« Sous nos yeux »
François Hollande
veut armer des émirats islamiques
Thierry
Meyssan
François
Hollande a reçu à l’Élysée une
délégation de la Coalition nationale
syrienne conduite par le cheikh Ahmad
Moaz Al-Khatib (17 novembre). Le soutien
apporté à des activités armées
subversives ou terroristes destinées à
changer par la violence le régime d’un
autre État est un crime au sens de la
Charte des Nations Unies et de la
Déclaration des principes du droit
international.
© Présidence de la République -
Laurent Bienvennec
Mardi 20 novembre
2012 La France
se présente comme l’avant-garde
occidentale dans le combat pour la
liberté en Syrie. En réalité, elle
bafoue effrontément les principes de
base du droit international pour
satisfaire son rêve de recolonisation
d’un pays qu’elle a occupé de 1923 à
1944. Cette ambition la conduit à
soutenir la création d’Émirats
islamiques au risque d’ouvrir la porte à
une confrontation mondiale.
À la
tribune de l’Assemblée générale des
Nations Unies, le 25 septembre, le
président français François Hollande
avait affirmé sa conviction que le
changement de régime en Syrie était «
certain »
et par conséquent que Paris
reconnaîtrait « le gouvernement
provisoire, représentatif de la nouvelle
Syrie, dès lors qu’il sera formé ».
Il pensait pouvoir le désigner lui-même
en s’appuyant sur le Conseil national,
organisation fantoche créée par la DGSE
et financée par le Qatar. Cependant,
les États-Unis ont été rapides à
reprendre les choses en main. La
secrétaire d’État Hillary Clinton a
stigmatisé la représentativité du
Conseil national, composé de gens qui «
ne sont pas allés en Syrie depuis 20,
30 ou 40 ans » et a organisé son
sabordage. Lors de la réunion de Doha,
tenue le 11 novembre sous les auspices
de la Ligue arabe, l’ambassadeur US
Robert Ford l’a absorbé dans une
Coalition nationale, placée directement
sous son contrôle. Cela n’a évidemment
pas amélioré la connaissance de la Syrie
des personnes qui n’y sont pas allées «
depuis 20, 30 ou 40 ans », mais a
modifié le jugement que le département
d’État porte sur eux : depuis qu’ils
obéissent à Washington, ils sont
considérés comme légitimes.
Cependant, la France poursuit son
rêve de recolonisation de la Syrie. À
l’ONU, François Hollande avait demandé
que le Conseil de sécurité donne un
mandat pour administrer les « zones
libérées par les rebelles », sur le
modèle du mandat octroyé à la France par
la SDN de 1923 à 1944 sur l’ensemble de
la Syrie. Poursuivant cette logique, la
France et le Conseil de coopération du
Golfe ont reconnu la Coalition nationale
syrienne comme « seul représentant
légitime du peuple syrien » appelé à
« constituer un gouvernement
provisoire ». En outre, Paris a
demandé à l’Union européenne —qui vient
de recevoir le Prix Nobel de la Paix– de
lever l’embargo sur les armes, de
manière à pouvoir approvisionner les «
zones libérées ».
Il semble que les dirigeants
français, emportés par leurs chimères,
n’aient pas réalisé la gravité de leur
propos s’ils venaient à être mise en
œuvre. Il s’agit ni plus, ni moins de
remettre en cause la souveraineté des
États-Nations, qui forme le socle du
droit international depuis les Traités
de Westphalie, en 1648 ; un principe qui
est devenu universel en 1945 avec la
Charte des Nations unies et la
décolonisation qui a suivi.
Que l’on apprécie ou pas Bachar el-Assad,
force est de constater qu’il gouverne
actuellement l’essentiel du territoire
syrien avec l’appui de la majorité du
peuple syrien. Or la France prétend
s’abstraire de cette réalité et pouvoir
définir arbitrairement qui constitue le
gouvernement syrien. Sur cette base,
elle entend se donner le droit
d’administrer et d’armer les « zones
libérées » sur lesquelles flotte
déjà le drapeau à trois étoiles qu’elle
avait imposé jadis à ce pays. Ce procédé
était admis avant 1945 pour justifier
certaines formes de colonisation, mais
il était récusé dans les régions du
monde où s’appliquait la souveraineté
des États-Nations.
Il y a 73 ans, l’Allemagne imposa un
Premier ministre nazi à Vienne et
s’appuya sur lui pour annexer
l’Autriche. Il s’ensuivit une série de
conquêtes territoriales qui ne purent
être stoppées que par la Seconde Guerre
mondiale. Il ne fait aucun doute que si
le raisonnement français était appliqué,
il ouvrirait la voie à une Troisième
Guerre mondiale, comme l’a souligné
Bachar el-Assad dans son entretien du 8
novembre à Russia Today.
Les dirigeants français ne semblent
pas non plus avoir réalisé quelle forme
pratique prendrait leur projet s’ils
l’appliquent. Ce qu’ils appellent «
zones libérées » sont des régions
aux contours mouvants et incertains
contrôlées par des brigades de l’ASL. La
seule fois où l’une de ses zones a été
stabilisée, ce fut dans un quartier au
sud-ouest de Homs, fin 2011-début 2012.
La Katiba Al-Farouk y proclama l’Émirat
islamique de Baba Amr. Les écoles furent
détruites et la charia devint la Loi.
Tous les habitants non-sunnites furent
chassés et plus de 150 personnes furent
condamnées par un « tribunal
révolutionnaire » à être égorgées en
public.
4 mois après la chute de cet Émirat
islamique, le président François
Hollande reçut en grande pompe à Paris
certains de ses leaders en fuite.
C’était le 6 juillet à l’occasion de la
réunion du « Groupe des amis du
peuple syrien » (sic). Aujourd’hui,
la France envisage de soutenir la
création de nouveaux Émirats islamiques
sur le territoire d’un État souverain,
membre des Nations Unies.
Dans ces conditions, la France aurait
dû reconnaître l’Émirat islamique
d’Afghanistan aux côtés du Pakistan et
de l’Arabie saoudite plutôt que d’aller
sacrifier 88 de ses soldats à combattre
les Taliban. Et on ne voit pas pourquoi
elle entretient encore des relations
diplomatiques avec la Fédération de
Russie au lieu de reconnaître le
gouvernement provisoire d’Itchkérie (Tchétchènie).
Laissons de côté ce raisonnement par
l’absurde. En 1970, l’Assemblée générale
des Nations Unies a adopté la résolution
2625 explicitant les principes du Droit
international édictés dans la Charte. Ce
texte proclame : « Tous les États
doivent aussi s’abstenir d’organiser,
d’aider, de fomenter, de financer,
d’encourager ou de tolérer des activités
armées subversives ou terroristes
destinées à changer par la violence le
régime d’un autre État ainsi que
d’intervenir dans les luttes intestines
d’un autre État ». En tant que
président de la République française, il
appartient à François Hollande d’être
garant du respect de ces principes.
Thierry
Meyssan
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire
et de la conférence
Axis for Peace.
Professeur de Relations internationales
au Centre d’études stratégiques de
Damas. Dernier ouvrage en français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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