Gush Shalom
La vérité d'Olmert
Uri Avnery
Les Américains nous
utilisent comme une menace. Ils nous retiennent sur une ligne
comme un chien d’attaque, et disent à Assad : si vous ne
faites pas ce que nous voulons, nous lâcherons le chien.
Si Dieu le veut, même un manche à balai peut
tirer des coups de feu. C’est un vieil adage yiddish.
Aujourd’hui, on pourrait ajouter : Si Dieu le veut, même
Olmert peut parfois dire la vérité.
La vérité, d’après le témoignage du Premier
ministre devant la commission d’enquête présidée par le juge
Vinograd, témoignage divulgué hier aux média, est que la guerre
n’était pas une réaction spontanée à la capture des deux
soldats, mais qu’elle était planifiée depuis longtemps.
C’est ce que nous avons dit dès le début.
Olmert a déclaré à la commission que, juste après
sa prise de fonction comme Premier ministre en exercice, en
janvier 2006, il a consulté les chefs de l’armée à propos de
la situation sur la frontière nord. Jusqu’alors, la doctrine
dominante était conforme à la décision d’Ariel Sharon -
logique de son point de vue - de ne pas réagir par la force aux
provocations dans le nord, afin que l’armée israélienne puisse
se concentrer sur le combat contre les Palestiniens. Mais cela a
permis au Hezbollah de constituer un stock important de roquettes
de toutes sortes. Olmert décida de changer cette politique.
L’armée a préparé un plan en deux étapes :
une opération terrestre ayant pour but l’élimination du
Hezbollah, puis une offensive aérienne visant à détruire l’infrastruture
libanaise, afin de mettre la pression sur les Libanais qui à leur
tour mettraient la pression sur le Hezbollah. Comme l’a déclaré
le chef d’état-major, Dan Halutz, au début de la guerre
« Nous allons reculer de 20 ans les pendules du Liban »
(un but plutôt modeste comparé à la célèbre proposition
d’un collègue américain : « Bombarder le Vietnam
jusqu’à ce qu’il retourne à l’âge de pierre. »)
L’aviation avait également pour mission de détruire
l’arsenal de roquettes du Hezbollah.
Mais de nos jours, il n’est plus question
d’attaquer un pays sans raison convaincante. Déjà avant la
première guerre du Liban, les Américains demandèrent qu’Israël
n’attaque qu’après une provocation pouvant convaincre le
reste du monde. La justification nécessaire fut donnée à point
nommé par le gang d’Abou Nidal, qui avait tenté d’assassiner
l’ambassadeur israélien à Londres. Dans la guerre récente, il
avait été admis à l’avance que la capture de soldats israéliens
constituerait une telle provocation.
Un cynique pourrait dire que cette décision
transformait les soldats israéliens en appât. On savait que le
Hezbollah voulait capturer des soldats afin d’obtenir un échange
de prisonniers. Les patrouilles de l’armée régulière israélienne
le long de la frontière constituaient, en quelque sorte, une
invitation au Hezbollah de mettre à exécution son plan néfaste.
LA CAPTURE du soldat Gilad Shalit par les
Palestiniens près de la frontière de Gaza constitua un signal
d’alarme en Israël. Olmert a déclaré dans son témoignage
que, à partir de ce moment-là, il fut convaincu que le Hezbollah
était sur le point de réaliser un exploit semblable.
Dans ce cas, le Premier ministre aurait peut-être
dû ordonner à l’armée de mettre fin aux patrouilles le long
de la frontière nord, ou les renforcer de manière à dissuader
le Hezbollah. Cela n’a pas été fait. Les pauvres membres de la
patrouille fatale sont partis comme s’ils se rendaient à un
pique-nique.
Le même cynique pourrait dire qu’Olmert et les
chefs de l’armée avaient besoin d’un prétexte pour exécuter
leurs plans de guerre. Ils étaient convaincus, de toute façon,
que les soldats rentreraient en moins de deux. Mais, comme le dit
la devise royale britannique « Honni soit qui mal y pense »
Quoiqu’il en soit, le Hezbollah a attaqué, deux
soldats ont été faits prisonniers, et l’opération programmée
aurait dû se dérouler sans problème. Mais ce n’est pas ce qui
s’est passé. La guerre, bien sûr, a éclaté, comme prévu,
mais à partir de là, presque rien ne s’est passé selon le
plan. Consultations hâtives, décisions confuses, opérations indécises.
