Proche-Orient : la
contre-révolution d'Obama Thierry Meyssan
A la demande du roi Hamad ibn Isa
Al-Khalifa et avec le soutien des Etats-Unis,
les troupes saoudiennes entrent dans Bahreïn pour y écraser la
révolte (14 mars 2011)
Beyrouth, le mercredi 16 mars 2011
Après avoir hésité sur la conduite à tenir face aux révolutions
arabes, l’administration Obama a choisi la manière forte pour
sauver ceux de ses vassaux qui peuvent l’être encore. Comme par
le passé, c’est l’Arabie saoudite qui a été chargée de mener la
contre-révolution. Riyad a réussi à faire reconnaître ses pions
libyens par la communauté internationale au détriment des
insurgés et vient d’envahir le Bahreïn, écrasant dans le sang la
révolte populaire.
A l’issue d’une réunion au palais de l’Elysée avec trois
émissaires de la rébellion, le président Nicolas Sarkozy a
annoncé, le jeudi 10 mars 2011, que la France ne reconnaissait
plus le régime du colonel Khadafi comme représentant la Libye,
mais le Conseil national libyen de transition (CNLT).
Il s’agit là d’un acte contraire à toute la tradition
diplomatique française qui, jusqu’à présent, ne reconnaissait
pas des gouvernements, mais des Etats. Cette décision fait suite
à une autre par laquelle, le 4 décembre 2010, la France a
reconnu Alassane Ouattara comme président de la Côte d’Ivoire en
remplacement de Laurent Gbagbo.
Paris, qui a été suivi par la majorité de la Communauté
internationale dans le cas ivoirien, espère l’être aussi dans le
cas libyen. Il n’échappe cependant à personne que les décisions
du président Nicolas Sarkozy n’ont pas été prises dans l’intérêt
de la France —dont les entreprises sont chassées de Côte
d’Ivoire et ne tarderont pas à l’être de Libye—, mais à la
demande expresse des administrations Obama et Netanyahu.
Deux opérations se jouent simultanément : le déplacement du
dispositif militaire US du Proche-Orient vers l’Afrique, et le
sauvetage des régimes arabes fantoches.
Faire entrer les troupes impériales en Afrique
Ainsi que je n’ai cessé de l’expliquer depuis quatre ans et
demi, la victoire de la Résistance libanaise face à Israël à
l’été 2006 a mis fin à la stratégie états-unienne de remodelage
du « Proche-Orient élargi » (Greater Middle East) [1].
Malgré diverses tentatives, dont la « main tendue » par Barack
Obama lors de son discours du Caire [2],
Washington n’est pas parvenu à élaborer de stratégie de
remplacement. Apparemment tout continue comme avant, mais en
réalité les États-Unis se désinvestissent lentement de cette
région. Au demeurant, les réserves pétrolières du Proche-Orient
étant en déclin alors qu’un investissement militaire massif et
coûteux ne rapporte qu’à long terme, Washington a tourné son
regard dans d’autres directions.
Après avoir envisagé de se concentrer sur les Caraïbes, c’est
sur l’Afrique que l’Empire a jeté son dévolu. Il faut faire
vite, car en 2013, un quart du pétrole et des matières premières
consommés aux États-Unis proviendra du continent noir.
Définitivement convaincu par les travaux du think tank israélien
Institute for Advanced Strategic & Political Studies (IASPS),
Washington a accéléré la création de l’AfriCom. Le véritable
pouvoir qui gouverne les États-Unis depuis le coup d’État du 11
septembre 2001 a alors hissé Barack Obama à la Maison-Blanche et
le général William E. Ward à l’AfriCom.
On se souvient que le sénateur d’origine kenyanne Barack
Obama a travaillé activement à la création de ce dispositif et a
entrepris une tournée spéciale en Afrique en août 2006 qui se
termina par un débriefing au siège de l’AfriCom à Stuttgart. Il
s’était particulièrement occupé des intérêts des firmes
pharmaceutiques sur le continent noir et de la préparation de la
partition du Soudan [3].
Le général Ward, quand à lui, n’est pas seulement un noir
américain, il est aussi l’ancien responsable de l’assistance
sécuritaire US à l’Autorité palestinienne, c’est-à-dire le
coordinateur de sécurité entre Mahmoud Abbas et Ariel Sharon. Il
fut chargé de la mise en œuvre de la « Feuille de route » et du
retrait unilatéral des forces israéliennes de Gaza, préalable à
la construction du Mur de séparation, à la séparation des
Territoires palestiniens en deux (Gaza et la Cisjordanie) et à
leur transformation en « bantoustans » distincts.
