Opinion
Tunisie. Les
troubles de Sidi Bouzid seraient une
machination
Zohra
Abid
Jeudi 3 novembre
2011
«Ne pas minimiser les actes de violence
du week-end dernier à Sidi Bouzid. Le
problème est plus complexe et profond
qu’on ne le pense. Ce qui s’est passé
n’est pas fortuit. C’est une grave
machination et je tire la sonnette
d’alarme».
Par Zohra Abid
C’est avec ces mots crus que Me
Abderrazak Kilani a ouvert la conférence
de presse, mercredi au Palais de la
justice à Tunis avant de céder la parole
à ses confrères de Sidi Bouzid, témoins
des troubles survenus dans cette ville
du centre suite à l’annonce de
l’invalidation par l’Isie de 6 listes
d’Al Âridha de Hachemi Hamdi. Ces
derniers sont venus pour notamment
donner leurs témoignages à la presse et
rencontrer le ministre de la Justice
afin qu’il ordonne l’ouverture d’une
enquête sur les troubles de Sidi Bouzid
et trouver une solution au
fonctionnement des deux tribunaux de la
ville incendiés et saccagés par les
manifestants.
Mohamed Kilani, à droite, avec ses
collègues de Sidi Bouzid
Un congé
forcé d’un mois
Me Kilani était en visite, mardi, à
Sidi Bouzid. Il s’est dit écœuré par ce
qu’il a vu et par ce qu’ont subi les
tribunaux et les biens publics en une
seule nuit. En colère aussi de voir une
affiche scotchée sur la façade d’un
tribunal annonçant un congé forcé pour
au moins un mois. Les dégâts, selon lui,
sont énormes et plus importants que ceux
de la révolution. «Parce que ces actes
de violence ont ciblé des institutions
précises, ça nous donne déjà à
réfléchir. Ce n’est pas fortuit de
s’attaquer à des tribunaux notamment de
première instance et d’appel, qui plus
est leurs bureaux d’ordre, leurs bureaux
de l’informatique et la cave des
archives, où il y a des affaires ayant
relation avec les finances. Les services
municipaux remplis de documents et de
contrats financiers ont subi le même
sort. Les dossiers d’huissiers de
justice sont partis aussi en fumée», a
expliqué Me Kilani. Et de marteler : «Ça
ne peut être non plus fortuit de voir
les forces de l’ordre et les unités de
l’armée ne bougeant pas le petit doigt
pour éteindre les incendies et faire
face aux destructions et aux actes de
pillage alors qu’ils étaient au courant
qu’il allait se passer quelque chose.
Ils ont été démissionnaires et ont
laissé faire. Je peux déduire que c’est
une affaire tramée pour effacer des
traces», a ajouté le bâtonnier. Mais
quelles traces ? Et quelles parties
avaient intérêt à les effacer ?
Les médias
sont passés à côté des événements
Mohamed Kilani avec ses collègues de
Sidi Bouzid
De son côté, Me Mohamed Jallali s’est
adressé directement aux médias leur
rappelant qu’en tant que 4ème pouvoir,
ils auraient dû être plus présents vu
l’ampleur des dégâts. «Al Jazira et
France Inter étaient là ! Nos médias ont
manqué et les événements de Sidi Bouzid
n’ont pas été couverts comme il se doit.
Les médias ont pris les choses à la
légère et n’ont pas enquêté sur cette
insurrection spectaculaire et ses liens
probables avec une contre-révolution qui
s’est repositionnée. L’opération a été
un coup monté. Le choix de Sidi Bouzid
n’était pas, non plus, fortuit», a-t-il
ajouté.
Khaled Aôuinia est allé plus loin que
son collègue. «Sidi Bouzid, berceau de
la révolution, a fini par contraindre
Ben Ali à s’enfuir. La région est
devenue symbolique parce qu’elle a
provoqué un véritable tsunami politique.
La contre-révolution, qui a fomenté
cette insurrection, voulait frapper le
symbole même de la révolution. Ce qui
nous inquiète le plus et nous met la
puce à l’oreille, c’est la déclaration
du porte-parole du ministère de
l’Intérieur, qui a dit que 20 jeunes
délinquants ont été arrêtés pour avoir
incendié des bâtiments publics et commis
des actes de pillage à Sidi Bouzid, et
qu’ils ont été ensuite remis en liberté.
Là, je dis qu’il y a plusieurs points
d’interrogation et nous n’allons pas
nous taire. Une poignée de délinquants
vont être condamnés alors que les vrais
criminels vont être protégés».
A quand
l’enquête sur la contre-révolution ?
Les avocats de Sidi Bouzid sont
unanimes : les dernières violences dans
leur ville n’avaient aucune raison
d’être dans une pareille période. Tous,
sur la même longueur, ont manifesté leur
surprise en voyant les forces de l’ordre
et l’armée se retirer au moment même où
il fallait justement intervenir.
«Au moment où les feux ont commencé à
ravager un des bureaux du tribunal, j’ai
supplié l’agent de la protection civile
pour qu’il éteigne les premières
flammes, il a refusé, expliquant qu’il
n’en avait pas reçu l’ordre. Je l’ai
supplié pour qu’il me donne le matériel
nécessaire pour que je fasse le boulot à
sa place. Il a refusé», a témoigné Me
Samia Hamdi.
Pour son collègue Me Jilani, il est
important pour les habitants de Sidi
Bouzid de connaître la vérité. Ils
demandent au procureur général de mener
une enquête sur les événements. Selon
lui, le procureur veut, pour ce faire,
coordonner avec le ministère de
l’Intérieur. Me Issam Hamdouni dit avoir
en tête tous les noms des manipulateurs
et anciens du régime qui ont trempé dans
cette machination et il a peur de les
dénoncer. Pourquoi ? L’avocat dit qu’il
a peur que l’on incendie et saccage son
cabinet. «Mon Dieu, j’ai leurs noms sur
le bout des lèvres, mais j’ai trop peur.
Ces gens sont très influents dans la
région».
Qui sont les
fauteurs des troubles ?
«Alors que sur les plateaux de
télévision et sur ondes de radios, on
est en train d’inviter les partis pour
se chamailler sur l’identité et la
laïcité, la contre-révolution s’est
installée. Ceux qui ont incendié et
saccagé ne sont pas nécessairement de
Sidi Bouzid. Ceux de la région ont été
manipulés par des forces de l’ombre», a
déclaré un autre avocat. Selon lui, il y
a trois catégories. «Les premiers
appartiennent à l’ancien régime.
Impliqués dans la corruption, ils
étaient cachés depuis la révolution. Là,
ils sont revenus pour être dans les
premiers rangs de la manifestation. Les
seconds : un groupe de délinquants qui
se sont incrustés pour appliquer les
instructions des premiers. Et les
troisièmes : les habitants qui ont senti
que leur victoire contre la dictature
leur a été volée. Ils se sentent
toujours marginalisés. Ils veulent que
le nom de Sidi Bouzid soit gravé dans
l’histoire et que personne n’ébrèche
leur image», a-t-il expliqué.
En attendant l’enquête, les avocats
ont rencontré le ministre de la Justice.
«Il nous a promis de faire le nécessaire
pour soulever le voile sur les
évènements de la nuit du 26 au 27
octobre», a dit Me Hamdi. C’est tout le
mal que l’on souhaite aux hommes et
femmes de Sidi Bouzid. Même si on peut
être sceptique à ce sujet, sachant que
le ministre actuel a déjà dû préparer
ses cartons.
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Publié le 3 novembre 2011 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
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