« Sous nos yeux »
Show électoral aux
USA
Thierry Meyssan
Lors d’un
gala de charité, les deux principaux
candidats
à l’élection présidentielle US affichent
leur proximité.
Lundi 22 octobre
2012
Au cours des 30
dernières années, aucune élection
présidentielle US n’a marqué de
changement dans la politique extérieure
de Washington. Les décisions importantes
ont toujours été prises en dehors de
cette échéance. Il est tout à fait
évident que le président est le maître
d’œuvre d’une politique dont il n’est
pas le décideur. L’impérialisme yankee
sera t-il plus performant avec le
sourire d’Obama ou avec celui de Romney
?
Tous les quatre
ans, l’élection du président des
États-Unis donne lieu à un show
planétaire. La presse dominante
parvient à convaincre l’opinion
publique internationale que le
peuple états-unien désigne
démocratiquement l’homme qui
dirigera les affaires du monde.
Dans certains pays, notamment en
Europe, la couverture médiatique de
cet événement est aussi, sinon plus,
importante que celle de l’élection
du chef d’État local. Implicitement,
la presse insinue que si ces États
sont des démocraties, leurs citoyens
ne décident pas de leur avenir,
lequel dépend du bon vouloir de
l’hôte de la Maison-Blanche. Mais
alors, en quoi ces États sont-ils
des démocraties ?
C’est que l’on confond scrutin
électoral et démocratie. Cette
remarque s’applique aussi aux
États-Unis. Leur grand show
électoral serait la preuve qu’ils
sont une démocratie vivante. Ce
n’est évidemment que poudre aux
yeux. Contrairement à une idée
répandue, le président des
États-Unis n’est pas élu par son
peuple, ni directement, ni au second
degré. Le peuple US n’est pas
souverain et les citoyens ne sont
pas électeurs. Le président est
choisi par un collège de 538
personnes, les seuls électeurs,
désignés par les États fédérés, les
seuls souverains. Au fur et à mesure
du temps, l’habitude a été prise par
les États fédérés de consulter leurs
citoyens avant de désigner le
collège d’électeurs. L’affaire Gore
contre Bush (2000) aura rappelé que
l’avis des citoyens n’est que
consultatif. La Cour suprême a
considéré qu’elle n’avait pas à
attendre le recomptage des voix en
Floride pour proclamer le vainqueur.
Pour elle, seul importait que l’État
de Floride désigne ses électeurs, et
pas du tout de savoir ce qu’en
pensaient ses habitants.
-
L’illusion ne s’arrête pas là.
Lorsque George W. Bush logeait à la
Maison-Blanche, personne n’imaginait
qu’un homme aussi inculte et
incompétent puisse exercer la
réalité du pouvoir. Chacun pensait
qu’une discrète équipe l’exerçait
pour lui. Pourtant, lorsque Barack
Obama lui a succédé, beaucoup ont
déduit que puisqu’il était plus
intelligent, il était le pouvoir.
Mais comment croire que l’équipe qui
exerçait le pouvoir sous Bush y
aurait spontanément renoncé sous
Obama ?
Regardons un instant l’agenda du
président US : audiences, discours
et inaugurations se succèdent sans
interruption. A quel moment cet
homme aurait t-il le temps de
s’informer sur les sujets à propos
desquels il lit des discours ? Il
n’est pas plus président que les
présentateurs des journaux télévisés
ne sont journalistes. Ils font en
fait le même métier : lecteurs de
prompteurs.
Pourtant, nous sentons
confusément que le show Obama-Romney
n’est pas uniquement un spectacle ;
que quelque chose se décide. En
effet, dans le système
constitutionnel US, la première
fonction du président, c’est de
nommer les titulaires de plus de 6
000 postes. L’alternance politique
s’apparente ainsi à une vaste
migration des élites. Des milliers
de hauts fonctionnaires et des
dizaines de milliers d’assistants et
de conseillers pourraient être
renvoyés au profit de nouveaux, qui
seraient majoritairement des anciens
de l’ère Bush. L’élection
présidentielle US détermine les
carrières personnelles de tous ces
gens. Et avec elles, son cortège de
corruption en faveur de telles ou
telles multinationales. Il y a donc
des raisons d’investir de l’argent,
beaucoup d’argent dans ce duel.
Et la politique internationale
dans tout cela ? Au cours des
dernières années, les changements ne
sont pas survenus lors des élections
présidentielles, mais durant les
mandats. Bill Clinton (1993-2000)
devait poursuivre la réduction des
budgets militaires après la
disparition de l’URSS et apporter la
prospérité économique, mais en 1995
il procéda au réarmement des
États-Unis. George W. Bush
(2001-2008) devait rationaliser le
Pentagone et mener une « guerre sans
fin », mais fin 2006, il stoppa le
processus de privatisation du
Pentagone et commença à préparer les
retraits d’Afghanistan et d’Irak.
Barack Obama (2009-2012) devait
poursuivre le retrait et redémarrer
à zéro les relations avec la Russie
et le monde musulman. Finalement, il
a construit le bouclier antimissile
et soutenu une révolution colorée en
Égypte et des guerres en Libye et en
Syrie. Chaque fois, les lecteurs de
prompteurs ont opéré sans états
d’âme des virages à 180 degrés,
trahissant toutes les promesses
faites à leur peuple.
Le problème de la classe
dirigeante US est de trouver le
lecteur de prompteur le plus adapté
pour justifier les prochains virages
politiques. En ce sens Romney
représente une nouvelle rhétorique.
Il ne cesse de réaffirmer que
l’Amérique a vocation à diriger le
monde, tandis qu’Obama admet que le
monde puisse être ordonné par le
droit international. L’actuel
président essaye de résoudre les
problèmes économiques en réduisant
significativement les dépenses
militaires et en transférant le
fardeau de la guerre sur ses alliés.
Par exemple, il a sous-traité la
destruction de la Libye aux Français
et aux Britanniques. Au contraire,
Romney affirme que, pour
fonctionner, l’économie US a besoin
que ses forces armées patrouillent
dans les airs et dans toutes les
eaux internationales. Par
conséquent, il entend maintenir le
niveau des dépenses militaires, à la
fois malgré la crise et pour la
résoudre.
-
-
Insoutenable suspense :
qui de Barack Obama ou de Mitt
Romney sera choisi pour lire le
teleprompteur présidentiel
VSS-20 ?
Quelle que soit l’option choisie,
le fond ne changera pas. Les
États-Unis veulent se dégager du
Proche-Orient dont ils sont devenus
moins dépendants au plan
énergétique. Ils ne pourront le
faire qu’en partageant cette région
avec la Russie. S’il reste à la
Maison-Blanche, Obama présentera
cette évolution comme un progrès du
multilatéralisme. Si Romney le
remplace, il prétendra mener une
stratégie reaganienne et attacher un
fil à la patte de l’Ours russe pour
l’empêtrer dans des conflits
interminables. En définitive, sur ce
sujet et sur les autres, la seule
conséquence de l’élection
présidentielle US sera le choix des
arguments utilisés pour nous
convaincre que l’Amérique est une
démocratie agissant avec puissance
et bienveillance. De quoi nous
plaignons-nous ?
Source
Tichreen (Syrie)
Thierry
Meyssan
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Professeur de
Relations internationales au Centre
d’études stratégiques de Damas. Dernier
ouvrage en français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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