Il apparaît aujourd’hui que le plan n’avait pas été
totalement terminé ni entériné.
La commission Vinograd est censée répondre à
quelques questions épineuses : Si la guerre était planifiée
depuis si longtemps, pourquoi l’armée n’y était-elle pas prête ?
Comment se fait-il que le budget militaire ait été réduit ?
Comment se fait-il que les entrepôts d’armes étaient vides ?
Pourquoi les forces de réserve, supposées réaliser les opérations
au sol, n’ont-elles été appelées que quand la guerre était déjà
très avancée ? Et quand finalement elles furent déployées,
pourquoi ont-elles reçu des ordres confus et contradictoires ?
Toutes ces questions montrent qu’Olmert et les généraux
étaient largement incompétents concernant les décisions
militaires. Mais aussi qu’ils ne comprenaient rien à la scène
internationale.
HASSAN NASRALLAH a ouvertement admis qu’il avait
fait une erreur.
Il n’avait pas compris qu’il y avait eu un
changement en Israël : au lieu de Sharon, un vétéran qui
ne recherchait pas l’action dans le nord, un nouvel homme était
arrivé, un politicien inexpérimenté, que la guerre démangeait.
Ce que Nasrallah avait en tête, c’était un nouvel épisode de
la routine habituelle : la prise de quelques soldats et un échange
de prisonniers. Au lieu de cela, une guerre généralisée a éclaté.
Mais l’erreur d’Olmert fut encore pire. Il était
convaincu que les Etats-Unis lui donneraient leur bénédiction
totale et lui permettraient de se balader au Liban à loisir. Mais
les intérêts américains aussi avaient changé.
Au Liban, le gouvernement de Fouad Siniora a réussi
à unir toutes les forces pro-américaines. Elles ont exécuté
loyalement tous les ordres de Washington, ont chassé les Syriens
et ont soutenu l’enquête sur le meurtre de Rafik Hariri, ce qui
fournit aux Américains un prétexte pour une frappe massive
contre la Syrie.
Selon les révélations d’Olmert, Condoleezza
Rice l’a appelé juste après le déclenchement de la guerre et
lui a transmis les tout derniers ordres américains : ils désiraient
vraiment qu’Israël donne un coup fatal au Hezbollah, les
ennemis de Siniora, mais il était absolument interdit de faire
quoique ce soit qui puisse faire du tort à Siniora, comme
bombarder les infrastructures libanaises hors du territoire du
Hezbollah.
Cela émasculait les plans de l’état-major.
L’idée centrale avait été que, si la population civile au
Liban était suffisamment frappée, elle ferait pression sur le
gouvernement pour que celui-ci agisse résolument contre le
Hezbollah, assez pour liquider l’organisation ou, au moins, pour
la désarmer. On ne peut vraiment pas savoir si cette stratégie
aurait réussi si elle avait été mise en œuvre, mais en raison
de l’intervention américaine, elle ne l’a pas été.
Au lieu du bombardement massif qui aurait détruit
les industries et les installations de base, Halutz devait se
contenter - après l’appel téléphonique de Condoleezza - de
bombarder les routes et les ponts qui desservaient le Hezbollah et
la population chiite (y compris les voies de ravitaillement pour
les armes syriennes vers Hezbollahland). Les dégats étaient étendus
mais pas suffisants pour mettre les Libanais à genoux - si cela
avait été possible. D’autre part, les forces aériennes réussirent
à détruire quelques missiles de longue portée, mais les
missiles de courte portée ne furent pas frappées, et ce furent
celles qui causèrent des dégâts dans la population du nord
d’Israël.
Sur le terrain, l’opération fut encore plus
confuse. C’est seulement au cours des dernières 48 heures de la
guerre, alors qu’il était tout à fait clair que le
cessez-le-feu était sur le point d’être conclu, que
l’offensive majeure, dans laquelle 33 soldats israéliens sont
morts, fut lancée. Pour quelle raison ? Dans son témoignage,
Olmert affirme qu’elle était nécessaire pour changer en faveur
d’Israël quelques points de la résolution de l’ONU. Nous
savons aujourd’hui (comme nous l’avons dit à l’époque) que
ces changements ne valaient rien et ils restèrent sur le papier.
L’INTERVENTION de Condoleezza Rice dans la
conduite de la guerre est également intéressante d’un autre
point de vue. Elle met en lumière une question qui préoccupe les
experts depuis un certain temps : dans les relations entre
Etats-Unis et Israël, les intérêts américains
l’emportent-ils sur ceux d’Israël ou est-ce le contraire ?
