EHOUD OLMERT est le contraire de Midas, roi de
Phrygie. Tout ce que le roi touchait se transformait en or,
selon la légende grecque. Tout ce qu’Olmert touche se
transforme en plomb. Et cela n’est pas une légende.
Aujourd’hui il touche Mahmoud Abbas. Il le
porte aux nues. Il promet de le "renforcer". Il est
sur le point de le rencontrer.
Si j’avais un avis à donner à Abbas, je lui
crierais : Fuyez ! Fuyez pour sauver votre précieuse
vie ! Un seul contact avec la main d’Olmert scellera
votre sort !
ABBAS peut-il être sauvé ! Je ne sais
pas. Certains de mes amis palestiniens sont désespérés.
Ils ont grandi dans le Fatah, et le Fatah est
leur maison. Ils sont laïques. Ils sont nationalistes. Ils ne
veulent absolument pas d’un régime islamique fanatique dans
leur patrie.
Mais dans le conflit actuel, leur cœur est avec
le Hamas. Ils sont déchirés. Et ce n’est pas surprenant.
Ils entendent les paroles du Président Bush,
d’Olmert et de l’ensemble du chœur babillant des hommes
politiques et des pontifs israéliens. Et ils en tirent la
conclusion inévitable : les Américains et les Israéliens
font tout pour transformer Abbas en agent de l’occupation et
le mouvement du Fatah en milice de l’occupant.
Chaque mot émanant aujourd’hui de Washington
et de Jérusalem confirme ce soupçon. Chaque mot creuse
davantage le fossé entre la rue palestinienne et l’Autorité
palestinienne en Cisjordanie. Le nouveau "gouvernement
d’urgence" à Ramallah est dirigé par une personne qui a
obtenu 2% des voix aux dernières élections, pendant que la
liste d’Abbas a été sévèrement battue par le Hamas, non
seulement à Gaza mais aussi en Cisjordanie.
Aucun "assouplissement des
restrictions" et aucune "mesure économique" ne
servira à quelque chose. Pas plus que la restitution des taxes
palestiniennes qui avaient été détournées par le
gouvernement israélien. Pas plus que le flot de l’aide européenne
et américaine. Il y a 80 ans déjà, Vladimir Jabotinsky, le
sioniste le plus extrêmiste, se moquait des dirigeants
sionistes qui essayaient d’acheter le peuple palestinien en
lui offrant des compensations économiques. On ne peut pas
acheter un peuple.
SI JAMAIS Abbas peut être sauvé, ce n’est
que d’une façon : par l’ouverture immédiate de négociations
rapides et pratiques pour parvenir à un règlement pacifique,
avec le but déclaré de mettre en place un Etat palestinien
dans tous les territoires occupés, avec Jérusalem-Est comme
capitale. Rien de moins.
Mais c’est exactement ce que le gouvernement
d’Israël n’est pas prêt à faire. Ni Olmert, ni Tzipi
Livni, ni Ehoud Barak.
S’ils avaient été prêts à le faire, eux ou
leurs prédécesseurs l’auraient fait il y a longtemps. Barak
l’aurait pu avec Arafat à Camp David. Ariel Sharon l’aurait
fait avec Abbas après l’élection comme président de
celui-ci à une énorme majorité. Olmert aurait pu le faire
avec Abbas après que Sharon eut quitté la scène. Il aurait pu
le faire avec le gouvernement d’union qui a été mis en place
sous les auspices saoudiennes.
Ils ne l’ont pas fait. Non parce qu’ils étaient
idiots ou parce qu’ils étaient faibles. Ils ne l’ont pas
fait tout simplement parce que leur objectif était exactement
à l’opposé : annexion d’une grande partie de la
Cisjordanie et développement des colonies. C’est pour cela
qu’ils ont tout fait pour affaiblir Abbas, qui était considéré
par les Américains comme le "partenaire pour la
paix". Aux yeux de Sharon et de ses successeurs, Abbas était
plus dangereux que le Hamas, qui était considéré par les Américains
comme une "organisation terroriste".
IL EST impossible de comprendre les tout
derniers développements sans en revenir au "plan de séparation".
