« Sous nos yeux »
Le plan Brahimi
Thierry Meyssan
Lakhdar
Brahimi et Ban Ki-moon
Mardi 28 août 2012
La presse
occidentale salue la témérité de Lakhdar
Brahimi qui relève le gant et accepte de
remplacer Kofi Annan comme représentant
spécial conjoint des secrétaires
généraux de l’ONU et de la Ligue arabe
en Syrie. En réalité, note Thierry
Meyssan, sa mission est toute autre. À
défaut de changer le régime de Damas,
cet homme de confiance de l’OTAN est
chargé de déclencher une guerre civile
en Syrie.
Suite au deuxième
véto russo-chinois interdisant une
intervention étrangère en Syrie (4
février), les Occidentaux ont feint de
rechercher la paix tout en conduisant
une vaste guerre secrète. Sur la scène
diplomatique, ils mirent en avant le
Plan Lavrov-Annan, tandis qu’en
sous-main ils acheminaient des dizaines
de milliers de mercenaires et que
certains des observateurs des Nations
Unies convoyaient les chefs de l’ASL,
organisant leurs déplacements malgré les
barrages. L’attentat qui décapita le
commandement militaire syrien (18
juillet) devait ouvrir la porte de Damas
aux Contras et permettre aux Occidentaux
de « changer le régime ». Il n’en
fut rien. Tirant les leçons de cet
échec, et malgré le troisième véto russe
et chinois, les Occidentaux ont choisi
de franchir un pas : à défaut de «
changer le régime », semer le chaos.
Pour cela, ils ont saboté le Plan
Lavrov-Annan et annoncé leur intention
d’assassiner le président Bachar el-Assad.
L’opération a débuté par des fuites
organisées dans la presse. Reuters [1],
NBC [2],
Le Parisien [3],
Le Canard enchaîné [4],
The Sunday Times [5]
et Bild am Sonntag [6]
ont révélé que Barack Obama avait
autorisé depuis des mois une ingérence
militaire secrète ; que les États-Unis,
la Turquie, la France, le Royaume-Uni et
l’Allemagne agissaient de concert ; et
que cette guerre secrète était
coordonnée depuis un quartier général
installé sur la base de l’OTAN à
Incirlik.
Dès la révélation de l’ordre
présidentiel US, Kofi Annan présenta sa
démission. Il était devenu vain d’exiger
un cessez-le-feu au nom du Conseil de
sécurité alors que des membres dudit
Conseil revendiquaient être les fauteurs
de guerre. L’envoyé spécial des
secrétaires généraux de l’ONU et de la
Ligue arabe précisa que, désormais, il
serait impossible à quiconque de
poursuivre sa mission, puisque cette
mission elle-même était illusoire au vu
des « désunions » du Conseil [7].
Malgré cela, les Occidentaux ont pu
compter sur les secrétaire généraux de
l’ONU et de la Ligue arabe pour donner
une apparence de pacifisme et de
légalité à leurs ambitions impériales.
Ceux-ci ont donc désigné un nouveau
représentant spécial conjoint, Lakhdar
Brahimi. Selon le communiqué de
nomination, Ban Ki-moon ne lui a pas
donné comme mission de mettre en œuvre
le Plan Lavrov-Annan approuvé par le
Conseil de sécurité, mais d’user de «
ses talents et [de] son
expérience extraordinaires » pour
conduire la Syrie vers « une
transition politique, conformément aux
aspirations légitimes du peuple syrien
» [8].
Pour comprendre ce qui se prépare, il
suffit de se souvenir ce que sont «
les talents et l’expérience » de M.
Brahimi. Fils d’un collaborateur de
l’Occupation française —et non pas d’un
héros de l’Indépendance algérienne comme
il aime à le faire accroire en utilisant
une homonymie—, Lakhdar Brahimi est un
des thuriféraires de l’« ingérence
humanitaire », expression
politiquement correcte pour désigner le
néo-colonialisme. Son nom reste attaché
au rapport de la Commission qu’il
présida sur les Opérations de maintien
de la paix. Il ne s’interrogea pas sur
la dérive qui a conduit l’ONU à créer
des forces d’interposition pour imposer
des solutions politiques contre l’avis
de belligérants au lieu de veiller à
l’application d’accords de paix conclus
équitablement entre eux. Au contraire,
il préconisa d’asseoir cette gouvernance
mondiale sur une doctrine d’intervention
et un service de renseignement
supra-national [9].
Ainsi fut créé le service « d’appui à
la décision ». Par la suite, et sans
même en informer le Conseil de sécurité,
Ban Ki-moon signa un protocole avec son
homologue de l’OTAN (23 septembre 2008),
qui lie ce service à l’Alliance
atlantique [10].
Voilà pour les « talents ».
Quant à l’« expérience » de M.
