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Opinion
Tunisie. Qui veut
empêcher les enquêtes sur la corruption ?
Zohra Abid
Mercredi 9 mars 2011
«Les conditions sont exceptionnelles
et historiques. Pas de temps à perdre. Nous allons continuer le
travail, peu importe le risque (les embûches et les menaces). Le
peuple a le droit de tout savoir», a dit aujourd’hui à la
presse, Abdelfattah Amor.
Pourquoi le président de la Commission nationale
d’établissement des faits sur les affaires de malversation et de
corruption a-t-il lancé ces propos? C’est sans aucun doute pour
expliquer aux médias les contraintes qu’il subit, lui et son
équipe, en travaillant sur des dossiers des plus pourris. Et
c’est aussi (et surtout) pour lever le voile sur la décision de
suspension de l’activité de la commission prise samedi dernier
par le tribunal de première instance.
«Il s’agit de défis énormes et nous essayons d’être à la hauteur
de cette responsabilité. Nous travaillons dans des conditions
délicates et sous pression. Mais nous devons le faire et rendre
compte aux générations futures de ces dossiers. Nous laissons la
justice, que nous respectons, faire son travail. Notre
commission est légale avec le décret de sa création qui remonte
au 18 février dernier», a expliqué M. Amor. Et de se demander,
avec une pointe d’ironie, si le président Ben Ali avait mandaté
quelqu’un pour porter cette plainte! De dire aussi entre les
lignes qu’il y a encore des zones d’ombre autour des dossiers de
la famille Ben Ali, qu’ils ont besoin d’écouter tous les
concernés et que leur mission n’est pas une sinécure.
Qui fait pression sur la
commission?
«Nous sommes deux comités qui s’occupent des dossiers,
rassemblent des détails, écoutent des témoins – une liste
infinie de responsables, sous-responsables du gouvernement déchu
–, ou de la famille et des amis des Ben Ali. Pour le moment,
nous sommes en étroite coopération (et coordination) avec le
premier ministère, ceux de l’Intérieur, de la Justice, des
Finances, mais aussi avec la douane. Comme vous le saviez déjà,
les dossiers ont besoin d’une enquête minutieuse. Plusieurs
dossiers qui concernent la famille du président déchu, son
administration et autres dépassements au niveau des biens
publics et des conseils municipaux manquent des documents
précis. Pour ce faire, notre commission va s’élargir avec de
nouveaux représentants. Je viens de contacter des membres de la
société civile, de l’Ugtt, de l’Utica, du bureau des avocats… et
je vais contacter aussi des associations», a expliqué M. Amor,
avant de passer en revue les travaux de la commission.
Celle-ci a travaillé, du 30 janvier au 7 mars, sur 5.196
dossiers, 42 (1% des dossiers) en lien avec la politique, 766
(15%) portent sur les derniers évènements et 4.239 (84%)
concernent les affaires de malversation et de corruption. «Après
avoir étudié 519 autres dossiers, il s’est avéré qu’ils ne
relèvent pas de nos compétences et nous avons fini par saisir
d’autres comités spécialisés», a relevé M. Amor.
Le butin du palais de Sidi Dhrif
Le président de la Commission n’a pas omis de s’arrêter
longuement sur des reproches qui lui ont été faits à travers les
médias. De quel droit, les membres de la Commission ont-ils
pénétré au palais de Sidi Dhrif appartenant à l’ex-président?
«Après examen de plusieurs dossiers, nous avons découvert des
pièces manquantes. Et comme vous le saviez déjà, l’ex-président
ne travaillait au palais de Carthage que quatre ou cinq heures
par jour, tout au plus. On nous a dit qu’il existe trois
bibliothèques au palais de Sidi Bou Saïd (construit par l’argent
du peuple, érigé par l’armée et doit revenir aux Tunisiens).
Nous avons contacté le président par intérim afin d’avoir
l’autorisation. Il nous a dit ‘‘allez-y, faites votre boulot’’.
Nous étions accompagnés par des huissiers de justice, par
l’armée, par les agents de sécurité, par deux représentants de
la Banque centrale de Tunisie (Bct) et tout a été enregistré en
vidéo. En ouvrant les armoires scellées, notre surprise fut
grande. L’argent et les bijoux ont été déposés dans les caisses
du Trésor public. Nous avons trouvé aussi des cartes de crédits
dans des banques étrangères dont deux comptes. L’un en dollars
dans une banque à Washington et l’autre en euros dans une banque
parisienne. Ces deux comptes sont alimentés par les fonds
destinés aux campagnes électorales. Un autre compte à numéro
avec 27 millions de dollars américains (près de 40 milliards de
nos millimes). Ce document date du 22 mars 2010. Ce qui est
certain c’est qu’il existe d’autres dépôts dans d’autres pays au
nom de Leïla, son fils Mohamed et ses filles. Au total 41
millions de dinars ont été découverts. Le 22 février 2011, nous
avons mis la main sur 30 millions de dinars, 20.000 euros et
95.400 dollars. Le 23 février 2011, on a découvert encore, dans
ce même palais, 3,961 millions de dinars, ainsi que cinq euros,
et le 24 février, encore 7. 980 dinars. Cet argent a été déposé
dans la trésorerie générale».
Par ailleurs, M. Amor a insisté sur les multiples problèmes que
rencontre sa commission. «On cherche à perturber son travail ou
même de la faire disparaître. Il y a des responsables qui
veulent échapper à la justice. Mais nous allons continuer nos
investigations, sans épargner personne, et nous faisons tout
cela pour le pays. C’est pour l’intérêt général qui est au
dessus de tous les intérêts particuliers. Après, nous passerons
la parole à la justice avec des dossiers fondés et c’est à elle
de dire son dernier mot».
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Publié le 10 mars 2011
avec l'aimable autorisation de Kapitalis
Le dossier Tunisie
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