« Sous nos yeux »
La Syrie n'est
qu'un prétexte
Thierry Meyssan
Le
représentant permanent de la Russie,
Vitaly I. Churkin, lève la main pour
interdire la guerre contre la Syrie
(Conseil de sécurité, 19 juillet 2012).
Mardi 14 août 2012
Ces dernières
semaines, la scène diplomatique
internationale a été une nouvelle
fois accaparée par la crise
syrienne. Un double veto a été
brandi au Conseil de sécurité,
l’Assemblée générale a voté une
résolution et l’envoyé spécial du
secrétaire général a démissionné.
Cette agitation, qui est
contre-productive en termes
diplomatiques, répond à d’autres
objectifs que la recherche de la
paix.
Les Occidentaux n’avaient aucune
raison diplomatique de faire
procéder au vote sur leur projet de
résolution, alors que les Russes
avaient annoncé qu’ils ne le
laisseraient pas passer. Ils
n’avaient pas non plus de raison de
faire adopter une nouvelle
résolution par l’Assemblée générale
alors que celle-ci en a déjà adopté
une dans des termes similaires.
Enfin, Kofi Annan n’avait pas de
raison objective de démissionner.
Par ailleurs, une partie de cette
séquence est illégale. L’Assemblée
générale n’a pas la compétence pour
débattre de dossiers dont le Conseil
de sécurité est saisi, sauf lorsque
« paraît exister une menace contre
la paix ou un acte d’agression et
où, du fait que l’unanimité n’a pas
pu se réaliser parmi ses membres
permanents, le Conseil de sécurité
manque à s’acquitter de sa
responsabilité principale dans le
maintien de la paix et de la
sécurité internationales ». Ce n’est
pas le cas puisque les promoteurs de
la résolution insistent pour
présenter la crise syrienne comme un
problème exclusivement intérieur.
Quoi qu’il en soit, l’Assemblée
générale n’a pas évoqué cette
compétence (connue sous le nom d’«
Union pour le maintien de la paix
»), mais les dirigeants occidentaux
ont laissé entendre qu’elle
disposait de bien plus : d’un droit
d’ingérence humanitaire. C’est
évidemment une escroquerie
intellectuelle. La Charte de l’ONU
est fondée sur le respect de la
souveraineté des États membres,
tandis que le « droit d’ingérence »
(anciennement dénommé « mission
civilisatrice ») est le privilège du
plus fort utilisé par les puissances
coloniales pour conquérir le monde.
Dans cet état d’esprit, les
dirigeants occidentaux n’ont cessé
de stigmatiser l’inaction du Conseil
de sécurité. Rien n’est plus faux :
le Conseil est divisé, comme l’ont
montré les trois vétos successifs,
mais il est actif et a déjà pris
trois résolutions sur la crise
syrienne (2042, 2043 et 2059).
Lorsque le jury d’une Cour pénale
est divisé sur la culpabilité d’un
prévenu et le relaxe, on ne dit pas
que la Cour est impuissante à le
condamner, mais au contraire on dit
qu’elle a rendu la Justice. Lorsque
le Conseil de sécurité, qui est une
des sources du droit international,
rejette une résolution, on doit
admettre qu’il dit la loi, que l’on
soit satisfait ou pas de sa
décision.
Kofi Annan a expliqué sa
démission en ces termes : « la
militarisation croissante sur le
terrain et le clair manque d’unité
du Conseil de sécurité ont
fondamentalement changé les
circonstances pour la réussite de ma
mission ». On croit rêver, M. Annan
avait accepté ses fonctions le 23
février. À cette date, l’Armée
syrienne était en train d’assiéger
l’Émirat islamique de Baba Amr où
deux à trois mille combattants
étaient retranchés avec des
instructeurs occidentaux, tandis que
la Chine et la Russie avaient déjà
fait usage par deux fois de leur
droit de véto. En réalité, aucun
protagoniste n’a modifié d’un iota
sa position. Seul le rapport de
forces sur le terrain a changé : une
faction de la population syrienne
qui soutenait les groupes armés
accorde désormais son soutien à
l’armée nationale ; après avoir
perdu l’Émirat islamique de Baba
Amr, les Contras ne sont pas
parvenus à s’emparer de Damas, ni
d’Alep et se retrouvent privés de
sanctuaire. Kofi Annan déserte le
champ de bataille syrien, comme il
l’avait fait à Chypre en 2004 après
le rejet de son plan de paix par
référendum.
Rétrospectivement, il apparaît
qu’il concevait sa mission dans la
perspective d’un renversement du
président el-Assad par la force et
qu’il ne sait plus que faire devant
l’échec militaire de l’Armée
syrienne libre soutenue par
l’Occident. Évidemment, la démission
de l’envoyé spécial n’est pas
seulement l’expression de son
désarroi personnel, elle participe
aussi de la campagne occidentale
pour stigmatiser un « blocage de la
communauté internationale » et en
faire porter la responsabilité à la
Syrie, à la Russie et à la Chine.
Voilà qui laisse entrevoir la
véritable signification de cette
agitation. Les Occidentaux n’ont que
faire du bien-être des Syriens : ce
sont eux qui arment les mercenaires
qui torturent et massacrent à grande
échelle, et ils n’ont pas
l’intention de s’arrêter. Leur
activité diplomatique est
exclusivement orientée vers une mise
en accusation de la Russie et de la
Chine et vers une contestation de
l’existence même du Droit
international.
Le très obséquieux Ban Ki-moon ne
s’y est pas trompé. Ouvrant le débat
de l’Assemblée générale sur la
Syrie, il a infirmé l’analyse
présentée par la résolution. Il n’a
pas dénoncé un conflit syro-syrien.
Il a déploré « une guerre par
procuration » entre grandes
puissances ; une guerre dont
l’objectif n’est pas la prise de la
Syrie, mais l’ajustement d’un
nouveau rapport de forces mondial.
Source
Tichreen (Syrie)
Thierry
Meyssan
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire et de la conférence
Axis for Peace. Professeur de
Relations internationales au Centre
d’études stratégiques de Damas. Dernier
ouvrage en français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
Article sous licence creative
commons
Vous pouvez reproduire librement les
articles du Réseau Voltaire à condition
de citer la source et de ne pas les
modifier ni les utiliser à des fins
commerciales (licence
CC BY-NC-ND).
Le sommaire du Réseau Voltaire
Les dernières mises à jour
|