se
cache, mais des Algériens eux-mêmes. Il
aura tout fait – et la manne pétrolière
l’y aura aidé – pour s’autonomiser de ce
« peuple » dont il prétend tirer sa
légitimité. Jusqu’à l’absurde.
Dans l’opacité la plus déconcertante,
des clans qui ne se sont probablement
pas entendus sur le nom du successeur
ont voulu se nourrir sur la bête encore
quelques années et imposer une fois de
plus un fantôme incapable de chuchoter
le moindre discours. Les Algériens ont
compris l’ampleur de l’humiliation. Ce
sursaut n’était pourtant pas évident car
on ne s’est pas contenté de les priver
de démocratie, on les a privés de
politique. Ces marches et ces slogans
parfois rudimentaires reflètent
précisément une soif de politique,
c’est-à-dire un refus de la passivité.
Après une décennie 1990 aussi sanglante
(« guerre civile ») que stimulante
(multiplication des débats), le règne de
Bouteflika – sous toutes ses formes –,
que ses thuriféraires associent à la
« paix », aura été celui de la
consommation, de la corruption et du
ramollissement politique et
intellectuel.
Il est possible
d’affirmer que la population algérienne
s’est tout simplement substituée à une
opposition en grande partie impotente et
souvent complice, à l’exception de
quelques rares personnalités.
L’organisation artisanale (malgré le
recours à Internet) de ces différentes
manifestations sans nom propre montre
bien l’état déplorable des corps
intermédiaires. Comme si le pouvoir
algérien s’était octroyé un monopole des
structures solides. L’exemple le plus
tristement révélateur est celui de
l’Union générale des travailleurs
algériens (UGTA), syndicat créé en
pleine guerre d’Algérie en 1956. Son
actuel secrétaire général, dont le zèle
confine à la servilité, préfère
largement le sort du président (et
incidemment son propre sort) à celui des
travailleurs.
Cette opposition
spontanée se révèle de jour en jour, y
compris chez les élites. Certes, la
jeunesse – qui représente la majorité de
la population – semble jouer un rôle
moteur. Mais tous les jours, des
avocats, des médecins, des chefs
d’entreprises, des journalistes, des
artistes, des chômeurs, des retraités
vont goûter à cette euphorie collective
si belle à voir. L’islam politique, que
certains imaginent comme la principale
force de contestation dans le monde
arabe, montre aujourd’hui toute son
inanité dans le cas algérien. Ses
partisans s’accommodent de la bigoterie
qui s’est étendue depuis une vingtaine
d’années et que le pouvoir a largement
encouragée, y voyant un anesthésiant
parmi d’autres. Ils se satisfont
volontiers de l’imposante Grande mosquée
d’Alger à laquelle le président tenait
tellement.
Face à ces
événements, les mécanismes de défense
étaient hélas prévisibles et la panoplie
est lourde. Après l’invisibilisation du
mouvement par les télévisions publiques
et privées, militaires, politiques et
affidés se succèdent pour ânonner
l’inaudible. Quand ce n’est pas la
pseudo-légitimité historique d’Abdelaziz
Bouteflika (de la guerre d’indépendance
à la « réconciliation nationale » après
la « décennie noire ») qui est invoquée,
c’est le besoin de stabilité, le complot
ou le risque de guerre civile (avec les
exemples syrien et libyen). En réalité,
la classe dirigeante algérienne s’est
mise dans une impasse.
Non seulement les
Algériens n’ont eu besoin de personne
pour relever l’énormité de la couleuvre
que l’on s’apprêtait à leur faire
avaler, mais aucun allié de l’État
algérien ne pourra, sans se ridiculiser,
cautionner la candidature d’un homme
incapable d’échanger la moindre parole
avec le moindre homologue. Après l’enfer
façonné par les dirigeants algériens
dont cette candidature démente est
l’ultime expression, le pays a
désespérément besoin d’une nouvelle
République, d’une République tout
simplement.
Adlene Mohammedi
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