Le conflit de Côte d’Ivoire, qui oppose Laurent Gbagbo (élu
par la majorité des Ivoiriens) à Alessane Ouattara (soutenu par
une minorité d’Ivoiriens et par les immigrés burkinabés) amorce
le plan de « remodelage de l’Afrique ». Encore faut-il
trouver une porte d’entrée pour les troupes impériales, alors
que tous les États africains se sont officiellement opposés au
déploiement de l’AfriCom sur leur territoire. C’est là que le
soulèvement libyen intervient.
La vague de révolte contre l’impérialisme qui agite le monde
arabe depuis décembre 2010 a fait tomber le gouvernement de Saad
Hariri au Liban, a provoqué la fuite de Zine el-Abbidine Ben Ali
hors de Tunisie, la chute d’Hosni Moubarak en Égypte, des
troubles au Yémen, à Bahrein et en Arabie saoudite, et des
affrontements en Libye. Dans ce pays, le colonel Mouammar
Khadafi s’appuie sur les Kadhafa (tribu du Centre) et la
majorité des Makarha (tribu de l’Ouest). Il doit faire face à
une vaste coalition qui, outre les Warfala (tribu de l’Est),
compte aussi bien des monarchistes pro-occidentaux et des
intégristes wahhabites que des révolutionnaires communistes ou
khomeinistes. Washington a transformé cette insurrection en
guerre civile : les mercenaires africains de la société
israélienne CST Global sont venus sauver Khadafi [4],
tandis que les mercenaires afghans des services secrets
saoudiens sont venus appuyer les monarchistes et des groupes
islamistes labellisés « Al-Qaeda ».
Outre les combats, la situation provoque une crise humanitaire
internationale : en deux semaines, 230 000 immigrés ont fuit le
pays (118 000 vers la Tunisie, 107 000 vers l’Égypte, 2 000 vers
le Niger, et 4 300 vers l’Algérie).
Cette situation cruelle justifie une nouvelle « guerre
humanitaire », selon la terminologie éculée de la communication
atlantique.
Le 27 février, les insurgés fondent le Conseil national
libyen de transition (CNLT). De son côté, le ministre de la
Justice Moustafa Mohamed Aboud al-Djeleil, qui était
l’interlocuteur privilégié de l’Empire au sein du gouvernement
Kadhafi, se rallie à la révolution et créé un Gouvernement
provisoire. Les deux structures fusionnent le 2 mars :
l’étiquette CNLT est conservée, mais le Conseil est désormais
présidé par Aboud al-Djeleil. En d’autres termes, Washington a
réussi à placer son pion à la tête de l’insurrection.
Les premiers débats du CNLT nouvelle formule donnent lieu à
de vifs échanges. Les pro-US proposent de faire faire appel à
l’ONU pour empêcher les bombardements de l’armée loyaliste, ce
que la majorité refuse. Le 5 mars, un diplomate britannique et
une escorte de commandos des SAS débarquent par hélicoptère à
Benghazi. Ils tentent de rencontrer le CNLT et de le persuader
de faire appel au Conseil de sécurité, mais les insurgés
refusent toute ingérence étrangère et les expulsent.
Coup de théâtre : Aboud al-Djeleil, qui ne parvient pas à
faire évoluer la position du CNLT, le convainc d’instituer un
Comité de crise présidé par Mahmoud Djebril. Ce dernier prend
position en faveur de la zone d’exclusion aérienne.
Mahmoud Djebril (ministre de la
planification) et Ali Essaoui (ambassadeur en Inde) ont rejoint
les insurgés
et ont été choisis par les Occidentaux pour représenter la Libye
de l’après-Khadafi.
Les agences de presse occidentales s’efforcent de présenter
Mahmoud Djebril comme « un intellectuel démocrate » qui
réfléchissait depuis longtemps à l’évolution du pays et avait
rédigé un projet intitulé Vision libyenne. En réalité, il
siégeait aux côtés de son ami al-Djeleil dans le gouvernement
Khadafi où il était ministre de la Planification. A l’instar de
ce qui s’est passé dans les premiers jours des révolutions
tunisienne et égyptienne, des cadres du régime tentent de se
désolidariser du dictateur pour rester au pouvoir. Ils croient y
parvenir en détournant le processus révolutionnaire et en
servant les intérêts impériaux. Les voici maintenant qui agitent
le drapeau rouge-noir-vert à l’étoile et au croissant du roi
Idriss [5],
tandis que Mohammed el-Senoussi, le prétendant au trône, déclare
depuis Londres aux chaînes de télévisions saoudiennes qu’« Il
est prêt à servir Son peuple ».
