« Sous nos yeux »
L'Otan plie
bagage, la Turquie au bord de la crise
de nerfs
Thierry Meyssan
Mardi 16 octobre
2012
L'Organisation du
Traité de Sécurité Collective (OTSC) a
débuté au Kazakhstan, le 8 octobre, des
manœuvres intitulées « Fraternité
inviolable » (« НЕРУШИМОЕ БРАТСТВО »).
Le scénario est celui du déploiement
d’une force de paix dans un pays
imaginaire où oeuvrent des jihadistes
internationaux et des organisations
terroristes sur fond de divisions
ethno-confessionnelles. Le corps
diplomatique accrédité, qui a été invité
à assister à l’exercice, a écouté avec
attention le discours d’ouverture du
secrétaire général adjoint de
l’Organisation. Il a clairement indiqué
que l’OTSC se prépare à intervenir
éventuellement au Grand Moyen-Orient. Et
pour ceux qui font la sourde oreille,
Nikolai Bordyuzha a précisé que son
adjoint ne parlait pas de l’Afghanistan.
La Déclaration de Genève, négociée
par Kofi Annan le 30 juin, prévoit le
déploiement d’une force de paix si le
gouvernement syrien et l’opposition en
font l’un et l’autre la demande. L’Armée
« syrienne libre » a rejeté cet accord.
Le terme « opposition » désigne
donc uniquement les partis politiques
qui ont été réunis depuis, à Damas, sous
la houlette des ambassadeurs russe et
chinois. L’accord de Genève ayant été
validé par le Conseil de sécurité, le
déploiement de « chapkas bleues » peut
être mis en œuvre sans résolution ad
hoc. Valery Semerikov a précisé que
4 000 hommes sont d’ores et déjà
affectés à cette force de paix, tandis
que 46 000 autres sont formés et peuvent
être mobilisés rapidement en renforts.
Dans ce contexte, les signes du
retrait occidental de Syrie se
multiplient. Le flux d’armes et de
combattants occidentaux s’est
interrompu, seuls continuent les
transferts financés par l’Arabie
saoudite et le Qatar.
Beaucoup plus surprenant : six fois
de suite, le commandement Otan d’Incirlik
a donné aux jihadistes des instructions
de regroupement dans des zones
particulières pour se préparer à de
vastes offensives. Or, si l’Armée arabe
syrienne, conçue pour affronter l’Armée
israélienne, est inadaptée à la
guérilla, elle est au contraire très
efficace dans les combats classiques.
Elle a donc, chaque fois, encerclé et
anéanti les éléments rassemblés de
l’Armée « syrienne libre ». On pouvait
penser la première fois à une erreur
tactique, la seconde à l’entêtement d’un
général incompétent, mais à la sixième
fois, on doit envisager une autre
hypothèse : l’Otan envoie volontairement
ces combattants à la mort.
Contrairement à la perception
commune, la motivation des jihadistes
n’est pas à proprement parler
idéologique ou religieuse, mais
esthétique. Ils n’entendent pas mourir
pour une cause et se désintéressent
d’ailleurs du sort de Jérusalem. Ils
épousent une posture romantique et
cherchent à exacerber leurs sensations
que ce soit par des drogues ou dans la
mort. Leur comportement les rend
facilement manipulables : ils cherchent
des situations extrêmes, on les y place
et on guide leur bras. Au cours des
dernières années, le prince Bandar bin
Sultan était devenu le grand architecte
de ces groupuscules, incluant Al-Qaeda.
Il les encadraient avec des prédicateurs
leur promettant un paradis où 70 vierges
leur offriraient des plaisirs
paroxystiques, non pas s’ils
atteignaient un objectif militaire
particulier ou un but politique, mais
uniquement s’ils mouraient en martyrs là
où Bandar avait besoin d’eux.
Or, le prince Bandar a disparu de la
scène depuis l’attentat dont il a été
victime le 26 juillet. Il est
probablement mort. Du Maroc au Xinjiang,
les jihadistes sont livrés à eux-mêmes,
sans aucune coordination véritable. Ils
peuvent se mettre au service de
n’importe qui, comme l’a montré la
récente affaire de l’assassinat de
l’ambassadeur états-unien en Libye. Par
conséquent, Washington veut désormais se
débarrasser de cette piétaille devenue
encombrante et dangereuse, ou tout au
moins en restreindre le nombre. L’Otan
donne des ordres aux jihadistes pour les
exposer au feu de l’Armée arabe syrienne
qui les élimine en masse.
Par ailleurs, la police française a
abattu le 6 octobre un salafiste
français qui avait commis un attentat
contre un commerce juif. Les
perquisitions qui ont suivi ont montré
qu’il appartenait à un réseau incluant
des individus partis faire le jihad en
Syrie. La police britannique a fait une
découverte similaire quatre jours plus
tard.
Le message de Paris et de Londres,
c’est que les Français et les
Britanniques morts en Syrie n’étaient
pas des agents en mission secrète, mais
des fanatiques agissant de leur propre
initiative. C’est évidemment faux
puisque certains de ces jihadistes
disposaient de matériels de
communication aux normes Otan, fournis
par la France et le Royaume-Uni. Quoi
qu’il en soit, ces mises en scène
marquent la fin de l’implication
franco-britannique aux côtés de l’Armée
syrienne libre, tandis que Damas
restitue discrètement des prisonniers.
Une page est tournée.
Dès lors, on comprend la frustration
de la Turquie et des monarchies
wahhabites qui, à la demande de
l’Alliance, se sont investies sans
réserve dans la guerre secrète, mais
devront assumer seules l’échec de
l’opération. Jouant le tout pour le
tout, Ankara s’est lancé dans une série
de provocations visant à empêcher l’Otan
de se dérober. Tout y passe, depuis le
positionnement de pièces d’artilleries
turques en territoire syrien jusqu’à la
piraterie d’un avion civil. Mais ces
gesticulations sont contre-productives.
Ainsi, l’avion de Syrian Air en
provenance de Moscou qui a été détourné
par les chasseurs turcs ne contenait
aucune arme, mais des engins
électroniques de protection civile
destinés à détecter la présence de
fortes charges explosives. A vrai dire,
la Turquie n’a pas voulu empêcher la
Russie de livrer un matériel destiné à
protéger les civils syriens du
terrorisme, mais a tenté d’accroître la
tension en maltraitant des passagers
russes et en empêchant leur ambassadeur
de leur porter assistance. Peine perdue
: l’Otan n’a pas réagit aux accusations
imaginaires proférées par Recep Tayyip
Erdogan. Pour seule conséquence, le
président Poutine a annulé sine die
sa visite prévue à Ankara le 15 octobre.
Le chemin vers la paix est encore
long. Mais, même si la Turquie
aujourd’hui, ou les monarchies
wahhabites demain, essayent de prolonger
la guerre, le processus est enclenché.
L’Otan plie bagage et les médias
tournent progressivement leurs regards
vers d’autres cieux.
Thierry
Meyssan
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Professeur de
Relations internationales au Centre
d’études stratégiques de Damas. Dernier
ouvrage en français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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