« Sous nos yeux »
Bachar el-Assad en
appelle au Peuple syrien
Thierry
Meyssan
Mardi 8 janvier
2013 La France et les
monarchies du Golfe s’acharnent à
présenter Bachar el-Assad comme un tyran
sanguinaire et à lui imputer la
responsabilité des 60 000 victimes
dénombrées par le Haut-Commissariat des
Droits de l’homme. Renversant cette
rhétorique, le président el-Assad a
délivré un discours à la nation, le 6
janvier 2012. Il s’est affirmé comme le
leader d’un pays attaqué de l’extérieur
et a dressé l’éloge funèbre des 60 000
martyrs. Symbolisant cette
revendication, un drapeau syrien composé
des visages des victimes était déployé
dans son dos durant son discours.
Cette intervention visait à apporter
des précisions concrètes sur les
modalités de mise en œuvre du plan de
paix négocié entre la Maison-Blanche et
le Kremlin dans le contexte d’un partage
du Proche-Orient. Si le communiqué de
Genève du 30 juin et les nombreux
contacts qui ont suivi en définissent
l’architecture générale, de nombreux
détails restent à négocier.
L’idée d’un gouvernement de
transition présidé par Bachar el-Assad
et incluant des leaders de l’opposition
a été acceptée par toutes les parties, à
l’exception de la France et des
monarchies du Golfe. Paris, Riyadh et
Doha continuent à interpréter la «
transition » comme le passage d’une
Syrie présidée par Bachar el-Assad à une
Syrie sans lui. Au contraire,
Washington, Moscou et Damas interprètent
la « transition » comme un
processus de pacification et de
réconciliation.
L’accord de Genève pose le principe
d’un gouvernement d’union nationale
durant la période de transition. Mais la
constitution actuelle étant de type
présidentiel ne le permet pas. Les
ministres sont révocables à tout instant
par le président comme le sont les
secrétaires aux USA. Par conséquent, la
création d’un gouvernement d’union
nationale nécessite une réforme
constitutionnelle qui donne des
garanties à l’opposition.
Dans son discours, Bachar el-Assad a
invité son opposition à élaborer avec
lui une « charte nationale » qui
amenderait provisoirement la
constitution pour fixer les objectifs et
le mode de fonctionnement du
gouvernement durant la période de
transition. Coupant l’herbe sous le pied
des Européens et de l’envoyé spécial des
secrétaires généraux de l’ONU et de la
Ligue arabe, Lakdhar Brahimi, il a
annoncé que ce texte serait soumis à
référendum. En d’autres termes, le
peuple syrien restera souverain. Il
n’est pas question d’arrangements entre
grandes puissances, tel que M. Brahimi
en avait manigancé à Taëf à la fin de la
guerre civile libanaise, plaçant ainsi
le pays du cèdre sous une tutelle
étrangère qui dure encore aujourd’hui.
Une seconde question se pose à propos
de l’identification de l’opposition. Les
États-Unis ont créé une Coalition
nationale qui regroupe des personnalités
syriennes de l’extérieur et qui est
considérée comme représentative du
peuple syrien par de nombreux États.
Toutefois, cette Coalition nationale n’a
aucune assise dans le pays et a été
formellement rejetée par l’Armée
syrienne libre.
Du point de vue de Damas et de
Moscou, la Coalition nationale étant
financée par l’étranger et ayant appelé
les Occidentaux à bombarder la Syrie ne
peut en aucun cas participer à un
gouvernement d’union nationale. Pis, du
point de vue de Washington, la Coalition
a commis une faute impardonnable : elle
a condamné l’inscription du Front Al-Nousra
(branche d’Al-Qaida au Levant) sur la
liste états-unienne des organisations
terroristes. Par conséquent, elle s’est
placée du côté des terroristes et s’est
discréditée.
Le président el-Assad a donc indiqué
que le gouvernement d’union nationale
inclurait tous les partis politiques
ayant défendu le pays tout au long de
cette guerre d’agression.
C’est là, évidemment, que les propos
du président el-Assad sont incompatibles
avec la rhétorique du département d’État
US. Pour Damas, la nation est attaquée
par des forces étrangères
auto-proclamées « jihadistes ».
Tandis que pour Washington, le pays est
en proie à une « guerre civile »
dans laquelle des combattants étrangers
interfèrent.
Pourtant, ces points de vue se
rapprochent progressivement. En
inscrivant le Front al-Nousra sur sa
liste des organisations terroristes,
Washington a de facto abandonné
politiquement l’Armée syrienne libre.
Même si une partie des politiciens US
distinguent l’ASL d’Al-Qaida, les
principaux think tanks —dont le Conseil
des relations étrangères (CFR)—
affirment au contraire que le Front Al-Nousra
est la principale composante de l’ASL et
la seule qui ait une importance
opérationnelle. Dès lors, il est devenu
commun aux États-Unis de dire que la «
révolution a été prise en otage »
ou qu’elle a été « détournée par les
jihadistes ». Par conséquent,
Washington peut s’accommoder très
facilement de la position de Damas. La
rhétorique des Droits de l’homme qui
exigeait que l’on destitue el-Assad
exige aujourd’hui qu’on l’aide à se
maintenir pour combattre le terrorisme.
Tout cela n’est bien sûr qu’une
grande hypocrisie. La nouvelle donne
énergétique fait que les États-Unis
n’ont plus besoin de faire main basse
sur le gaz syrien ; le triple veto de la
Russie et de la Chine a empêché la
destruction du pays par l’OTAN ; et
l’armée arabe syrienne a tenu en échec
la stratégie de déstabilisation imaginée
par le général David Petraeus.
Washington cherche une porte de sortie
honorable de cette guerre ratée. Bachar
el-Assad en a pris acte à ses
conditions.
En appelant le Peuple syrien à se
prononcer par référendum, le président
el-Assad fait d’une pierre trois coups :
il réaffirme la souveraineté de son
peuple déniée par les Occidentaux et les
monarchies du Golfe, il rappelle
implicitement qu’il est le seul leader
disposant d’une légitimité par les
urnes, et il bouscule l’agenda. Sachant
qu’il ne manquera pas d’États pour
mettre en doute la sincérité d’un tel
scrutin, Bachar el-Assad entend utiliser
leurs récriminations pour hâter le
déploiement de forces des Nations-Unies
pour superviser le référendum et mettre
fin le plus rapidement possible aux
violences. Le président s’est gardé
d’évoquer un calendrier pour la charte
nationale et le référendum, espérant que
le Conseil de sécurité lui en proposera
un à marche forcée.
Thierry
Meyssan
Intellectuel français,
président-fondateur du
Réseau Voltaire
et de la conférence
Axis for Peace.
Professeur de Relations internationales
au Centre d’études stratégiques de
Damas. Dernier ouvrage en français :
L’Effroyable imposture : Tome 2,
Manipulations et désinformations
(éd. JP Bertand, 2007).
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