Moyen-Orient
Washington tente
de voler 1,5 milliard de dollars pour
payer ses salariés du CNT
Thierry Meyssan
Susan E. Rice, représentante
permanente des États-Unis à l’ONU.
©UN Photo/Paulo Filgueiras
Tripoli, le 16
août 2011
Les États-Unis ont tenté de
s’emparer lundi dernier
d’1 500 000 000 de dollars
appartenant à l’État libyen,
mais en ont été empêchés in
extremis par l’Afrique du Sud.
Les documents produits lors de
cet épisode, et que révèle le
Réseau Voltaire, attestent que
les membres du CNT et leurs
fonctionnaires sont directement
salariés par un organe US.
Mardi 9 août 2011,
Sana Khan, secrétaire du Comité des
sanctions mis en place par la résolution
1970 du Conseil de sécurité, a transmis
aux membres du Comité un avis émanant de
l’ambassadrice Susan Rice, représentante
permanente des États-Unis à l’ONU.
Dans cette missive, dont le Réseau
Voltaire s’est procuré une copie
[document téléchargeable au bas de cette
page], Washington informe le Comité de
son intention de dégeler 1 500 000 000
de dollars appartenant à la Banque
centrale de Libye, à l’Autorité libyenne
d’investissement, à la Banque étrangère
de Libye, au Portefeuille
d’investissement libyen en Afrique et à
la Compagnie nationale libyenne du
pétrole.
Arguant que ce dégel est légal
lorsque les fonds sont destinés à des
fins humanitaires ou civiles (article 19
de la Résolution 1970 [1]),
Washington indique qu’il affectera
unilatéralement cette somme comme suit :
500 000 000
de dollars à des organisations
humanitaires de son choix « pour
répondre aux besoins humanitaires
actuels et à ceux que l’on peut
anticiper, dans la ligne de l’appel des
Nations Unies et de ses mises à jour
prévisibles » ;
500 000 000
de dollars à « des sociétés
d’approvisionnement en fuel et en biens
humanitaires nécessaires » ;
500 000 000
de dollars au Temporary Financial
Mechanism (TFM) pour « payer les
salaires et les dépenses de
fonctionnement des fonctionnaires
libyens, des dépenses alimentaires, de
l’électricité et d’autres achats
humanitaires ». Sur cette somme,
100 000 000 de dollars seront
provisionnées afin d’être ultérieurement
affectés aux besoins humanitaires des
Libyens dans les zones non contrôlées
par le Conseil de transition nationale
(CNT) lorsque celui-ci aura établi « un
mécanisme crédible, transparent et
effectif » pour les leur
transmettre.
En clair, les États-Unis ont informé
le Comité des sanctions de leur
intention de s’emparer 1,5 milliard de
dollars qu’ils attribueraient pour un
tiers à leurs propres services
humanitaires (USAID…), pour un second
tiers à leurs propres multinationales
(Exxon, Halliburton etc.), et pour le
restant au TFM, un bureau du LIEM,
lequel n’est qu’un organe officieux créé
par Washington et avalisé par le Groupe
de contact pour administrer la Libye [2].
Washington a fait savoir qu’il
considérerait avoir l’accord tacite du
Comité des sanctions dans les cinq jours
suivant la réception de sa notification.
Malheureusement, la Libye ne pouvait
pas s’opposer à ce vol, car elle n’est
pas représentée à ce Comité. En effet,
son ancien ambassadeur a fait défection,
et —en violation de l’Accord de siège—
le Département d’État n’a toujours pas
délivré de visa à son nouvel
ambassadeur.
Washington entendait bien profiter de
cette absence forcée pour s’emparer du
butin. Au demeurant, la France a déjà
ouvert une brèche en volant 128 millions
de dollars dans les mêmes conditions.
C’est en définitive le représentant
permanent de l’Afrique du Sud,
l’ambassadeur Baso Sangqu, qui a fait
obstacle à la manœuvre.
Outre la rapacité des États-Unis, cet
invraisemblable épisode confirme que l’auto-proclamée
« Libye libre » de Benghazi et
Misrata n’est pas gouvernée par le
Conseil national de transition (CNT).
Celui-ci n’est qu’une façade, au
demeurant fort lézardée. L’Est de la
Libye, contrôlé par l’OTAN, est
administré par le Libyan Information
Exchange Mechanism (LIEM), un organe
informel, sans personnalité juridique,
mis en place à Naples par les seuls
États-Unis, même si certains de ses
employés sont des Italiens.
Les fonds que l’on présente comme
attribués au CNT sont en réalités
remis au LIEM qui les utilise pour
salarier les membres du CNT et leurs
fonctionnaires. La différence est de
taille : le Conseil national de
transition n’a pas de politique
propre, il se contente d’exécuter la
politique des États-Unis. Et c’est
bien normal lorsque l’on sait que le
CNT n’a pas été formé lors des
événements de Benghazi, mais
plusieurs années avant à Londres
comme un gouvernement provisoire en
exil.
Par conséquent, l’action
militaire des États-Unis et de leurs
alliés de l’OTAN ou du Conseil de
coopération du Golfe n’a pas pour
objectif de mettre en œuvre la
protection des civils prévue par la
résolution 1973, et encore moins la
« libération des Libyens »,
mais bien la colonisation du pays.
[1]
« Résolution
1970 sur la Libye »,
Réseau
Voltaire,
26 février 2011.
[2]
« Libye :
Washington prépare sa revanche »,
par Thierry Meyssan,
Réseau Voltaire,
21 juillet 2011.
Document joint
Fac similé du document
original du Comité des sanctions des
Nations Unies
(PDF - 4.5 Mo)
Thierry Meyssan,
intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Il publie des
analyses de politique étrangère dans la
presse arabe, latino-américaine et
russe. Dernier ouvrage en français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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