Le 7 mars, le Conseil de coopération du Golfe (CCG), qui
réunit l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis, le
Koweït, Oman et le Qatar, « demande au Conseil de sécurité de
l’ONU de prendre les mesures nécessaires pour protéger les
civils en Libye, dont l’imposition d’une zone d’exclusion
aérienne ». Cette déclaration saugrenue dévie le débat du
Conseil de sécurité qui, depuis la résolution 1970 [6],
cherchait à faire entendre raison au colonel Khadafi en limitant
ses déplacements et en gelant ses avoirs. Le CCG reprend au
niveau étatique la proposition émise par l’ambassadeur de Libye
à l’ONU, déjà rallié au CNLT.
Prétendument à l’initiative de députés, Mahmoud Djebril se
rend à Strasbourg pour informer le Parlement européen de la
situation dans son pays. Son transport est organisé par l’armée
française. Sous l’impulsion du libéral belge Guy Verhofsdat et
de l’écologiste franco-allemand Daniel Cohn-Bendit, le Parlement
adopte une résolution appelant à une intervention
internationale [7].
Le Premier ministre britannique David Cameron et le président
français Nicolas Sarkozy adressent une lettre en sept points au
président de l’Union européenne Herman van Rompuy [8].
Ils souhaitent que le Conseil européen extraordinaire
reconnaisse le CNLT, soutienne une mise en accusation de Khadafi
par le Tribunal pénal international et approuve une intervention
militaire internationale. Cependant, leurs demandes sont
rejetées [9].
L’Allemagne refuse de s’engager sur un terrain mouvant, tandis
que la Bulgarie récuse le CNLT et accuse ses représentants
d’être des criminels impliqués dans les tortures des infirmières
bulgares longuement détenues par le régime.
Simultanément, les ministres de la Défense de l’OTAN se
réunissent à Bruxelles pour préparer une possible zone
d’exclusion aérienne [10].
Le CNTL —que la France a reconnu le 10 mars— remet le 12 mars
une lettre au secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa.
Le texte reprend la position saoudienne : il demande de « mettre
fin à l’effusion de sang par le biais d’une décision imposant
une zone d’exclusion aérienne en Libye et en reconnaissant le
Conseil national de transition comme représentant de la Libye ».
Immédiatement réunis à huis clos au Caire, les ministres des
Affaires étrangères de la Ligue arabe récusent la délégation
officielle libyenne et reconnaissent le CNTL comme nouvel
interlocuteur, puis ils satisfont à sa demande et saisissent le
Conseil de sécurité des Nations Unies pour établir la « zone
de non-survol ».
Cette décision doit être comprise pour ce qu’elle est : les
régimes arabes fantoches, mis en place par les États-Unis et
Israël font appel à leurs suzerains pour se maintenir. Le
Conseil de sécurité peut décréter une zone d’exclusion aérienne,
mais il ne peut pas la faire respecter. La mise en œuvre
reviendra à l’OTAN. Ce sont donc les forces impériales,
déguisées avec des casques bleus, qui cloueront au sol
l’aviation libyenne en bombardant ses aéroports et ses
installations fixes et mobiles de missiles sol-air, puis
éventuellement, en abattant ses appareils en vol.
La Ligue arabe n’a pas indiqué le détail du vote. Sur 22
États membres, seuls 2 ont voté non : l’Algérie, qui craint la
présence de l’OTAN sur sa frontière Est, et la Syrie, qui
persiste seule contre tous à résister à l’hégémonie
états-unienne et au sionisme. Il est probable que le Liban et
d’autres se sont abstenus.
Contrairement à ce que laissent entendre les responsables
occidentaux, l’Union africaine n’a jamais souhaité une
intervention militaire étrangère. Au contraire, elle l’a
explicitement rejetée le 10 mars [11].
Et pour cause : il est clair pour chacun de ses membres que le
drame libyen est volontairement amplifié pour servir de prétexte
au débarquement massif des forces armées états-uniennes en
Afrique.