Cette semaine, des révélations sensationnelles
ont été publiées en Israël. Elles confirment les soupçons
que nous avions dès le départ : que la "séparation"
n’était qu’un stratagème faisant partie d’un programme
avec un calendrier secret.
Sharon avait un schéma directeur avec trois éléments
principaux : (a) transformer la bande de Gaza en entité séparée
et isolée, dirigée par le Hamas, (b) transformer la
Cisjordanie en un archipel de cantons isolés dirigés par le
Fatah, et (c) maintenir les deux territoires sous la domination
de l’armée israélienne.
C’est ce qui expliquerait l’insistance de
Sharon pour un retrait "unilatéral". Car celui-ci
semble illogique. Pourquoi ne pas parler auparavant avec l’Autorité
palestinienne ? Pourquoi ne pas assurer le transfert ordonné
de pouvoir à Mahmoud Abbas ? Pourquoi ne pas transférer
à l’Autorité toutes les colonies intactes, avec les maisons
et leurs serres ? Pourquoi ne pas ouvrir largement tous les
passages de frontières ? Vraiment, pourquoi ne pas
permettre aux Palestiniens d’ouvrir l’aéroport de Gaza et
de construire le port maritime de Gaza ?
Si l’objectif politique avait été de
parvenir à un accord de paix, c’est ce qui se serait passé.
Mais étant donné que c’est le contraire qui a été fait, on
peut supposer que Sharon voulait que les choses tournent
brutalement comme elles ont tourné : écroulement de l’Autorité
à Gaza, prise de pouvoir à Gaza par le Hamas, séparation
entre la bande de Gaza et la Cisjordanie.
A cette fin, il a coupé Gaza de tout contact
terrestre, maritime et aérien avec le monde, laissé les
passages à la frontière fermés presque continuellement et
transformé Gaza en la "plus grande prison du monde".
La fourniture de nourriture, de médicaments, d’eau et d’électricité
dépend entièrement de la bonne volonté d’Israël, tout
comme l’est l’opération de passage de frontière vers l’Egypte
(avec l’aide d’une unité de surveillance européenne contrôlée
par l’armée israélienne), pour toutes les importations et
les exportations , et même l’enregistrement des habitants.
QUE CE SOIT clair : ce n’est pas une
politique nouvelle. Couper la bande de Gaza de la Cisjordanie a,
depuis de nombreuses années, été un objectif militaire et
politique de tous les gouvernements israéliens.
L’article IV de la Déclaration de principes
d’Oslo de 1993 stipule sans équivoque : "Les deux
parties considèrent la Cisjordanie et la bande de Gaza comme
une unité territoriale unique, dont l’intégrité sera préservée
pendant la période intérimaire." Sans cela, Arafat
n’aurait pas accepté l’accord.
Plus tard, Shimon Peres a inventé le slogan
"Gaza d’abord". Les Palestiniens ont catégoriquement
refusé. En fin de compte, le gouvernement israélien a abandonné
et, en 1994, a signé "l’Accord concernant la bande de
Gaza et la zone de Jéricho". L’installation ainsi
garantie à l’Autorité palestinienne en Cisjordanie était
d’assurer l’unité des deux territoires.
Dans le même accord, Israël s’engageait à
ouvrir un "passage sûr" entre la bande de Gaza et la
Cisjordanie. Et pas seulement un, mais quatre, qui ont été
marqués sur une carte annexée à l’accord. Tout de suite après,
des panneaux routiers avec l’inscription en arabe "Vers
Gaza" ont été installés le long des routes de
Cisjordanie.
Mais durant les 13 ans qui ont passé depuis
lors, le passage n’a pas été ouvert, même pas un seul jour.
Quand Ehoud Barak a installé sa carcasse dans le fauteuil de
Premier ministre, il a fantasmé sur la construction du pont le
plus long du monde entre la bande de Gaza et la Cisjordanie
(environ 40 km). Comme beaucoup d’autres brillants flashs de
Barak, celui-là est mort avant d’être né et le passage est
resté hermétiquement fermé.