Brahimi, elle l’a conduit à inventer le
régime confessionnel libanais (Accord de
Taëf) et à instituer le narco-régime
afghan (Accord de Bonn). Il tenta aussi
de participer au « remodelage »
de l’Irak, c’est-à-dire à sa partition
en trois États distincts, dont un
sunnite où l’on eut rétabli la monarchie
hachémite. Alliant l’utile à l’agréable,
il maria sa fille Rym (alors journaliste
à CNN) au prince Ali, de sorte que si
celui-ci devenait roi, elle serait reine
d’Irak. Cependant sa mégalomanie se
heurta à la résistance farouche du Baath
et Washington abandonna le projet.
Ce n’est pas tout. Ses biographies
officielles omettent de rapporter que le
grand « démocrate » Lakhdar
Brahimi fut un des 10 membre du Haut
Conseil de Sécurité qui perpétra à Alger
le coup d’État de 1992, annulant les
élections législatives, contraignant le
président Bendjedid à la démission et
installant les généraux janviéristes au
pouvoir [11].
Il s’en suivit une guerre civile —modèle
que Washington souhaite appliquer
aujourd’hui à la Syrie— où les deux
camps à la fois furent manipulés par les
États-Unis. Durant cette période, le
leader des islamistes, Abbassi Madani
(aujourd’hui réfugié au Qatar) prit
comme conseiller politique le
pseudo-laïque Burhan Ghalioun (futur
président du Conseil national syrien).
La faction islamiste armée GSPC (renommé
en 2007 Al-Qaida au Maghreb islamique)
s’entraîna au maniement des armes avec
le Groupe islamique combattant en Libye
(renommé dès 1997 Al-Qaeda en Libye) ;
la plupart des combattants des deux
groupes sont aujourd’hui incorporés dans
l’Armée « syrienne » libre.
C’est dans ce contexte que le
ministre français des Affaires
étrangères, Laurent Fabius, a inspecté
les bases arrières françaises installées
dans les États frontaliers de la Syrie.
De passage en Jordanie, il a déclaré : «
Je suis conscient de la force de ce
que je suis en train de dire : M. Bachar
Al-Assad ne mériterait pas d’être sur la
Terre » [12].
Sans avoir à pointer le pouce vers le
sol, Fabius Imperator est donc passé du
« Bachar doit partir ! » au «
Bachar doit mourir ! ».
Les Occidentaux ont un message pour
Moscou et Pékin. Ils ne céderont pas.
Ils iront jusqu’au bout par n’importe
quels moyens.
[1]
«
Exclusive : Secret
Turkish nerve center leads aid to Syria
rebels
», par Regan Doherty et Amena Bakr ; «
Exclusive : Obama
authorizes secret U.S. support for
Syrian rebels
», par Mark Hosenball, Reuters, 27
juillet et 1er août 2012.
[2]
«
Syrian rebels
acquire surface-to-air missiles : report
», par Mark Hosenball et Tabassum
Zakaria, Reuters, 31 juillet 2012.
[3]
«
L’option
diplomatique est morte
», entretien de Bruno Fanucchi avec
Richard Labévière,
Le Parisien,
6 août 2012.
[4]
« Formation accélérée d’insurgés syriens
», par Claude Angeli,
Le Canard enchaîné,
8 août 2012.
[5]
“Syria rebels aided by UK intelligence”,
par David Leppard et John Follain,
The Sunday
Times (UK),
19 août 2012.
[6]
«
Deutsches
Spionageschiff kreuzt vor Syrien
», par Martin S. Lambeck et Kayhan
Özgenc,
Bild am Sonntag.
[7]
«
Press conference
by Joint Special Envoy for Syria
», par Kofi Annan, Kofi Annan Foundation,
2 août 2012.
[8]
«
Le secrétaire
général nomme M. Lakhdar Brahimi, de
l’Algérie, comme représentant spécial
conjoint pour la Syrie
», Nations Unies SG/SM/14471, 17 août
2012
[9]
«
Rapport du Groupe
d’étude sur les opérations de paix de
l’Organisation des Nations Unies
», Nations Unies A/55/305, ou
S/2000/809.
[10]
«
Déclaration
commune sur la collaboration des
Secrétariats des Nations Unies et de
l’OTAN
», Réseau
Voltaire,
23 septembre 2008. «
Moscou regrette de
voir l’ONU et l’OTAN signer un accord
sans consulter la Russie
», RIA-Novosti, 9 octobre 2008.
[11]
Islam and
democracy : the failure of dialogue in
Algeria par
Frédéric Volpi, Pluto Press, 2003 (p. 55
et suivantes).
[12]
Vidéo.
Thierry
Meyssan
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Professeur de
Relations internationales au Centre
d’études stratégiques de Damas. Dernier
ouvrage en français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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