Opinion
L'OTAN suspend ses
projets militaires et renforce la guerre
économique contre la Syrie
Thierry Meyssan
La
secrétaire d’Etat Hillary Clinton lors
du Saban Forum, Washington,
3 décembre 2011.
Damas (Syrie),
vendredi 9 décembre 2011
Alors qu’elle
appliquait jusqu’à présent le scénario
de l’intervention militaire humanitaire
qui avait fait ses preuves en
Yougoslavie et récemment en Libye,
l’Organisation du Traité de l’Atlantique
Nord doit revoir sa copie en Syrie.
Désormais il s’agira d’appliquer la même
stratégie que pour l’Irak : mettre le
pays en état de siège au mépris des
populations pour l’affaiblir
suffisamment avant le prochain assaut.
L'OTAN est en train
de revoir sa stratégie syrienne.
Après huit mois de guerre de basse
intensité et malgré l’infiltration
de très nombreux combattants arabes
et pachtounes, la société syrienne
ne s’est toujours pas fracturée.
Certes, quelques affrontements
confessionnels ont eu lieu à Deraa,
Banyas et Homs, mais ils ne se sont
pas étendus et n’ont pas perduré.
Pour l’Alliance, il est illusoire de
croire pouvoir susciter rapidement
une guerre civile qui puisse
justifier une « opération
humanitaire internationale ».
Ce constat intervient alors que
la coalition militaire ad hoc
est en crise. Lors de la guerre
contre la Libye, l’initiative avait
été assumée par la France et le
Royaume-Uni. Cependant, les deux
poids lourds européens en la matière
s’étaient avérés incapables de
mobiliser les moyens nécessaires. En
réalité, les trois quart de l’effort
de guerre avaient été fournis ou
financés par le Pentagone. Surtout,
le déploiement de dispositifs
incomplets aurait pu tourner au
désastre si la Libye avait décidé
d’attaquer les bateaux et les
hélicoptères de l’Alliance [1].
Le problème est beaucoup plus grave
avec la Syrie, dont la population
est quatre fois plus nombreuse que
celle de la Libye, et dont l’armée
est aguerrie par les précédents
conflits régionaux.
Il avait donc été convenu de
renforcer le tandem
franco-britannique en lui adjoignant
l’Allemagne. Un accord tripartite
aurait dû être négocié le 2 décembre
à l’occasion de l’anniversaire
décalé du Traité de Lancaster House
[2]
qui fixa l’organisation des forces
de projection jointes
franco-britanniques et scella le
sort de la Libye [3].
Or, ce sommet a été annulé. En
pleine crise économique occidentale,
Berlin n’entend pas engager des
dépenses de guerre sans garanties de
retour sur investissement.
La rationalité budgétaire
allemande bouscule les rêves épiques
du complexe militaro-industriel
américano-israélien. Le départ de
Robert Gates et l’ascension
d’Hillary Clinton ont illustré le
retour sur la scène mondiale du
projet de « remodelage du
Moyen-Orient élargi » et son
extension à l’Afrique du Nord. Cette
doctrine, dérivée de la pensée
impériale de Leo Strauss, se
présente comme une perpétuelle fuite
en avant, la guerre n’ayant plus
d’autres objectifs qu’elle même.
Elle convient parfaitement à
l’économie de guerre des États-Unis,
mais pas du tout à l’économie
industrielle pacifique allemande.
Le projet de guerre
conventionnelle contre la Syrie pose
de nombreuses questions économiques.
Aucune nation européenne n’y
trouvera d’intérêt à court ou moyen
terme, mais beaucoup peuvent y
perdre. Dans le cas libyen, des
hommes d’affaire britanniques et
français ont pu encaisser des
dividendes immédiats en renégociant
de manière avantageuse leurs
concessions pétrolières, tandis que
les Turcs et les Italiens ont été
les dindons de la face, perdant
presque tous leurs marchés dans leur
ancienne colonie.
En attendant qu’une coalition
militaire ad hoc soit formée,
l’OTAN s’est provisoirement repliée
sur la guerre économique. Elle
entend assiéger la Syrie, lui couper
toute possibilité commerciale aussi
bien à l’import qu’à l’export, et
saboter ses moyens de production.