Le gouvernement israélien s’est de nombreuses
fois engagé à remplir cet engagement, et récemment il a fait
à Condolezza Rice personnellement une promesse spécifique et
précise. Rien ne s’est passé.
Pourquoi ? Pourquoi notre gouvernement
prend-il le risque d’une violation manifeste, nette, non
ambiguë et continue d’une si importante obligation ?
Pourquoi va-t-il jusqu’à cracher à la figure d’une amie
comme la bonne Condoleezza ?
Il n’y a qu’une réponse possible :
couper la bande de Gaza de la Cisjordanie est un but stratégique
majeur du gouvernement et de l’armée, un pas important dans
l’effort historique pour casser la résistance palestinienne
à l’occupation et à la politique d’annexion.
Cette semaine, il a semblé que ce but avait été
atteint.
L’opération officielle de
"renforcer" Abbas fait partie de ce dessein. A Jérusalem,
certains sentent que leurs rêves deviennent réalité : la
Cisjordanie est séparée de la bande de Gaza, divisée en
plusieurs enclaves séparées les unes des autres et du monde,
comme les bantoustans dans l’Afrique du Sud d’autrefois.
Ramallah désignée comme la capitale de la Palestine pour faire
que les Palestiniens oublient Jérusalem dans ce rôle. Abbas
recevant des armes et des renforts pour détruire le Hamas en
Cisjordanie. L’armée israélienne dominant les zones entre
les villes, et intervenant à volonté dans les villes aussi.
Les colonies poussant sans rencontrer d’obstacle, la vallée
du Jourdain complètement coupée du reste de la Cisjordanie, le
Mur continuant à s’étendre et à engloutir toujours
davantage de terre palestinienne, et la promesse du gouvernement
de démanteler les "avant-postes" restant une longue
plaisanterie oubliée.
Le Président Bush est satisfait de "la
progression de la démocratie" dans les zones
palestiniennes, et les aides militaires des Etats-Unis à Israël
augmentent d’année en année.
DU POINT DE VUE d’Olmert, c’est une
situation idéale. Tiendra-t-elle ?
La réponse est un NON sans réserve !
Comme toutes les actions de Bush et d’Olmert,
aussi bien que de ceux qui les ont précédés, cette situation
est basée sur le mépris des Arabes. Ce mépris s’est souvent
avéré être une recette pour aboutir à un désastre.
Les médias israéliens, qui se sont transformés
en organes de propagande pour Mahmoud Abbas et Mohammed Dahlan,
sont déjà en train de décrire avec jubilation comment les
habitants de Gaza, affamés, regardent avec jalousie les
habitants bien nourris de Cisjordanie. Ils vont se rebeller
contre la direction Hamas, de sorte qu’un Quisling au service
d’Israël puisse y être installé. Le peuple en Cisjordanie,
s’engraissant grâce à l’aide financière européenne et américaine,
sera heureux d’être débarrassé de Gaza et de ses troubles.
Cela est pure fantaisie. Il est beaucoup plus
probable que l’ange du peuple de Gaza se retournera contre les
geôliers israéliens qui les affament. Et les gens de
Cisjordanie n’abandonneront pas leurs compatriotes qui dépérissent
à Gaza.
Aucun Palestinien n’acceptera la séparation
de Gaza de la Cisjordanie. Un parti qui accepterait cela serait
déserté par les Palestiniens, et une direction qui accepterait
une telle situation serait éliminée.
La politique israélienne est déchirée entre
deux désirs contradictoires : d’un côté, empêcher que
les événements de la bande de Gaza se répètent en
Cisjordanie, où un Hamas prenant le pouvoir serait immensément
plus dangereux, et d’un autre côté, empêcher Abbas de réussir
au point que les Américains obligeraient Olmert à négocier sérieusement
avec lui. Comme d’habitude, le gouvernement tient le baton par
les deux bouts.
Pour l’heure, toutes les actions d’Olmert
sont dangereuses pour Abbas. Son étreinte est une étreinte
d’ours, et son baiser est le baiser de la mort.
Article publié le 24 juin, en hébreu et en anglais, sur le
site de Gush Shalom - Traduit de l’anglais "Saving
President Abbas" : RM/SW