Sauver les monarchies du Golfe
Dans le Golfe, l’Arabie saoudite est le centre du dispositif
impérial. Au début du XXe
siècle, cet État a été créé par la famille des Saoud avec
l’appui des Britanniques, à l’issue de guerres de conquête
extrêmement meurtrières. Avec ses réserves pétrolières —les plus
importantes du monde—, il est tombé dans l’orbite états-unienne
à la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’accord du Quincy,
conclu entre le roi Ibn Saoud et le président Roosevelt, fait
obligation aux Saoud d’approvisionner en pétrole les États-Unis
et fait obligation aux États-Unis de protéger la famille
régnante (et non le pays).
L’Arabie saoudite n’est pas à proprement parler un
État et n’a pas de nom, c’est juste la partie d’Arabie
appartenant aux Saoud. Ceux-ci la gèrent dans leur intérêt
personnel (et celui des États-Unis) et mènent ostensiblement une
vie de débauche bien éloignée de l’austérité wahhabite dont ils
se réclament. Le roi Ibn Saoud ayant eu 32 épouses et 53 fils,
il a été convenu pour limiter les conflits familiaux que la
couronne ne se transmettrait pas de père en fils, mais de frère
à frère. Son fils aîné étant mort de maladie, c’est son fils
cadet, alors âgé de 51 ans, qui lui succéda en 1953. Puis son
troisième fils, alors âgé de 60 ans, en 1964, et ainsi de suite.
Le roi actuel est âgé de 87 ans, il a récemment subi de lourdes
opérations et n’en a probablement plus pour longtemps à vivre.
Son frère Sultan, qui devrait lui succéder, est atteint de la
maladie d’Alzheimer.
De tout cela, il résulte un régime impopulaire et fragile,
qui a déjà failli s’effondrer en 1979. C’est pourquoi aussi bien
Riyad que Washington observent avec crainte les insurrections
arabes qui le cernent, au Yémen et au Bahreïn.
L’armée saoudienne est déjà présente au Yémen. Avec l’aide de
la CIA, elle espère aider le président Ali Abdullah Saleh à
mater la révolte. Reste Bahreïn.
Bahreïn est une petite île de la taille de la Micronésie ou
de l’île de Man. Au XVIIIe
siècle, elle a été prise à la Perse par les Al-Khalifa (des
cousins de la famille régnante au Koweït). La monarchie est donc
sunnite alors que la population d’origine est arabe chiite. À la
différence des autres monarchie du Golfe, son économie n’est pas
centrée sur la rente pétrolière. Il y a cependant une forte
immigration (environ 40 % de la population totale),
principalement venue d’Iran et d’Inde.
Ian Henderson, tortionnaire au
service de Sa Majestée Elizabeth II,
a maintenu l’ordre à Bahreïn durant quarante ans.
En 1923, le Bahreïn est tombé dans l’orbite britannique.
Londres a déposé l’émir et placé son fils, plus conciliant, sur
le trône. Durant les années 50 et 60, nationalistes arabes et
communistes tentèrent de libérer le pays. Le Royaume-Uni
répondit en dépêchant ses meilleurs spécialistes en répression,
dont Ian Henderson, désormais connu comme le « boucher de
Bahreïn ». En définitive, le pays retrouva son indépendance en
1971, mais ce fut pour tomber dans l’orbite des États-Unis qui y
installèrent leur base militaire navale régionale et y
attachèrent la Ve flotte. Les
années 80 furent le théâtre de nouveaux troubles, inspirés par
l’exemple de la Révolution iranienne. Dans les années 90,
l’ensemble des forces d’oppositions s’unirent —à la fois
marxistes, nationalistes arabes et khomeinistes— durant une
longue intifada.
Alain Bauer, conseiller de sécurité
de Nicolas Sarkozy,
a été chargé de réorganiser la police de Bahreïn
Le calme ne revint qu’en 1999 avec la montée sur le trône du
roi Ahmad. Despote éclairé, il institua une Assemblée
consultative élue et favorisa l’accès des femmes aux postes à
responsabilité, ce qui lui concilia son opposition historique,
mais lui aliéna les extrémistes de la minorité sunnite sur
laquelle repose son régime.
Depuis le 14 février 2011, des manifestations se succèdent
dans l’île. Initialement organisées par le Wefaq, le parti
khomeiniste, elles dénonçaient la corruption et le système
policier. Il s’agissait de réformer la monarchie et non de
l’abolir. Cependant, le succès populaire du mouvement et la
brutalité de la répression ont conduit à une rapide
radicalisation, malgré une timide tentative d’ouverture du
prince héritier [12].
