« Sous nos yeux »
La France, victime
de son allégeance aux USA
Thierry Meyssan
Mardi 21 août 2012
Les Français
pensent souvent que l’économie est leur
priorité et que les questions
internationales ne les concernent pas
directement. Ils déplorent donc le
suivisme de leurs dirigeants derrière
les États-Unis, mais s’en accommodent.
Pourtant, comme le montre Thierry
Meyssan, ce sont bien des choix de
politique étrangère qui déterminent
l’actuelle mauvaise santé de l’économie
française.
François Hollande
avait fait campagne en dénonçant à la
fois la gestion catastrophique de son
prédécesseur, Nicolas Sarkozy, et son
style vulgaire et « m’as-tu-vu ». Il
avait annoncé un changement immédiat.
100 jours après son investiture, il a
certes changé de style, mais pas de
politique. La France continue à
s’enfoncer obstinément dans la crise.
Les principaux sujets débattus par la
presse française —et surtout la manière
dont elle les aborde— illustrent la
soumission de la classe dirigeante à la
domination états-unienne et justifient
l’immobilisme actuel.
• Les Français craignaient qu’une
fois les élections passées, plusieurs
grandes entreprises annoncent des plans
de licenciement. Aussi la diffusion
d’une note interne de PSA Peugeot
Citroën envisageant la fermeture des
usines d’Aulnay-sous-Bois et de
Sevelnord, impliquant la suppression de
plus de 8 000 emplois sans compter les
sous-traitants affectés, a fait l’effet
d’une bombe. Le gouvernement s’est alors
livré à une gesticulation impuissante,
convoquant le patron de PSA et mettant
en cause sa compétence, puis agitant le
stéréotype du grand patronat exploitant
la classe ouvrière.
En réalité, PSA Peugeot Citroën est
engagé dans un processus d’alliance avec
Général Motors. Relayant les pressions
du lobby sioniste états-unien United
Against Nuclear Iran (UANI), GM a exigé
de son partenaire français qu’il cesse
son travail en Iran, ce qu’il a fait
sans contrepartie. Or, PSA Peugeot
Citroën réalisait un quart de ses
activités dans la République islamique.
Dans cette affaire, le patronat
français s’est couché devant le diktat
US, et le gouvernement n’a pas osé le
dénoncer. Tous deux ont préféré se
donner la réplique sur de faux problèmes
économiques plutôt que d’avouer à leur
opinion publique qu’ils sacrifient leur
économie aux exigences de Washington.
• Une autre polémique s’est
déclenchée à propos des gaz de schistes.
Le sous-sol français en aurait les plus
importantes réserves européennes après
la Pologne. Nicolas Sarkozy a fait
délivrer 64 permis d’exploration. Le
candidat François Hollande s’est engagé
à faire marche arrière au vu des effets
désastreux des techniques de
fracturation sur l’environnement. Mais
en définitive, son gouvernement a
multiplié les déclarations
contradictoires pour finalement laisser
l’exploration se poursuivre.
Là encore, la classe dirigeante anime
un faux débat pour ne pas avoir à étaler
au grand jour sa servitude volontaire.
La presse explique que les faibles coûts
des gaz de schistes amélioreraient la
compétitivité de l’industrie. Il
conviendrait donc de mettre en balance
la relance économique et les problèmes
écologiques.
Plus prosaïquement, l’exploitation
des gaz de schistes est une directive de
la Maison-Blanche, formulée dans le plan
Cheney de 2000 et poursuivie par
l’administration Obama. Il s’agit
d’empêcher par tous les moyens Paris de
s’approvisionner en gaz russe, ce qui le
conduirait inévitablement à s’éloigner
de Washington pour se rapprocher de
Moscou.
Il est à noter que, soumis au même
dilemme, la classe dirigeante allemande
a refusé les pressions états-uniennes.
Le patronat a choisi d’approvisionner
son industrie en gaz russe.
L’ex-chancelier social-démocrate Gerhard
Schröder est lui-même devenu président
du directoire du gazoduc North Stream
qui approvisionnera son pays à la fin de
l’année. Et le maintien en fonction de
la chancelière atlantiste Angela Merkel
ne s’explique que par la volonté du
patronat de temporiser avec Washington
durant cette période charnière.
• Autre grand sujet traité par la
presse : le débat opposant Nicolas
Sarkozy à son successeur à propos de la
Syrie. Le président sortant souligne que
François Hollande n’est pas capable de
faire là-bas ce que lui a réussi en
Libye. Avec la finesse qui le
caractérise, le lobbyiste Bernard
Henry-Lévy accuse Vladimir Poutine de
tuer les enfants d’Alep et demande des
avions pour bombarder les soudards du
tyran el-Assad.
M. Hollande est pris au piège de sa
lâcheté. Il avait accepté que le mandat
du Conseil de sécurité pour protéger la
population libyenne soit utilisé pour
renverser Mouammar el-Khadafi. Loin de
poursuivre en justice M. Sarkozy pour
cette guerre illégale qui fit 160 000
victimes, il s’excuse aujourd’hui de ne
pouvoir en faire autant en Syrie. Avec
une candeur feinte, son ministre des
Affaires étrangères explique que l’on ne
peut violer ouvertement le droit
international en bombardant Damas, mais
qu’on peut toujours le violer avec
discrétion, en armant des terroristes
par exemple.
Cette dérive n’est pas nouvelle.
Trois ministres successifs, Bernard
Kouchner (indépendant), Alain Juppé
(droite) puis Laurent Fabius (gauche),
se sont appliqués à détruire la
politique étrangère qu’ils avaient reçue
en héritage. De défenseur des Nations,
la France est devenue exécutante
obéissante de la doctrine Blair d’«
ingérence humanitaire ». Ils n’ont pas
même l’excuse cynique de l’exploitation
coloniale : ce sont les Anglo-Saxons qui
ont tiré le plus gros profit des combats
livrés par la France contre le peuple
libyen et, à coup sûr, ce sont encore
les Anglo-Saxons qui se tailleront la
part du lion du gaz libanais, si la
France continue d’alimenter la guerre
secrète contre le peuple syrien et de se
faire haïr au Proche-Orient.
Soigneusement divertis par leurs
médias, les Français ne semblent
toujours pas faire le lien entre la
trahison de leurs élites et leurs
problèmes économiques.
Thierry
Meyssan
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Professeur de
Relations internationales au Centre
d’études stratégiques de Damas. Dernier
ouvrage en français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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