Ce débat a réapparu quand les professeurs américains
Stephen Walt et John Mearsheimer ont publié le résultat de leurs
recherches selon lequel Israël impose aux Etats-Unis une
politique contraire à l’intérêt national américain. La
conclusion a troublé beaucoup de gens qui croient le contraire :
qu’Israël n’est qu’un petit rouage dans la machine impériale
américaine. (Je me suis permis de défendre l’idée que les
deux versions sont justes : l’Américain remue sa queue
israélienne et la queue israélienne remue le chien américain).
Quand Condoleezza Rice a encouragé Israël à
faire la guerre mais mis un veto à une partie essentielle du plan
de guerre, il semble qu’elle a donné tort aux deux professeurs.
En fait Olmert n’a eu le feu vert des Américains pour sa guerre
qui servait les intérêts américains (élimination du Hezbollah,
qui s’opposait au gouvernement Siniora pro-américain tout en en
faisant officiellement partie), qu’avec des limites strictes
(afin de ne pas faire du tort au gouvernement Siniora).
LE MÊME PRINCIPE est appliqué aujourd’hui sur
le front syrien.
Bashar al-Assad propose à Israël des négociations
sans conditions préalables. Ainsi, il espère éviter une attaque
américaine contre son pays. Comme les deux professeurs, il croit
que le lobby israélien gouverne Washington.
Presque tous les experts importants en Israël
sont d’accord pour dire que la proposition syrienne est sérieuse.
Même dans les « cercles de la sécurité », certains
demandent à Olmert de profiter de l’occasion et de faire la
paix dans le nord.
Mais les Américains y mettent un veto absolu,
qu’Olmert a accepté. Un intérêt vital israélien a été
sacrifié sur l’autel américain. Même aujourd’hui, alors que
Bush est déjà engagé dans une certaine forme de dialogue avec
la Syrie, les Américains nous interdisent de faire la même
chose.
Pourquoi ? Très simple : les Américains
nous utilisent comme une menace. Ils nous retiennent sur une ligne
comme un chien d’attaque, et disent à Assad : si vous ne
faites pas ce que nous voulons, nous lâcherons le chien.
Si les Américains arrivent à un accord avec les
Syriens, en utilisant entre autres cette menace, ce sont eux qui
engrangeront les bénéfices politiques de tout accord auquel nous
parviendrons avec la Syrie au bout du compte.
Cela me rappelle les événements de 1973. Après
la guerre d’octobre, les négociation israélo-égyptiennes de
cessez-le-feu ont commencé au kilomètre 101 (à partir du
Caire). A un certain moment, le général Israël Tal a pris la
direction de la délégation israélienne. Beaucoup plus tard, il
m’a raconté l’histoire suivante :
« A un certain moment, le général Gamasy,
le représentant égyptien, s’est approché de moi et m’a dit
que l’Egypte était maintenant prête à signer un accord avec
nous. Fou de joie, j’ai pris un avion et me suis précipité
chez (le Premier ministre) Golda Meir, pour lui apporter la bonne
nouvelle. Mais Golda m’a dit de tout arrêter immédiatement.
Elle m’a dit : J’ai promis à Henry Kissinger que si nous
parvenons à un accord, nous lui transfèrerons l’ensemble du
dossier pour qu’il règle tous les détails. »
Et c’est bien sûr ce qui s’est passé. Les négociations
au km 101 furent arrêtées et Kissinger a pris les choses en
main. C’est lui qui aboutit à l’accord et ce sont les
Etats-Unis qui en furent crédités. Les Egyptiens sont devenus
les loyaux compagnons de route des Etats-Unis. L’accord israélo-égyptien
a été reporté de cinq ans. Il fut conclu par Anouar el-Sadate
qui avait planifié son voyage historique à Jérusalem dans le
dos des Américains.
Aujourd’hui, il se passe la même chose sur le
front syrien. Dans le meilleur des cas. Dans le pire des cas, les
Américains ne parviendront pas à un accord avec les Syriens, ils
nous empêcheront de parvenir à un accord par nous-mêmes, et ce
sont des milliers d’Israéliens, de Syriens et de Libanais qui
en paieront le prix dans la prochaine guerre.
Article publié en hébreu et en anglais le 11
mars 2007 sur le site de Gush Shalom - Traduit de l’anglais
« Olmert’s truth » : RM/SW
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