Le prince Khalil bin Ahmad bin
Muhammad Al Khalifa, ministre des Affaires étrangères du royaume
de Bahreïn
(au centre) et ses amis de l’American Jewish Committee
La monarchie a perdu sa légitimité après les révélations du
resserrement de ses liens avec le mouvement sioniste. Depuis
2007, les Khalifa ont tissé des liens avec l’American Jewish
Committee. Selon l’opposition bahreïnie, ils ont été noués par
l’entremise d’Alain Bauer, le conseiller du président français
chargé de la refonte du système policier bahreïni.
Le secrétaire US à la Défense,
Robert Gates, est venu le 13 mars 2011 à Manama rencontrer
le roi de Bahreïn pour lui apporter le soutien des Etats-Unis.
Le lendemain, l’armée saoudienne est entrée dans le royaume pour
écraser la rébellion
Désormais, la plupart des manifestants luttent pour le
renversement de la monarchie ; ce qui constitue la ligne rouge à
ne pas franchir aux yeux des autres monarchies du Golfe et de
leur protecteur états-unien. C’est pourquoi le secrétaire US à
la Défense, Robert Gates, s’est rendu le 13 mars à Manama.
Officiellement, il a invité le roi à prendre en compte les
réclamations de son peuple et à trouver une issue paisible au
conflit. Bien sûr, ce type de conseil ne ressort pas d’un
secrétaire à la Défense, mais d’un secrétaire d’État. En
réalité, M. Gates est venu conclure le volet politique d’une
opération militaire déjà prête.
Le lendemain 14 mars, les cinq autres monarchies du Conseil
de coopération du Golfe ont donné leur accord pour l’activation
du « Bouclier de la péninsule », une force d’intervention
commune, prévue de longue date pour contenir la possible
expansion de la Révolution khomeiniste. Le soir même, 1 000
soldats saoudiens et 500 policiers émiratis sont entrés à
Bahreïn.
L’état d’urgence a été décrété pour trois mois. Le peu de
libertés qui étaient tolérées ont été suspendues. Le 16 mars à
l’aurore, les forces des monarchies coalisées, armées et
encadrées par les États-Unis, ont délogé les manifestants des
lieux où ils campaient, utilisant des gaz de combat à la place
de gaz lacrymogènes, et des tirs à balles réelles. Les autorités
reconnaissent plus de 1 000 blessés graves, dont plusieurs
centaines par balles, mais uniquement 5 morts, ce qui est un
ratio peu crédible.
La Doctrine Obama
Washington a donc tranché. Après avoir tenu un discours
lénifiant sur les Droits de l’homme et avoir salué avec un
enthousiasme forcé le « printemps arabe », l’administration
Obama a choisi la force pour sauver ce qui peut l’être encore.
Comme lorsque les communistes renversèrent la monarchie
afghane, c’est le vassal saoudien qui a été chargé par
Washington de conduire la contre-révolution. Il a armé une
faction de l’opposition libyenne, et a substitué au débat
onusien sur des sanctions contre la Libye, le débat sur la
création d’une zone d’exclusion aérienne, c’est-à-dire sur
l’intervention militaire. Il est intervenu militairement à
Bahreïn.
Rien ne distingue la « doctrine Obama » de la « doctrine
Brejnev ». En 1968, les chars du Pacte de Varsovie mettaient fin
au « printemps de Prague » pour préserver l’Empire soviétique
vacillant. En 2011, les blindés saoudiens écrasent le peuple
bahreïni pour préserver l’Empire anglo-saxon.
L’opération a été conduite dans le silence assourdissant des
médias occidentaux, hypnotisés par les catastrophes naturelles
et nucléaires qui frappent le Japon au même moment.
La Révolution française avait dû faire face à l’invasion des
monarchies coalisées. La Révolution russe a dû affronter les
armées blanches. La Révolution iranienne a dû résister à
l’invasion irakienne. La Révolution arabe doit désormais vaincre
l’armée saoudienne.
Thierry Meyssan, Analyste
politique français, président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Il publie chaque semaine des chroniques de
politique étrangère dans la presse arabe et russe. Dernier
ouvrage publié :
L’Effroyable imposture 2, éd. JP Bertand (2007).
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