« Sous nos yeux »
Les mauvais
perdants de la crise syrienne
Thierry Meyssan
Scène de
désolation à Beyrouth après l’attentat
survenu dans le quartier chrétien d’Achrafieh.
Au vu de ses effets personnels, les
autorités ont conclu à la mort du
général Wissam el-Hassan.
Cependant aucune analyse médico-légale
n’a pu établir que la victime se
trouvait dans sa voiture.
Le général serait rentré le jour même de
Paris où il faisait son rapport à son
agent traitant,
le général Benoît Puga, cependant la
police de l’air et des frontières n’a
aucune trace de son arrivée au Liban.
Dimanche 28 octobre
2012
En 2010, la
France a fait le choix de relancer sa
politique coloniale. Cela l’a conduit à
changer le régime en Côte d’Ivoire et en
Libye, puis à essayer de la faire en
Syrie. Mais face à l’échec de cette
troisième opération, Paris se trouve
emporté par les événements qu’il a
provoqués. Après avoir armé et encadré
des groupes terroristes en Syrie, la
DGSE a frappé au cœur de la capitale
libanaise.
Lors d’une table ronde
à Ankara, l’amiral James Winnefeld, chef
d’état-major adjoint des USA, a confirmé
que Washington révélerait ses intentions
à l’égard de la Syrie, dès l’élection
présidentielle du 6 novembre terminée.
Il a clairement fait comprendre à ses
interlocuteurs turcs qu’un plan de paix
avait déjà été négocié avec Moscou, que
Bachar el-Assad resterait en place et
que le Conseil de sécurité
n’autoriserait pas la création de zones
tampons. De son côté, le secrétaire
général adjoint de l’ONU chargé des
opérations de maintien de la paix, Hervé
Ladsous, a confirmé qu’il était en train
d’étudier les possibilités de
déploiement de casques bleus en Syrie.
Tous les acteurs de la région se
préparent donc à un cessez-le-feu imposé
par une force onusienne principalement
composée de troupes de l’Organisation du
Traité de sécurité collective (Arménie,
Biélorussie, Karazkhstan, Kirghizistan,
Russie, Tadjikistan). De facto,
cela signifie que les Etats-Unis
poursuivent leur retrait de la région,
débuté en Irak, et acceptent d’y
partager leur influence avec la Russie.
Simultanément, le New York Times
a révélé que des pourparlers directs
vont reprendre entre Washington et
Téhéran, alors même que les États-Unis
s’appliquent à couler la monnaie
iranienne. En clair, après 33 ans de
containement, Washington admet que
Téhéran est une puissance régionale
incontournable, tout en continuant à
saboter son économie.
Cette nouvelle donne se fait au
détriment de l’Arabie saoudite, de la
France, d’Israël, du Qatar et de la
Turquie qui avaient tous misé sur un
changement de régime à Damas. Cette
coalition hétéroclite se divise
désormais entre ceux qui réclament un
lot de consolation et ceux qui tentent
de saboter le processus en cours.
D’ores et déjà, Ankara a changé son
fusil d’épaule. Recep Tayyip Erdogan,
qui se disait prêt au pire, tente de se
réconcilier avec Téhéran et Moscou.
Quelques jours après avoir insulté les
Iraniens et fait molester des diplomates
russes, il est devenu tout sourire. Il a
profité du sommet de l’Organisation de
Coopération Economique à Bakou pour
rencontrer le président Mahmoud
Ahmadinejad. Il lui a proposé de mettre
en place un dispositif complexe de
discussion sur la crise syrienne qui
permette à la fois à la Turquie et à
l’Arabie saoudite de ne pas rester au
bord du chemin. Soucieux de ne pas
humilier les perdants, le président
iranien s’est montré ouvert à cette
initiative.
Le Qatar, de son côté, est déjà en
quête de nouveaux espaces pour ses
ambitions. L’émir Hamad s’est offert un
voyage à Gaza et s’est posé en
protecteur du Hamas. Il verrait d’un bon
œil le renversement du roi de Jordanie,
la transformation du royaume hachémite
en une république palestinienne et
l’installation au pouvoir de ses
protégés de la Confrérie des Frères
musulmans.
Restent Israël et la France qui ont
constitué un front du refus. La nouvelle
donne serait une garantie de protection
pour l’État d’Israël, mais mettrait fin
à son statut particulier sur la scène
internationale et ruinerait ses rêves
expansionnistes. Tel-Aviv serait ravalé
au rang de puissance secondaire. Quand à
la France, elle y perdrait son influence
dans la région, y compris au Liban.
C’est dans ce contexte que les services
secrets des deux États ont conçu une
opération pour faire échouer l’accord
USA-Russie-Iran. Dans l’hypothèse où
cette opération échouerait, elle devrait
quand même permettre d’effacer les
preuves de l’ingérence dans la crise
syrienne.
La France a d’abord fait circuler une
rumeur selon laquelle le président
Bachar el-Assad aurait commandité au
Hezbollah l’assassinat de cinq
personnalités libanaises : le chef des
Forces de sécurité intérieure, le
directeur des forces du ministère de
l’Intérieur, le grand mufti, le
patriarche maronite et l’ancien Premier
ministre Fouad Siniora. Puis, Paris a
sacrifié Michel Samaha —qui lui servait
d’agent de liaison avec les services
syriens, mais venait de tomber en
disgrâce à Damas et était donc devenu
inutile—. Le brillant et versatile
politicien est tombé dans un piège tendu
par le général Wissam el-Hassan —chef
des FSI et lui même agent de liaison
avec les salafistes—. Puis, Paris a
sacrifié le général Wissam el-Hassan,
qui non seulement était devenu inutile
en cas de paix en Syrie, mais dangereux
tant il savait de choses. Ainsi la
rumeur française s’est réalisée : le
premier sur la liste des cibles est
mort, et une personnalité pro-syrienne a
été arrêtée en préparant un attentat
contre une autre cible de la liste.
Comme aux
États-Unis où le secrétaire à la Défense
Robert Gates a assuré la continuité
politique
dans l’ombre de l’alternance Bush/Obama,
en France le général Benoît Puga
gouverne
que ce soit dans l’ombre de Sarkozy ou
celle d’Hollande
Au cœur de cette machination, on
trouve le général Benoît Puga. Cet
ancien commandant des Opérations
spéciales et directeur du Renseignement
militaire français a été chef de
l’état-major particulier du président
Nicolas Sarkozy et a été maintenu à son
poste par le président François
Hollande. Affichant un soutien
inconditionnel à la colonie juive de
Palestine [1]
et des relations privilégiées avec les
néo-conservateurs US, il a relancé la
politique coloniale de la France en Côte
d’Ivoire, en Libye et en Syrie. Il était
l’agent traitant à la fois de Michel
Samaha et de Wissam el-Hassan. Il est
aujourd’hui l’homme fort à Paris. En
violation des institutions
démocratiques, il gouverne seul la
politique proche-orientale de la France,
bien que cette attribution ne
corresponde pas à ses fonctions
officielles.
Thierry
Meyssan
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Professeur de
Relations internationales au Centre
d’études stratégiques de Damas. Dernier
ouvrage en français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
Article sous licence creative
commons
Vous pouvez reproduire librement les
articles du Réseau Voltaire à condition
de citer la source et de ne pas les
modifier ni les utiliser à des fins
commerciales (licence
CC BY-NC-ND).
Le sommaire du Réseau Voltaire
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|