Sous le vocable bien-pensant de «
sanctions », les États de
l’Alliance et leurs vassaux de la
Ligue arabe ont déjà institué un gel
bancaire qui interdit le commerce de
commodités. Ils se concentrent
maintenant sur la fermeture des
voies de communication, notamment
les lignes aériennes, et le retrait
des multinationales, principalement
les compagnies pétrolières. Ainsi,
après Shell et Total, Petro-Canada
se retire, fermant derrière elle la
centrale qui alimente en électricité
la ville de Homs.
Surtout, la première action de
sabotage d’envergure a débuté contre
le pipe-line approvisionnant cette
même centrale électrique afin qu’il
ne soit pas possible de la faire
fonctionner en l’absence des
ingénieurs canadiens. Cette action a
été revendiquée par l’Armée syrienne
libre, sans qu’il soit possible de
savoir de qui elle est vraiment
l’œuvre : de militaires félons, de
mercenaires d’Al Qaida ou de
commandos atlantiques.
On n’observe pour le moment
aucune pénurie en Syrie, hormis en
matière de mazout et d’électricité.
Pour pallier au choc du siège, Damas
met en place de nouveaux échanges
avec Beijing. L’embargo bancaire
impose qu’ils s’effectuent sous
forme de troc, comme la Chine le
fait déjà avec l’Iran. Ce système
devrait permettre à la Syrie de
sauver son économie, à l’exception
du secteur touristique durablement
sinistré.
Quoi qu’il en soit, le siège de
la Syrie a déjà fait de nombreuses
victimes économiques en Turquie.
L’annulation du traité de
libre-échange et l’instauration de
droits de douane prohibitifs ont
ruiné les régions frontalières. Et
si les Syriens acceptent d’endurer
des privations pour sauver leur
patrie, les Turcs ne sont pas prêts
à subir le même sort pour les
ambitions de l’OTAN.
En outre, ce changement de
stratégie place le Conseil national
syrien en porte à faux. Les
politiciens qui revendiquaient une
forme d’action non-violente inspirée
des révolutions oranges de Gene
Sharp [4]
sont contraints d’assumer des
sabotages revendiqués par les
combattants de l’Armée syrienne
libre. Le conflit est d’autant plus
vif que les uns et les autres sont
basés à Istanbul et appelés à se
côtoyer.
La suspension du plan
d’intervention militaire
internationale a été confirmée par
le retour à Damas des ambassadeurs
des États-Unis, de France et
d’Allemagne. Elle implique une
inflexion de la campagne médiatique.
D’ores et déjà, les médias
anglo-saxons ont abandonné les
références aux accusations les plus
outrancières et les moins crédibles
lancées contre Bachar el-Assad,
telle que celle de faire torturer
des enfants. Le département d’État
lui-même ne décrit plus le président
syrien comme un monstre, mais comme
un homme « déconnecté de la
réalité » (sic) [5].
Son cas ne nécessite donc plus de
traitement urgent. Au demeurant, la
révélation par divers journalistes
de la réalité syrienne, à mille
lieues de l’image de propagande
véhiculée depuis huit mois [6],
rend un moment de silence
indispensable.
[1]
«
La guerre de Libye
aurait pu mal tourner pour les Alliés
», Réseau
Voltaire, 9
novembre 2011.
[2]
«
Déclaration
franco-britannique sur la coopération de
défense et de sécurité
», Réseau
Voltaire, 2
novembre 2010.
[3]
«
Washington regarde
se lever "l’aube de l’odyssée" africaine
», par Thierry Meyssan,
Réseau Voltaire,
19 mars 2011.
[4]
«
L’Albert Einstein
Institution : la non-violence version
CIA »,
par Thierry Meyssan,
Réseau Voltaire,
4 juin 2007.
[5]
«
Daily Press
Briefing
»,
Département d’État,
6 décembre 2011.
[6]
«
Запад и
ближневосточные монархии жаждут сожрать
Сирию
», par Thierry Meyssan,
Komsomolskaia
Pravda, 29
novembre 2011.
Le sommaire du Réseau Voltaire
Le
dossier Syrie
Les dernières mises à jour
|